Le 25 mars 2021, Roselyne Bachelot-Narquin adresse une lettre de mission à la conseillère d’État Laurence Franceschini. Elle lui demande de trouver des solutions à un constat alarmant, mais malheureusement connu, sur l’état de la photographie en France : le marché a beau être en pleine croissance, il ne profite pas aux créateurs, fragilisés entre autres par Facebook, Instagram, Google…, qui utilisent leurs images sans leur verser de droits d’auteur, et plus récemment par la crise sanitaire. Prenant acte de l’urgence de la situation, la ministre de la Culture a donc donné pour mission à Laurence Franceschini de mener une réflexion « ambitieuse et réaliste » sur « le financement de la production et de la diffusion d’œuvres photographiques ». Son rapport a été remis cet automne Rue de Valois. Depuis ? Rien n’a été publié alors qu’il serait urgent de le rendre public pour avancer sur la question. Surtout que, dans quelques jours débute la « période de réserve », voulant que les ministres limitent toute action gouvernementale les semaines précédant l’élection présidentielle afin qu’elle ne soit pas considérée comme de la propagande ou du clientélisme. Faire traîner la publication de ce rapport ne serait-il pas, alors, une manière de lui offrir un enterrement de première classe ? Si la photographie prospère en France – pays où elle est née, en 1839 –, elle y a longtemps été ignorée des pouvoirs publics, jusqu’à la création, en 2010, d’une « mission pour la photographie » par Frédéric Mitterrand, alors ministre de la Culture. Cette dernière est ensuite transformée, en 2017 par Françoise Nyssen, en « délégation » – ce qui lui donne un poids politique symbolique. Mais le 31 décembre 2020, un arrêté provoque un tollé dans le milieu en rétrogradant la photographie au rang de « bureau », noyé dans une délégation aux arts visuels qui inclut aussi bien les arts plastiques que le design, la mode et les métiers d’art. Mais de quoi souffrent les photographes français ? Mal protégée, la profession ne dispose d’aucun organisme pour défendre ses droits, la soutenir ou redistribuer des aides, comme c’est le rôle des puissants Centre national du livre (CNL) ou Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). La diversité de la profession fait qu’il est difficile de parler au nom d’une seule catégorie, “les photographes”. La plupart sont solitaires et ne connaissent même pas leurs collègues issus de la même génération, ils sont trop occupés à tenter de survivre. Déprécariser les photographes est une urgence absolue. Leur donner accès à un régime protecteur et à un statut similaire à celui d’intermittent leur permettrait d’obtenir une forme de reconnaissance et donc une fierté, une force.