Un propos fort servi par la grande maîtrise d'un jeune cinéaste
Ce premier film du belge Leonardo Van Dijl, qui s’intéressait déjà dans ses courts métrages au monde du sport et à sa rigidité, prend pleinement en charge le désir d’absolu, de perfection du geste de son héroïne, pour l’inscrire dans une mise en scène performative. Parallèlement, on comprend vite que Julie est captive d’un secret, celui de l’abus qu’elle a subi par son entraîneur et qu’elle tait. Au moment où le film s’ouvre, l’homme a déjà été évincé du club après le suicide d’une autre jeune joueuse qu’il entraînait aussi. Dans les couloirs, les discussions forment une rumeur lointaine, comme une tempête prête à éclater. Le film, très délicat, nous dit tout cela sans qu’aucun mot ne soit prononcé, nous place dans une connivence secrète avec sa jeune héroïne, et évite tout effet d’attente d’une révélation. Nous ne savons rien de Julie, pourtant nous devinons tout ce qui s’agite derrière la placidité de ses traits et le mouvement fuyant de son regard triste. Le silence est toujours un aveu, semble nous dire le film dont le dispositif sonore est là pour nous laisser écouter son bruit à elle, ausculter son malaise, entendre son souffle court. La maîtrise dans Julie se tait, c’est aussi celle de l’emprise qui perdure, de ses effets indicibles. En nommant l’agresseur de Julie, en lui donnant une consistance, un visage, une voix douce et enveloppante, Leonardo Van Dijl fait le choix, très fort, de démystifier la figure du supposé monstre pour en faire un être terriblement banal et interchangeable. Si l’héroïne est plutôt taiseuse, sa présence constante raconte beaucoup, et le film est riche de sens. En une heure et demie, il immerge le public dans une portion de vie dont il ne ressort pas indemne. La particularité de cette expérience immersive est d’assister en direct à une prise de conscience progressive, à une réappropriation de soi, à une résilience en marche. Proposition cinématographique singulière, tant les récits d’abus privilégient souvent de traiter frontalement ledit abus, ou par l’angle de la défense, de la vengeance, ou du processus judiciaire. Leonardo Van Dijl choisit de coller à une protagoniste qui entend, écoute, perçoit, devine, intègre, digère, et vit une compréhension a posteriori, à son rythme et en silence. Le cinéaste a eu de l’instinct en choisissant son actrice, évidemment très bonne joueuse de tennis et douée d’une présence saisissante. La compréhension intérieure de Tessa Van den Broeck transcende son incarnation, sans une once de performance forcée. La place de l’objectif, les plans fixes, le montage, tout relève d’un dosage minutieux et puissamment signifiant. La très belle nouvelle de ce premier long métrage est aussi de témoigner d’un sujet de société sans en faire un film à dossier, mais en atteignant son but par l’accomplissement artistique. Et de révéler un jeune réalisateur à la précision d'orfèvre, sans qu’il étouffe son sujet, ni l’émotion en jeu, organique. Elle rejaillit une fois le générique fini. Julie se tait infuse dans les regards. Dans les tripes. Dans l’esprit. L’héroïne palpite, elle est bien vivante.