Très bel hommage à un photographe essentiel mais méconnu
Ernest Cole naît en 1940 dans un township d’Afrique du Sud. Il apprend la photographie puis fixe le quotidien de l’apartheid à l’aide de clichés souvent pris au vol pour ne pas se faire arrêter par la police, et publie en 1967 un livre, House of Bondage, aussitôt interdit, qui l’oblige à quitter le pays. Il se réfugie à New York, plein d’espoir. Mais, comme beaucoup d’immigrés sud-africains, il ne parvient jamais à s’adapter à ce pays où les relations entre les Blancs et les Noirs, soi-disant pacifiées, sont faussées. Il réalise un reportage dans le Sud des États-Unis noir et pauvre, mais il est méprisé : Le photographe retrouve une autre forme de ségrégation, des regards malveillants, le racisme systémique. Il sombre dans la misère à 40 ans, vend ses appareils, se dissout peu à peu dans le brouillard de New York et meurt à 49 ans, quelques jours après la sortie de prison de Nelson Mandela, qui augure pourtant une nouvelle ère. Ernest Cole a toujours souffert de n’avoir jamais pu retourner dans son pays, qu’il décrivait pourtant comme un “enfer”. Quelques années après sa disparition, une banque en Suède, où il avait fait plusieurs séjours, confie au neveu du photographe 60 000 négatifs stockés dans un coffre. Qui a payé pour leur conservation ? Personne ne le sait, de plus 524 clichés d'Ernest Cole, parmi les plus connus, restent encore bloqués en Suède. Le documentaire admirable et déchirant de Raoul Peck, au montage basé en grande majorité sur des images du photographe, est comme le pendant tragique de son portrait de l'écrivain James Baldwin, le miraculeux I Am Not Your Negro, César du meilleur documentaire en 2018 : Ernest Cole photographe est un film sur un loser génial, figure majeure de la lutte contre l'apartheid, qui aurait dû devenir riche et célèbre tant son talent est éclatant sur toutes les photos qui défilent dans le film. Ernest Cole se raconte à la première personne par la voix de Raoul Peck lui-même, qui s'est servi des écrits du photographe et des témoignages de ses proches. Depuis ses débuts le cinéaste haïtien Raoul Peck n’a de cesse de ressusciter une parole noire déniée, interdite et effacée par le pouvoir blanc. Il fait des films pour recréer une mémoire et développer une narration différente de l’histoire académique. En isolant des détails, il enquête sur l’image, mettant en lumière la puissance esthétique et politique des photos d'Ernest Cole. C’est dans le drame de l’exil que Raoul Peck, qui n’a jamais pu guérir des tragédies d’Haïti, s’est reconnu pour tisser la matière d’un récit sensible et captivant. Les photos d'Ernest Cole n’ont commencé à être exposées en Afrique du Sud qu’une dizaine d’années après sa mort. Raoul Peck leur offre aujourd’hui le plus bel écrin, pour qu’elles voyagent enfin.