Longtemps, Bradley Cooper s'est rêvé chef d'orchestre. Enfant, il jouait à diriger des symphonies et espérait recevoir une baguette pour Noël. Devenu réalisateur, le voici qui s'offre Maestro, un film d'une grande ambition esthétique et narrative. Il y raconte le chef d'orchestre, pédagogue et compositeur Leonard Bernstein, auteur, entre autres, de la partition du chef-d'œuvre West Side Story. Loin d'un biopic conventionnel, ce qui passionne le cinéaste comédien chez le maestro, c'est la question de la tension qu'inflige le génie à la vie privée. Bradley Cooper ne laisse jamais sa profonde admiration pour Bernstein affadir sa vision du personnage. Son Lenny est à la fois un monstre capable de blesser sciemment ceux qu'il aime, un charmeur irrésistible et un génie musical. Il y a du Clint Eastwood chez Bradley Cooper. Comme son illustre aîné, qui l'a dirigé dans American Sniper et dans La mule, l'acteur révèle, la quarantaine venue, sa vraie nature : celle d'un metteur en scène. Dans une époque où le cinéma américain, obstinément tourné vers un public adolescent, tend à simplifier les enjeux, Bradley Cooper ose les rendre plus subtils, plus complexes. 2023 avait commencé fort avec Tár de Todd Field, biopic imaginaire d'une cheffe d'orchestre monstrueuse jouée à la perfection par Cate Blanchett, l'année s'achève avec Maestro, un autre film musical majeur. Interprété avec rage et talent de manière impressionnante par le réalisateur lui-même, le film vaut aussi par la performance de l'excellente Carey Mulligan toute en délicatesse et en émotion. Fort du triomphe de son coup d’essai, A star is born, Bradley Cooper a eu les mains bien plus libres pour ce Maestro, et cela se voit clairement. Le film vient prolonger sa réflexion sur le couple, l’art et la célébrité, dans un schéma plus ingénieux, et explore les compromis d’une vie consacrée à faire grandir la musique, et d’un mariage hanté par l’homosexualité du chef d’orchestre. L’orientation sexuelle de Bernstein ne vient en rien invalider l’amour entre Felicia et lui, mais le confirme, le renforce, le met à l’épreuve. Maestro s’inspire du paysage intérieur de Bernstein. C’est un film qui, comme le musicien lui-même, va là où il veut, laisse de côté ce qui lui chante, se laisse guider par son plaisir, et nous permet de rentrer dans l’intimité de Bernstein comme si nous étions cachés derrière la porte. Un grand moment d’émotion, musclé, lyrique, théâtral et subtil à la fois.
Maestro est à voir ici sur Netflix pour 5,99 € avec pub ou 13,49 € sans pub, un mois sans engagement.