chroniques
Donald Sutherland était un géant
Géant par sa taille, 1m93, mais aussi par l’ampleur de sa filmographie : près de deux cents films et séries en soixante-dix ans de carrière. Son physique singulier, avec ce visage doux et inquiétant aux yeux bleus perçants, sa diction précise, lente, portée par sa voix grave, sa stature colossale, un indubitable charisme, mélange de fragilité et d’autorité, sa palette de jeu ample lui ont permis d’incarner une variété infinie de rôles. Sa carrière explose en 1970 dans la farce féroce de Robert Altman, MASH, dans la peau d'un brillant chirurgien anarchiste et désabusé, infatigable séducteur affecté dans une base américaine en pleine guerre de Corée. En short et bob kakis, il apparaît comme un poisson dans l’eau, délicieusement désinvolte et nonchalant, trompant la mort. Un film qui le catapulte vers le succès, dopé par la Palme d’or à Cannes. Cette décennie, où il joue des personnages marquants notamment dans Klute ou Ne vous retournez pas, est aussi celle de l’un de ses rôles majeurs, le monumental Casanova de Fellini (1976). Il y incarne, corps et âme, le célèbre séducteur vénitien, représenté comme le souhaitait le cinéaste italien, en tombeur pathétique, jouisseur impénitent se vautrant de conquête en conquête, jusqu’à l’écœurement. Il y a aussi l'émouvant premier film de Robert Redford en tant que réalisateur, Des gens comme les autres dans lequel Donald Sutherland est impressionnant de sobriété et de retenue. En 1989, il joue un prof afrikaner se rebellant contre l’apartheid dans Une saison blanche et sèche d’Euzhan Palcy. Il n'aura jamais cessé de tourner, et même la jeune génération le connaît pour son rôle dans les cinq Hunger Games, sans oublier en 2019 l'excellent film de James Gray, Ad Astra. On aura bien compris que cet acteur canadien de 88 ans était capable de tout jouer avec un talent rare, dont voici ci-dessous un petit aperçu.
La Casanova de Fellini, Une saison blanche et sèche, Klute, Ne vous retournez pas.
Une présence, une élégance et un charme fou au parfum de mystère
Elle était Anne Gauthier dans Un homme et une femme de Claude Lelouch, Palme d'or à Cannes et lauréat de deux Oscars, l'inoubliable Lola de Jacques Demy, Maddalena au bras de Mastroianni dans La Dolce Vita de Federico Fellini. C'est une comédienne élégante, discrète et fascinante qui s'est éteinte mardi. Née en 1932 dans le 17e arrondissement de Paris, Nicole Dreyfus, de son vrai nom, est repérée à l’âge de 14 ans par Henri Calef, réalisateur français qui va lui offrir son premier rôle dans La maison sous la mer. Elle choisit ensuite de prendre le pseudonyme de son personnage Anouk, puis d’y ajouter le nom Aimée sur les conseils de Jacques Prévert, qu’elle rencontre sur le tournage de La Fleur de l’âge de Marcel Carné. Anouk Aimée disait qu’elle n’avait rien décidé, que le hasard avait été salvateur et qu’elle avait eu beaucoup de chance. Elle riait alors, main sur la bouche, comme pour s’en excuser. La chance n’était pas un vain mot, une légèreté, mais renvoyait au contraire au pire du pire, l’effroi le plus terrible. La fillette a une dizaine d’années, elle est à la sortie de l’école communale de la rue Milton à Paris, et voici qu’une bande d’élèves la pointe du doigt en clamant «elle est juive, elle est juive, elle est juive» à l’officier allemand chargé de ramasser les enfants juifs. Elle pleure, il lui prend la main. Mais plutôt que de l’embarquer, il la ramène chez elle, ou plutôt chez sa grand-mère, où elle vivait. Quand il lui demande comment elle s’appelle, l’enfant refuse de lui répondre. Il s’en va, laissant la petite fille et la grand-mère, libres et tremblantes. Sa carrière décolle dans les années 1960. Federico Fellini, Jacques Demy, Philippe de Broca, puis Claude Lelouch… Anouk Aimée travaille avec les cinéastes les plus en en vue de son époque. Son rôle dans Un homme et une femme, où son naturel, son élégance et son charme lui valent le Golden Globe de la meilleure actrice dans un film dramatique et une nomination aux Oscars. En 1980, elle obtient le Prix d'interprétation féminine à Cannes pour Le saut dans le vide de Marco Bellocchio. Elle aura tourné 74 films, aura reçu un César d'honneur et un Ours d'or d'honneur à Berlin, aura joué Love letters au théâtre durant de nombreuses années avec Bruno Cremer, puis Jean-Louis Trintignant, Philippe Noiret, Jacques Weber, Alain Delon, Gérard Depardieu. Elles avaient en commun la beauté et le talent, après Françoise Hardy il y a une semaine, Anouk Aimée s'en est allée.
La voici ci-dessous dans trois de ses films les plus emblématiques :
Tristesse infinie pour l'icône de la chanson française
À la fois populaire et décalée. À côté, au-dessus, ailleurs. Proche et insaisissable. Portée par la vague yéyé naissante, mais déjà détachée du lot, avec sa voix feutrée, sa diction distinguée et subtilement nonchalante. Son caractère mélancolique, empreint d’un romantisme classique, loin de Sheila et de Sylvie. Rien à faire, Françoise ne leur ressemble pas. Elle est élégante, elle est réservée. Elle est capable d’écrire et de composer elle-même, là où bien des chanteurs se contentent d’importer en France les hits venus d’ailleurs. Moins pulpeuse que ne le veulent les canons de l’époque, elle s’étonne qu’on la trouve si belle. Et peine à croire en un succès qu’elle n’a pas particulièrement cherché et qui, presque malgré elle, ne cesse d’enfler. L’année suivante, il est immense. « Françoise Hardy, un phénomène social », titre un journal suisse. Des milliers de filles se coiffent comme elle. Elle fait la Une des magazines et la fascination qu'elle exerce dépasse largement les frontières, Mick Jagger, David Bowie, Bob Dylan, Brian Jones en sont fous. Tout au long de sa carrière, elle aura suivi son instinct, cultivant un certain mystère et ne cherchant pas spécialement à plaire, et pourtant sa disparition provoque une grande tristesse.
Voici deux chansons qu'on ne se lasse pas d'écouter :
Un bonheur de le voir jouer, et les bonheurs en ce moment ça ne se refuse pas !
Au terme d'une finale marathon, Carlos Alcaraz est venu à bout d'Alexander Zverev en cinq sets et 4h19 de jeu (6-3, 2-6, 5-7, 6-1, 6-2), dimanche à Roland-Garros. C'est le troisième titre du Grand Chelem pour l'Espagnol, son premier Porte d'Auteuil. Année après année, Carlos Alcaraz agrandit son domaine de compétences. Deux ans après avoir maîtrisé le dur à l'US Open 2022, un an après avoir dompté le gazon à Wimbledon 2023, l'Espagnol a décroché son troisième titre en Grand Chelem sur la terre battue de Roland-Garros, dimanche à 21 ans. Là où les jeunes loups du circuit se contentent parfois de frapper la balle méthodiquement, le tennis d’Alcaraz offre ce petit supplément d’âme. Il faut que ça claque, que ça crépite, que ça épate. Il est tantôt explosif en fond de court, tantôt soyeux dans le toucher de balle quand il caresse les amorties et les volées. Sur les sept derniers tournois du Grand Chelem, Jannik Sinner et Carlos Alcaraz en ont remporté quatre. Entre l’Italien, nouveau numéro 1 mondial, et l’Espagnol numéro 2, tous les ingrédients sont là pour alimenter sur la durée le feuilleton du circuit masculin, à condition que les blessures les épargnent. Carlos Alcaraz a bien démontré en remportant Roland Garros qu'il a un mental, un physique et un talent hors du commun, le tout avec une panoplie infinie de coups et une capacité d'adaptation impressionnante.
Pour voir un résumé de la finale, c'est ici.
Grande tristesse avec la disparition de Christophe Deloire
Le secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF), est mort ce samedi 8 juin à l'âge de 53 ans. Décédé des suites d’un cancer fulgurant, le journaliste était hospitalisé depuis plusieurs semaines à l’hôpital Saint-Louis, après la découverte tardive de tumeurs au cerveau. Ce défenseur infatigable de la liberté de la presse était à la tête de RSF depuis 2012, et a su transformé l’association en un champion mondial de la défense du journalisme, durant douze ans. En juillet 2023, il s’était vu confier la direction d’un comité de pilotage des États généraux de l’information. Au-delà de ces responsabilités récentes, il avait continué à incarner le visage de l’organisation non gouvernementale Reporters sans frontières, par exemple en se mobilisant pour dénoncer la nomination de Geoffroy Lejeune à la tête du Journal du dimanche en juin 2023. « Nous sommes ici pour éviter un nouveau carnage dans une rédaction », avait clamé Christophe Deloire, lors de la soirée de soutien à la rédaction du JDD, le 27 juin à Paris, faisant référence à CNews, Europe 1, Prisma et Paris Match, tous contrôlés par Bolloré, et qui ont subi les mêmes sorts. Interrogé sur France Inter, le 1er juillet, le secrétaire général de RSF avait clairement affirmé que « là où Bolloré passe, le journalisme trépasse. C’est un ogre qui digère les médias et les transforme en organe d’opinion ».
J'avais eu le plaisir d’interviewer Christophe Deloire il y a 7 ans au siège de Reporters sans frontières, voici l'interview.