Une chronique familiale à l'énergie torrentielle
Avec l'impressionnant La loi de Téhéran, qui avait marqué l’été 2021, Saeed Roustaee s’était révélé aux yeux du monde entier, suscitant ainsi de grandes attentes quant à la suite de sa carrière. Un an plus tard, le jeune réalisateur iranien de 33 ans confirme tout le bien que l’on pensait de lui avec Leila et ses frères, fresque familiale aussi ample et captivante que son opus précédent. Il part de la violence des rapports sociaux entre les individus afin de dévoiler la part d’humanité qui se niche chez eux, nous offrant un regard riche et nuancé sur l’Iran. Ce que dénonce ici le cinéaste, à travers le portrait de cette famille marquée par le dénuement, c’est la vacuité morale qui menace la population iranienne, la perte de ses idéaux. Saeed Roustaee pense que la crise vécue par l’Iran est la source de la vitalité de sa cinématographie, concentrée sur les problématiques sociales, et compare cette situation à celle qui a vu l’émergence du néoréalisme en Italie. La remarque, judicieuse, confirme que la trajectoire de cette chronique familiale rappelle celle de Rocco et ses frères dans son souffle tragique mâtiné de tendresse. Force est de constater l’importance et la richesse de la production iranienne depuis quelques années. À cet égard, l’interdiction de la sortie du film en Iran, et surtout le récent emprisonnement de Jafar Panahi, qu'on ne présente plus, et de Mohammad Rasoulof (Le diable n'existe pas, Ours d'or à Berlin), nous rappellent le grand danger qui pèse sur ces artistes et le courage dont ils font preuve à chacun de leur nouveau projet. Ces tristes événements nous obligent également à porter avec encore plus d’ardeur ces œuvres, surtout lorsqu'elles sont aussi réussies, qui parviennent à échapper à la main de ce régime pour nous offrir la puissance de leur discours, aussi bien politique que poétique. Au centre de cette famille, il y a Leila, cette femme voilée, qu'on pourrait croire soumise, qui est la seule à incarner véritablement la recherche du progrès et à remettre en cause les fondements d’un système patriarcal et hiérarchique à bout de souffle gouvernant toujours la société iranienne. Son personnage, magnifiquement interprété par Taraneh Alidoosti, met en évidence un contraste, un paradoxe même, entre l’image de tradition qu’elle dégage et sa modernité, son intelligence, sa clairvoyance. Ce film remarquablement mis en scène avec une incandescence sacrément féroce, s’avère un puissant et attachant portrait de famille, mais aussi le tableau d'une société plongée dans l’obsession du paraître, qui préfère aujourd’hui se réfugier dans le factice et le mensonge pour conserver un minimum de dignité. Espérons que la colère et les manifestations courageuses qui ont lieu aujourd'hui en Iran, suite à la mort d'une jeune femme arrêtée par la police des mœurs pour un voile jugé mal ajusté, parviendront à faire bouger les choses.