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« Nous devons arrêter cette loi de la jungle où on laisse importer à tout va contre nos producteurs »

Publié le par michelmonsay

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Paysan breton devenu urbain, Patrick Le Hyaric est un homme de convictions qu’il défend avec passion, autant dans les journaux L’Humanité et La Terre qu’il dirige, que dans son engagement politique. Député européen depuis 2009, à 55 ans il est aujourd’hui candidat pour le Front de gauche aux législatives, dans la circonscription d’Aubervilliers et Pantin en région parisienne.

 

Quelles premières mesures attendez-vous du Président Hollande ?

Patrick Le Hyaric - L’urgence est de répondre aux attentes de nos concitoyens en créant les conditions pour accroître leur pouvoir d’achat, avec une augmentation des rémunérations par un nouveau partage des richesses, et une diminution d’un certain nombre de coûts énergétiques et alimentaires. Pour ces derniers, il faut aller à la fois vers une meilleure rémunération du travail agricole, et contenir un certain nombre de prix alimentaires à la consommation en inventant de nouveaux mécanismes.

Par ailleurs, il faut entreprendre une réforme du secteur bancaire avec une modification du système de crédit, pour réduire l’endettement des agriculteurs, des artisans, des commerçants et des PME, afin de ne plus les asphyxier et maintenir l’emploi dans ces entreprises. Autre réforme structurelle à mettre en place, il est impératif d’arrêter de fermer les services publics, surtout dans nos campagnes si l’on veut stopper la désertification. Pour cela, nous devons sortir de la règle de la RGPP (révision générale des politiques publiques) en se dégageant des marges de manœuvres financières, avec une autre politique fiscale dont les recettes proviendraient plus du capital et moins du travail.

 

Le résultat de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle est-il satisfaisant et que peut-il augurer pour la suite, notamment aux législatives ?

P.L.H. - Le score de 11% réalisé par Jean-Luc Mélenchon dans le contexte actuel est un exploit considérable. En proposant le partage des richesses, une transformation du système démocratique, l’engagement dans une mutation écologique profonde, un changement des orientations des politiques européennes, il a rassemblé 4 millions d’électeurs et sans ces voix, François Hollande n’aurait pas été élu. Il serait bien qu’il y ait des représentants du Front de gauche à la direction des affaires du pays, cela signifierait un engagement vers une politique luttant résolument contre l’austérité et la crise, pour une réorientation de la construction européenne et qui sortirait du cadre actuel dans lequel se discute la réforme de la PAC.

Pour les législatives, il faut une majorité de gauche au parlement avec un pluralisme politique, comprenant des députés du Front de gauche qui garantiraient un vrai changement. S’il y a un risque d’élimination de la gauche dans une circonscription ou une possible élection d’un candidat du FN, l’ensemble des forces progressistes doivent se mettre d’accord dès le 1er tour pour éviter cela. Notre mouvement politique est en progression constante depuis que nous l’avons créé en 2009 aux élections européennes, et nous comptons bien continuer pour les législatives. A ce propos ma candidature a pour but de combattre notamment la perte de souveraineté des peuples et des parlements que nous subissons, en renforçant les rangs des députés qui feront tout pour que notre budget national ne soit pas décidé par le Président de la Commission de Bruxelles mais par nous-mêmes.

 

Que souhaitez-vous que la gauche mette en œuvre pour le monde agricole ?

P.L.H. - Nous devons arrêter cette loi de la jungle où on laisse importer à tout va, contre nos producteurs de fruits et légumes et de viande bovine. Il faut d’une part les protéger par un mécanisme de préférence communautaire contre la concurrence mondiale. D’autre part, rechercher des coopérations entre états voire continents et non entre multinationales, pour un respect des souverainetés alimentaires de tous les peuples dans le monde. Pour cela, l’OMC doit être beaucoup plus vigilante. Ensuite, des prix minima intra-communautaires à l’intérieur de l’UE doivent être mis en œuvre en réinventant les mécanismes de soutien public. En même temps sur le plan national, on pourrait mettre à l’étude un système de coefficient multiplicateur, qui interdirait aux intermédiaires comme les centrales d’achats de s’accaparer toute la valeur ajoutée de la production agricole, et de faire pression sur les prix à la production en important exagérément. On doit aussi favoriser l’installation des jeunes agriculteurs tant par les fonds structurels européens que par une politique nationale, dans une perspective de mutation environnementale de notre agriculture.

 

Quelles sont pour vous les priorités à l’échelle de la planète ?

P.L.H. - L’alimentation et l’eau sont les principales questions pour l’avenir de l’humanité. On ne règlera pas la question des migrations si on ne s’attaque pas aux questions de suffisance alimentaire. Certains peuvent faire des discours à courte vue sur les sans-papiers, mais ces gens-là ne viennent pas ici par plaisir mais parce qu’ils n’ont rien à manger. Il suffit de voir ce qui se passe au Sahel où les gens continuent de mourir de faim. Il faudrait de l’argent pour les sauver, mais au regard des dépenses militaires ou des sommes colossales que l’on a utilisées pour sauver les banques ce ne serait pas extravagant, et pourtant on ne le fait pas. Humainement on ne peut pas tolérer cela, pas plus que l’on peut accepter en France qu’un paysan avec un quota laitier de 900 000 litres soit au RSA. Pour l’un et l’autre, c’est le monde qui marche sur la tête.

 

Que représente aujourd’hui les journaux que vous dirigez et quel regard portez-vous sur le monde médiatique ?

P.L.H. - La Terre reste un journal de référence dans le monde rural avec une mission de médiation et de fédération pour faire revivre nos campagnes. L’Humanité porte aujourd’hui des choix de transformation structurelle de la société. Le journal est le confluent des débats d’idées de toute la gauche qu’elle soit politique, associative, syndicale ou des personnalités intellectuelles. Tous les journaux ont une orientation éditoriale, du Figaro à Libération en passant par La Croix ou Le Monde. Ils participent ainsi au débat démocratique et il faut les féliciter pour cela. A l’inverse, le système médiatique avilit le débat en découpant les phrases et les images en rondelles et en les passant en boucle, ce qui brouille totalement le message des politiques et fait perdre les repères. L’idée que les citoyens ne s’intéressent plus à la politique a été démentie durant cette campagne présidentielle, autant lors des primaires socialistes que lors des émissions de France 2 où les audiences ont été très fortes, ce qui est formidable pour la démocratie.

 

Quel pouvoir a le Parlement européen aujourd’hui et quel est votre sentiment sur l’austérité, la crise grecque et la croissance ?

P.L.H. - Le traité de Lisbonne donne au Parlement européen un pouvoir de codécision mais pas d’initiative. Par exemple pour la réforme de la PAC, nous avons un commissaire à l’agriculture avec lequel nous avons beaucoup travaillé, mais je sais qu’au bout du compte ce sera la Commission européenne et le Conseil européen qui imposeront leur vue. Il faut donc trouver un système plus démocratique. On sent bien au Parlement européen et un peu partout en Europe que l’on n’est plus dans une ligne d’austérité à tout prix. Tous les partis la prônant ont été rejetés lors d’élections locales et la victoire de François Hollande a contribué à débloquer la situation. Concernant la crise grecque, il faut arrêter le mémorandum de la Troïka (UE, BCE et FMI), donner de l’air à la Grèce, permettre à la banque centrale de prêter à 1% et congeler une partie de la dette, je pense que c’est une voie de sortie pour ne pas laisser la Grèce de côté.

Pour la croissance, il y a un débat intellectuel à avoir autour du terme de croissance pour définir comment on la conçoit. Si l’on fait de la croissance en augmentant la productivité du travail et la compétitivité, ce n’est pas positif, je préfère pour ma part le développement humain, social et écologique. Autant il est intéressant que l’on ait fait un pas sur le projet de croissance, autant on doit rester vigilant pour qu’elle se traduise par de l’emploi stable correctement rémunéré, et une forte réduction de la pauvreté que nous avons aujourd’hui dans l’Union européenne. Je ne remets pas en cause le fait que l’Allemagne et la France soient les fers de lance de l’UE, mais je préfèrerai que l’on ne discute pas uniquement de ce côté-là, et que l’on cherche à élargir la discussion avec d’autres pays comme l’Espagne, l’Italie, le Portugal ou même le Royaume-Uni pour voir comment générer du développement humain.

 

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Un humanisme viscéral

Publié le par michelmonsay

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Ecrivain renommé, lauréat du Goncourt et membre de l’Académie française, Jean-Christophe Rufin a vécu en 60 ans plusieurs vies en une seule. Médecin engagé dans l’humanitaire autant dans de très nombreuses missions à travers le monde qu’en tant que président d’ONG, il a aussi été entre autres ambassadeur au Sénégal, conseiller ministériel, attaché culturel au Brésil, et continue à se demander ce qu’il fera plus tard.

 

Il y a incontestablement une certaine proximité entre Jean-Christophe Rufin et Jacques Cœur, le héros de son dernier roman intitulé « Le grand Cœur ». Tous deux natifs de Bourges au lendemain de guerres, ils ont côtoyé le pouvoir et subi une forme de disgrâce, l’écrivain n’ayant pas été reconduit en 2010 à son poste d’ambassadeur de France au Sénégal. Il ne cache pas une admiration pour le protagoniste de son histoire : « Jacques Cœur a d’une certaine façon découvert l’Orient moderne et changé notre regard sur le monde. Né au creux de la guerre de 100 ans où la France connaissait la ruine et la famine, il a mis en place un extraordinaire système d’abondance qui a installé le pays dans une phase de développement. Nous avons en commun une haine de la guerre, une espérance de rapports humains fondés sur l’échange, le respect, et à son image je pense être quelqu’un de positif. »

Comme souvent pour ses romans d’aventures à la veine historique, le succès est au rendez-vous pour Jean-Christophe Rufin qui l’analyse au-delà de son fidèle lectorat, comme un besoin du public pour des héros positifs.

 

L’évidence de la médecine

Autre similitude entre le riche marchand devenu grand argentier du roi et l’écrivain, ils se servent du voyage comme instrument, au service du commerce pour l’un et de l’engagement humanitaire pour l’autre : « Quand je suis en vacances, je ne pars pas en voyage, je préfère rester chez moi en Haute-Savoie au cœur de la montagne. Je déteste aller quelque part sans avoir rien d’autre à faire que du tourisme. »

La médecine a rapidement été une évidence pour Jean-Christophe Rufin, d’abord par son grand-père qui l’exerçait, puis avec la 1ère greffe du cœur en 1967 qui a fini de le convaincre. Elevé par ses grands-parents à Bourges, son enfance est solitaire. Il lui faut attendre l’âge de 10 ans pour rejoindre sa mère qui travaille à Paris, et il rencontre son père pour la 1ère fois à 18 ans. En découvrant un horizon bouché dans l’univers hospitalier, le jeune médecin se dirige vers l’humanitaire. Ayant toujours préféré le contact avec le malade à la médecine scientifique, après avoir fait son service militaire comme coopérant en Tunisie, il s’engage auprès d’ONG naissantes comme Médecins sans frontières (MSF). Sa première mission en 1979 l’amène en Ethiopie, pays qui va le bouleverser et dans lequel il retournera à plusieurs reprises. Il y pénètre par la province d’Erythrée en se cachant dans le maquis et en accompagnant de nuit le mouvement de guérilla.

 

Au cœur de l’humanitaire

Cette vie le passionne et durant plusieurs années, il alterne de nombreuses missions avec des postes de médecins des hôpitaux à Paris. Après 6 ans avec MSF, il quitte l’organisation suite à une dispute comme il y en avait souvent à l’époque dans l’humanitaire français, et continue d’intervenir sur des situations de crise pour Action contre la faim (ACF). Il deviendra par la suite vice-président de MSF et président d’ACF.

Toutes ces missions lui font vivre des moments inoubliables comme le basculement des Philippines, où il s’est retrouvé poussé par la foule à l’intérieur du palais présidentiel, au moment même de la fuite du dictateur Marcos par hélicoptère. Ou comme la famine en Ethiopie : « La taille de cette catastrophe était impressionnante, on était littéralement submergé. Lorsqu’on déjeunait, les gens venaient taper contre les portes en fer de notre maison. » En découvrant toutes ces situations de guerre, de révolution, il ressent le besoin de comprendre, et parallèlement à son internat de médecine et ses missions, il entre à Sciences-Po dans un cursus aménagé. Cette réflexion sur le rôle de l’humanitaire dans les relations internationales, le conduit à écrire son premier livre sous la forme d’un essai en 1986, pour transmettre son expérience du terrain et identifier les pièges à déjouer.

 

Un terrain plus officiel

Toujours curieux de mondes nouveaux pour nourrir ses écrits, il approche celui du pouvoir en devenant conseiller du secrétaire d’état aux droits de l’homme Claude Malhuret en 86, et du ministre de la Défense François Léotard en 93. Pour celui-ci il s’occupe d’opérations de maintien de la paix, de ponts aériens sur des zones de conflit et se spécialise sur la Bosnie, où il contribue à faire libérer 11 otages français. Il prend des notes durant cette période trépidante comme il le faisait déjà lors des missions humanitaires, avec le désir de devenir romancier. Pendant plusieurs années, il écrit des essais n’osant pas se lancer dans le roman, il était perçu à l’époque davantage comme un technicien qu’un intellectuel. Entre les deux postes de conseillers ministériels, il part découvrir l’Amérique Latine en étant nommé attaché culturel et de coopération au Brésil où il reste 2 années.

Pour finir en beauté son expérience avec le pouvoir, il accepte comme un défi en 2007 le poste d’ambassadeur de France au Sénégal : « Pendant 3 ans j’ai résisté au président Wade, aux réseaux Françafrique, à Sarkozy, avec l’impression d’un bras de fer permanent tout en étant en accord avec la population, et en renouvelant les relations entre les deux pays. Les sénégalais m’adorent, le tout nouveau président Macky Sall m’a appelé il y a 2 jours pour me demander quand je venais. Je leur ai apporté ma connaissance de l’Afrique et davantage de respect, alors que la tendance de la France est de continuer à essayer de faire la loi dans ce pays. » Inévitablement, il a été remercié à la fin de son mandat qui n’a pas été renouvelé.

 

L’écriture enfin !

Jean-Christophe Rufin avait besoin de vivre toutes ces vies avant de franchir le pas du roman en 1997, et bien lui en a pris puisqu’en 4 ans il reçoit le Goncourt du 1er roman pour « L’abyssin », le prix Interallié pour « Les causes perdues » et le prix Goncourt en 2001 pour « Rouge Brésil ». En plus d’être récompensés, ses livres sont des succès, notamment « Rouge Brésil » vendu à 700 000 exemplaires et traduit en 19 langues. Il aime l’idée que le roman est un instrument pour traverser le monde, les couches sociales, pour restituer des portraits, des paysages, des couleurs, des émotions. Lorsque Jean-Christophe Rufin raconte une histoire, il a toujours besoin de distance, à la fois en prenant le temps nécessaire pour digérer ce qu’il a vécu et s’en servir quelques années plus tard dans la fiction, mais aussi en utilisant souvent un contexte historique pour évoquer des problématiques actuelles : « Au cœur de tous mes livres, il y a la rencontre de l’autre, la façon dont on accommode les différences soit entre des groupes humains, les français qui arrivent au Brésil au XVIe siècle (Rouge Brésil), soit entre deux individus, une femme française qui tombe amoureuse d’un brésilien (La salamandre), soit dans un dilemme interne, une femme franco-algérienne prise entre les mondes européen et musulman (Katiba). »

 

Ne jamais s’endormir sur ses lauriers

Autant le prix Goncourt que l’entrée à l’Académie française en 2008, Jean-Christophe Rufin les a vécus avec beaucoup de bonheur comme une reconnaissance, mais plutôt une étape qu’un aboutissement. A tout juste 60 ans, il est le plus jeune académicien et à ce titre contribue à inscrire l’institution dans la France d’aujourd’hui, en y faisant découvrir des nouveaux talents et en rappelant la nécessité de garder une ouverture vers l’international.

Comme le terrain humanitaire et son métier de médecin  lui manquent, il a décidé de repartir en mission dans les jours qui viennent : « Je suis allé l’an dernier en Haïti écrire un article pour Paris-Match. En visitant un camp de choléra, je me suis demandé ce que je fichais là et pourquoi je n’avais pas une blouse pour travailler avec les médecins. C’est mon métier et je n’ai pas envie de l’abandonner complètement. » Qui plus est, il ressent un besoin essentiel de continuer à vivre des moments forts pour nourrir son imaginaire d’écrivain. Autrement, quand il lui reste un peu de temps, cet homme qui s’est toujours demandé ce qu’il fera quand il sera grand, est tout autant rêveur que sportif au cœur de sa montagne savoyarde, où il aime pratiquer l’alpinisme, le vélo et la marche.

 

Publié dans Portraits

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Interview de François Hollande réalisée le 29 août 2011

Publié le par michelmonsay

Cette interview réalisée plus de 8 mois avant son accession à la présidence de la République confirme la cohérence des propos de François Hollande, qui me confiait déjà les mêmes orientations qu'il a mises en avant ces jours-ci. J'étais ressorti emballé par cette rencontre avec un homme simple, déterminé, disponible, qui faisait preuve autant de qualités humaines que de grande compétence et d'un sens de l'analyse très pointu.

 

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L’ancien dirigeant du PS, favori des primaires socialistes où tous les français peuvent voter les 9 et 16 octobre, n’en finit plus d’étonner son monde par la métamorphose qu’il a opérée depuis plusieurs mois. A 57 ans, il a indéniablement pris une nouvelle dimension, qui pourrait le mener à devenir le leader que la gauche attend depuis François Mitterrand.

 

Comment vous situez-vous par rapport au projet du Parti Socialiste ?

François Hollande - Ce projet m’engage, je l’ai voté, j’aurai donc à le traduire, mais il y a aussi une crise, une conjoncture et des marges de manœuvre limitées. Si j’en ai la responsabilité, le choix que j’aurai à faire sera de fixer un ordre de priorités, et d’organiser un agenda pour que nous puissions faire ce que nous avons présenté aux français, avec la cohérence et la crédibilité nécessaires. D’ores et déjà, je mets l’accent sur la jeunesse, considérant que ce doit être la grande cause du prochain mandat présidentiel, et une réforme fiscale d’ampleur sans laquelle il ne peut y avoir de progrès économique, de justice sociale, de modernisation du pays.

Nous avons la démographie la plus dynamique d’Europe et une population active qui continue d’augmenter, c’est un atout et non une charge. La jeunesse doit être un levier pour permettre au pays de se développer par la réussite de cette nouvelle génération. Avec une progression du chômage aux deux extrêmes de l’âge actif, je propose un contrat de génération permettant à un employeur de garder un salarié de plus de 55 ans tout en embauchant un jeune de moins de 25 ans en CDI, avec une exonération de charges sociales sur les deux emplois. L’agriculture est peut-être le meilleur exemple de ce contrat de génération, avec des parents qui cèdent leur exploitation à leur enfant tout en continuant à y travailler et à transmettre le savoir.

 

Quelles mesures pourriez-vous prendre pour que le monde agricole aille mieux ?

F.H. - La réforme fiscale que je préconise aura son volet agricole avec un double objectif : favoriser l’emploi, l’investissement dans l’innovation, et l’environnement. Il y aura aussi un volet nouveau sur les mécanismes assurantiels pour faire face aux crises et aux aléas du marché. Deuxièmement : la jeunesse sera aussi une priorité pour l’agriculture avec une politique d’entrée dans le métier et d’installation qui devra être renouvelée et rénovée, en soutenant financièrement les jeunes qui souhaitent s’engager dans la carrière d’agriculteur, avec le maintien de prêts bonifiés.

J’entends aussi favoriser avec l’aide de l’Etat, des régions et de l’ensemble des partenaires, des politiques structurelles qui permettront de lier sur un même territoire plusieurs exploitations, comme cela a été fait pour l’achat du matériel agricole avec les Cuma. L’objectif sera de mettre en œuvre des mesures à la fois économiques et environnementales. Mais je n’oublie pas que la 1ère tâche qui m’incombera sera aussi de préserver le budget agricole au niveau européen, veiller à ce que la PAC permette la diversité des productions, la redistribution des aides, et un lien entre production et protection de l’environnement.

L’agriculture est un secteur à multiples enjeux. Enjeu territorial bien sur, enjeu environnemental je l’ai dit, enjeu alimentaire essentiel aujourd'hui pour l’Europe et la France. Et enfin un enjeu économique car c’est un des seuls secteurs excédentaires en terme de balance commerciale pour la France, en produits de base agricoles, en produits de qualité et en produits transformés industriels. C’est un atout essentiel. C’est pourquoi j’ai toujours considéré l’agriculture comme un enjeu global, celui d’une profession que je respecte mais aussi celui des consommateurs et de tous les citoyens.

 

Comment êtes-vous devenu le favori des primaires et de l’élection présidentielle en elle-même ?

F.H. - Une élection présidentielle est une alchimie, une rencontre entre un homme ou une femme, une circonstance et l’aspiration d’un pays. Sans préjuger des qualités, il faut correspondre à la période et il me semble qu’aujourd’hui plus qu’hier, je suis celui-là. Nicolas Sarkozy a décrédibilisé son modèle idéologique, la réussite individuelle, sans prendre conscience que l’organisation collective, la solidarité pouvaient être des leviers de progrès. Il a beaucoup choqué par son comportement personnel. Les inégalités qui sont apparues insupportables sur le plan social, ont été un frein à notre développement économique. Cela a créé une attente d’une réponse politique différente, plus stable, cohérente et précise.

De là est née mon ambition pour incarner un président qui aurait à la fois la force nécessaire, la hauteur de vue et le respect de tous ses concitoyens, en n’étant pas simplement le chef d’une majorité. Il faut être capable d’avoir cette empathie à l’égard de la population, pour qu’elle vous reconnaisse autant comme une autorité qu’un semblable, dans une conjugaison de responsabilité et de simplicité. Le verbe fait partie de ce lien, et même si j’ai été marqué par François Mitterrand, il faudra en 2012 faire du neuf. Pour les primaires, au-delà de l’ordre des priorités qui nous différencient, de l’insistance et la précision sur un certain nombre de choix, nos concitoyens choisiront la personnalité qui pourra rassembler le plus largement les français en leur redonnant confiance. C’est la condition pour battre Nicolas Sarkozy.

 

La crise actuelle peut-elle favoriser l’extrême droite, et que faut-il faire pour en sortir et relancer la croissance ?

F.H. - Les crises favorisent toujours les replis ou les excès. Penser qu’en chassant les immigrés ou les marchandises nous irions mieux, l’Histoire a démontré que ces solutions conduisaient au pire ou au désastre économique. Il ne suffit pas de dire que nous sommes contre les marchés, les agences de notation, les spéculateurs, l’Europe, pour que d’un seul coup ils disparaissent. Il faut dans cette période de crise montrer de la volonté, de la capacité, de la crédibilité et de la lucidité pour nous donner le temps nécessaire afin d’arriver aux résultats escomptés. La crise actuelle avec une faible croissance, un chômage élevé, une instabilité des marchés et une vulnérabilité des états, valide davantage nos thèses que celles des libéraux ou des conservateurs.

Pour relancer la croissance, notre victoire peut à court terme, être un élément de confiance permettant aux français d’investir davantage, de consommer mieux et de mobiliser leurs forces pour la réussite commune. Parallèlement, il nous faudra mettre l’accent sur 3 grands enjeux : celui de la production et de notre compétitivité, de notre capacité à innover, celui de  l’éducation où nous ne devons pas considérer la formation de nos jeunes comme une dépense supplémentaire mais un investissement, et celui de l’environnement qui peut, si nous savons saisir des opportunités, nous ouvrir des perspectives de croissance. Les nouvelles activités se trouvent dans les économies d’énergie, les énergies renouvelables, des modes de transport différents, une production agricole plus environnementale et mieux valorisée. S’il n’y a pas de croissance, il n’y aura pas de rétablissement des comptes publics et inversement, nous devons faire les deux en même temps.

 

Que doit comporter la réforme fiscale que vous préconisez pour être réussie ?

F.H. – La réforme fiscale doit être simple dans ses principes, efficace dans ses effets et juste dans ses instruments. Simple avec des impôts qui ont une assiette large et des taux en nombre limité, efficace économiquement en encourageant l’investissement et l’emploi, mais aussi en supprimant et redéployant les niches fiscales. Enfin cette réforme devra être juste, en appelant davantage à contribuer ceux qui aujourd'hui, sont les plus favorisés. Je l’ai dit, les français sont prêts à faire des efforts, à condition qu’ils sentent que ces efforts sont partagés équitablement. Aujourd’hui l’Etat emprunte pour payer les intérêts de ses emprunts, nous entrons ainsi dans une spirale où nos enfants devront payer nos dépenses de fonctionnement. Je ne peux pas admettre qu’il y ait cette transmission d’un fardeau qui serait le fruit de nos propres lâchetés. Il y a donc une obligation, c’est d’être rigoureux, en maitrisant nos dépenses, tout en fixant des priorités claires et en s’assurant en même temps de meilleures recettes, c’’est l’objet de la réforme fiscale que je propose.

 

Peut-on échapper à l’austérité et au diktat des marchés pour revenir à une démocratie plus humaine ?

F.H. - Depuis 10 ans, la domination des libéraux et des conservateurs, a délégué aux marchés, les arbitrages que nous devions faire politiquement pour faire face aux difficultés et préparer notre avenir. A ce titre, la PAC avec le démantèlement méthodique des organisations de marché depuis quelques années, est un exemple et une preuve. Pour que l’intelligence de la démocratie triomphe de la force des marchés, il faut mettre en place des règles, des instruments, des taxes sur la spéculation pour dégager des recettes, et pour l’agriculture maintenir des fonds d’intervention, avoir une politique de stockage, à l’échelle de l’Europe voire du monde. La voix de la France compte toujours mais cela dépend beaucoup de celui qui assure la fonction de président. Il peut le faire de manière bavarde et provocatrice ou exercer une influence par la qualité de ses jugements, la force de ses propositions, l’habileté de sa diplomatie et une intelligence de la psychologie humaine. Les rapports entre chefs d’état obéissent certes à des rapports de force, mais aussi  de confiance.

 

Votre manque d’expérience ministérielle est-elle un handicap et si vous êtes élu président, qu’aimeriez-vous laissé comme bilan ?

F.H. - J’ai été davantage qu’un ministre en étant sans doute celui qui a été le plus associé aux décisions du gouvernement de Lionel Jospin. J’étais à la tête du Parti Socialiste et à l’Assemblée Nationale avec Jean-Marc Ayrault, j’avais la responsabilité de faire vivre la majorité plurielle de l’époque. J’ai donc une grande expérience de la responsabilité.

Quant à ce que je voudrais laisser : un pays qui a plus confiance en lui-même, plus harmonieux, plus juste et plus apaisé. Un pays réconcilié entre les générations et entre les catégories sociales. Il faut pour cela avoir des idées claires et être capable de les faire partager. Si l’on a raison tout seul, on finit par avoir tort tout seul. 

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Une plongée admirablement filmée au cœur de la psychanalyse

Publié le par michelmonsay

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Depuis plusieurs films, le célèbre réalisateur canadien de 69 ans, David Cronenberg, a quelque peu délaissé le cinéma fantastique qui a fait sa renommée, même s’il sonde toujours les névroses et met en scène des personnages complexes. Peut-être un peu moins sombre et moins torturée, sa dernière œuvre n’en est pas moins exigeante et sous une facture plus classique mais tellement bien maîtrisée, explore les fondements de la psychanalyse et des pulsions sexuelles. Dans une réalisation de très grande qualité avec des plans magnifiques, un trio de comédiens excellents, le film à la fois dérange, fascine et passionne. Le traitement par Cronenberg de l’évolution des personnages, de leur relation autant dans leur confrontation que leur rapprochement, participe à la réussite de cette minutieuse reconstitution historique aux dialogues très bien écrits. Nous sommes en 1904 à Zurich où une jeune femme à l’apparence hystérique arrive dans une clinique psychiatrique, pour être soignée par le Dr Jung. Le jeune psychiatre va essayer un traitement expérimental de guérison par la parole, inspiré de la psychanalyse développée par Freud. Cette patiente pas comme les autres, une fois surmonté le traumatisme lié à son enfance, se révèle très intelligente. La réussite du traitement amène le docteur à rencontrer une 1ère fois le professeur Freud. En étant très soucieux de la véracité des faits que le film déroule, Cronenberg apporte par son talent une puissance romanesque à cette histoire, où l’on sent poindre en filigrane les fléaux à venir de ce siècle naissant.
 
A dangerous method – Un film de David Cronenberg avec Michael Fassbender, Keira Knightley, Viggo Mortensen, Vincent Cassel, … - Warner home vidéo – 1 DVD : 19,99 €.

Publié dans DVD

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Comédie grinçante digne du tandem Jaoui-Bacri

Publié le par michelmonsay

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Gros succès public et critique de la saison théâtrale 2010-2011, cette pièce à la fois très drôle et cruelle méritait une belle adaptation cinématographique. Le challenge a été relevé par les deux auteurs de la pièce, qui viennent d’ailleurs du cinéma. Ils ont donc porté ensemble à l’écran ce petit bijou aux dialogues incisifs, aux situations déstabilisantes, aux belles performances d’acteur, et au rythme bien soutenu sans être hystérique. Charles Berling qui rejoint la troupe pour ce passage au cinéma, investit merveilleusement son rôle pour compléter une distribution impeccable où chaque comédien est totalement en osmose avec son personnage. Dans un genre si difficile, les auteurs réalisateurs parviennent à nous faire rire de nos propres travers, ce film agissant comme un miroir, et à l’image des protagonistes de cette histoire, les masquent tombent peu à peu pour laisser apparaître la difficulté d’accepter l’autre dans sa différence. Une soirée d’apparence bon enfant entre un frère, une sœur, leurs conjoints et un ami d’enfance, tous ayant plus ou moins la quarantaine, vire à une superbe satire des mœurs de notre société actuelle. Cela commence avec l’évocation du prénom de l’enfant à venir du frère et de sa compagne, qui provoque un cataclysme dans cette petite assemblée. La suite est savoureuse et nous entraîne d’un rebondissement à l’autre avec étonnement et jubilation, à travers des joutes verbales où chacun en prend pour son grade. Cette comédie irrésistible et intelligente devrait réconcilier tous les publics.

 

 Le prénom – Un film de Matthieu Delaporte et Alexandre de la Patellière avec Patrick Bruel, Charles Berling, Valérie Benguigui, Guillaume de Tonquédec, Judith El Zein, …

 

Publié dans Films

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Une histoire intense toute en retenue

Publié le par michelmonsay

 

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Après nous avoir fait rire dans ses premiers films, Philippe Lioret nous bouleverse depuis avec « Je vais bien, ne t’en fais pas » et « Welcome ». Son nouveau petit bijou s’inscrit dans la même veine où l’incroyable justesse de ton, l’intensité de l’histoire, des personnages nous emportent littéralement et nous poursuit longtemps après le générique de fin. Ce réalisateur perfectionniste de 56 ans, dont c’est seulement le 7ème long métrage, a besoin de prendre son temps pour mener à bien un projet, de l’écriture du scénario jusqu’au montage du film. Il consacre toute son énergie pour donner à l’histoire qu’il nous raconte un réalisme sans faute, et nous amener au plus près des personnages en nous faisant partager leurs sensations et oublier qu’il s’agit d’un film. Vincent Lindon est de nouveau remarquable, et Marie Gillain à la fois lumineuse, fragile, déterminée, incarne merveilleusement son personnage. Une jeune femme juge, mariée et qui a deux enfants, donne 12 € à sa fille pour permettre à une petite camarade de pouvoir faire une sortie avec l’école. La maman refuse poliment cet argent, et par un curieux hasard se retrouve peu après au tribunal face à cette femme juge, pour une affaire de surendettement due à des crédits à la consommation. Parallèlement cette jeune juge apprend qu’elle a une tumeur au cerveau inguérissable. Philippe Lioret réussit à la fois à dénoncer intelligemment les abus des sociétés de crédit face à la vulnérabilité  de personnes en grande difficulté, et à magnifier la force de caractère d’une femme face à la maladie, tout en nous faisant ressentir profondément la fragilité de nos vies.

 

 

Toutes nos envies – Un film de Philippe Lioret avec Vincent Lindon, Marie Gillain, Amandine Dewasmes, Yannick Rénier, … - Warner home vidéo - 1 DVD : 19,99 €.

 

Publié dans DVD

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Un réalisme bouleversant qui n’oublie pas l’humour

Publié le par michelmonsay

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Pour son 3ème film, l’actrice réalisatrice Maïwenn a créé la sensation du dernier festival de Cannes, en proposant une œuvre très forte qui a remporté le prix du jury. A 35 ans, après deux films remarqués, « Pardonnez-moi » et « Le bal des actrices », elle prend une dimension supplémentaire avec cette plongée au sein de la brigade de protection des mineurs. Son cinéma coup de poing au plus près des êtres, des situations délicates, trouve le parfait dosage entre l’invraisemblable vérité du terrain totalement inspirée de faits réels, et une histoire habilement scénarisée d’où ressort des personnages souvent très touchants. La performance de tous les comédiens, notamment celle de Joeystarr, contribue à cette justesse qui émane du film. Maïwenn donne à voir sans forcer le trait dans un sens ou dans l’autre, toute la complexité d’un tel sujet. Dès les premières images, des policiers interrogent un enfant qui semble répéter ce qu’on lui a dit de déclarer, un autre qui ne trouve pas les mots pour exprimer le trouble profond qui l’habite, puis des adultes qui nient les faits, ou avouent avec une inconscience voire une désinvolture répugnante. Dans un montage très inspiré, le film mêle de nombreux témoignages très troublants, des actions sur le terrain, les rapports tendus ou solidaires entre les policiers, et leur vie privée qu’ils ont bien du mal à préserver tant leur métier est déstabilisant. En mettant en avant le travail difficile de cette brigade peu médiatisée de la police judiciaire, la cinéaste réussit une œuvre poignante sans compromis, qui souligne quelques unes des déviances impardonnables de notre société.

 

Polisse – Un film de Maïwenn avec Karin Viard, Joeystarr, Marina Foïs, Nicolas Duvauchelle, Maïwenn, … - TF1 vidéo - 2 DVD : 19,99 €.

 

Publié dans DVD

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Les dérives de cet insupportable puritanisme américain

Publié le par michelmonsay

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Un nouveau roman de l’un des plus grands écrivains américains est forcément un événement très attendu, d’autant que cette nouvelle plongée au cœur d’une Amérique qui fait froid dans le dos, est tout simplement magistrale. A 72 ans, Russell Banks met de nouveau en lumière les laissés-pour-compte d’une société moralisatrice qui n’a plus de repères humains, et ne cherche qu’à surveiller et punir. Cette peur de l’autre, qui est l’une des principales caractéristiques de ce début de XXIe siècle, un jeune homme inoffensif de 22 ans, certes délinquant sexuel condamné, mais pour une naïve erreur de jeunesse, la subit quotidiennement en étant obligé de vivre comme un pestiféré sous un viaduc à Miami avec d’autres parias, violeurs ou pédophiles. En s’attachant à ce personnage à priori peu recommandable, mais qui n’est en fait qu’une victime de l’abîme affectif dont il a toujours souffert et des dérives d’Internet, l’auteur avec une remarquable plume très réaliste nous fait partager au travers des rencontres et épreuves de ce gamin perdu, l’enfer de l’exclusion.

 

 Lointain souvenir de la peau – Un roman de Russell Banks – Actes Sud – 444 pages - 23,80 €.

 

Publié dans Livres

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« Il y a en France un problème d’éducation vis-à-vis du médicament »

Publié le par michelmonsay

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Brillante pneumologue de 48 ans exerçant à Brest, Irène Frachon s’est lancée depuis 2007 dans un combat exemplaire contre les très puissants laboratoires Servier, pour dénoncer le scandale sanitaire du Mediator. Grâce à sa détermination sans failles, cette affaire a engendré le retrait du Mediator, une loi sur la régulation des médicaments, et un fonds d’indemnisation des victimes en attendant les procès à venir pour une justice qu’elle souhaite exemplaire.

 

Comment est née l’affaire du Mediator ?

Irène Frachon - L’affaire commence pour moi dans les années 90 lorsque jeune médecin je découvre et j’accompagne le scandale sanitaire des coupe-faims dérivés d’amphétamines. Malgré de sérieuses mises en garde de chercheurs et médecins dès les années 70 sur la dangerosité de ces produits qui provoqueraient une maladie rare et mortelle, l’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP), les laboratoires Servier ont mis sur le marché le Pondéral et l’Isoméride. A cette époque je travaillais à Paris dans un service spécialisé sur les HTAP et un certain nombre de femmes venaient mourir de cette maladie après avoir consommé ces coupe-faims. Evidemment Servier a nié le lien et a fait pression sur les autorités de santé. Il aura fallu une grande étude internationale pour le prouver et la découverte par les américains d’une autre complication grave, la valvulopathie. Ces médicaments sont interdits à l’échelon mondial et retirés en 1997.

J’apprends de façon incidente que Servier a laissé sur le marché une troisième molécule qui n’est pas présentée comme un coupe-faim mais un antidiabétique. Ce médicament en vente depuis 1976 s’appelle Mediator et aurait une ressemblance avec Isoméride. En 2007 au sein du service spécialisé dans les HTAP dont je m’occupe au CHU de Brest, arrive une dame obèse atteinte de cette maladie suite à une consommation durant plusieurs années du Mediator. Après avoir entendu et lu des suspicions sur ce médicament, je me lance dans une enquête très longue en alertant en vain dès 2007 l’agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), et le Médiator ne sera retiré du marché qu’en novembre 2009.

 

Qu’avez-vous appris durant toutes vos recherches ?

I.F. – Je découvre tout au long de mon enquête une AFSSAPS sous la coupe de Servier, le laboratoire influençant les nominations de certains experts de l’agence, faisant moduler des rapports de pharmacovigilance, et faisant pression sur les cardiologues s’inquiétant de valvulopathies causées par le Mediator. Je soupçonne alors l’existence d’une délinquance industrielle touchant à des intérêts de plusieurs milliards d’euros et influente dans le monde entier. L’AFSSAPS, tétanisée face à Servier, se contente de retirer le médicament en ne disant rien à personne, laissant ainsi des milliers de malades seuls, qui ne pouvaient même pas faire valoir leurs préjudices puisqu’ils n’étaient pas au courant des causes de leur maladie. Trouvant cette affaire inadmissible je décide de la porter sur la place publique, en écrivant « Mediator 150 mg : Combien de morts ? », un livre très factuel avec des documents accablants à l’appui. Servier saisit la justice et fait censurer le livre, je suis menacée par les experts de l’AFSSAPS dans une campagne de dénigrement et je dois mon salut au député socialiste Gérard Bapt, cardiologue de formation, qui reprend ce combat en juin 2010. S’appuyant sur une étude de la caisse nationale d’assurance maladie, il fait éclater le scandale et contraint l’AFSSAPS à reconnaître le nombre de morts. Aujourd’hui la dernière estimation fait état de 1300 à 2000 morts et des milliers de victimes atteintes de valvulopathies.

 

Où en sont les victimes et quelles sont les retombées de cette affaire ?

I.F. - Xavier Bertrand a été très efficace et engagé sur cette affaire en mettant en place depuis septembre 2011 un fonds d’indemnisation pour les victimes du Mediator, afin de traiter leur dossier de façon humaine et les aider à négocier avec Servier pour être indemnisé. Maintenant des procès vont avoir lieu dès le mois de mai avec je l’espère une justice exemplaire pour qu’on en finisse avec les mensonges de Servier, les victimes étant dans un désarroi inimaginable. Cette affaire m’a permis de me rendre compte que nos institutions censées nous protéger sont très sensibles à la pression des lobbys, à la corruption, avec une gestion calamiteuse des conflits d’intérêts. En allant voir un médecin, un patient n’est pas sûr d’avoir une information qui ne soit pas biaisée par les intérêts de l’industrie pharmaceutique. Pour éviter de nouveaux scandales, une réforme importante vient d’être votée sur la transparence du médicament concernant tous les acteurs, des industriels au monde médical en passant par les autorités sanitaires.

C’est une étape mais il faut maintenant une vraie volonté politique pour assurer l’indépendance des uns par rapport aux autres. Il n’est pas normal que l’autorisation de mise sur le marché d’un médicament dépende d’études financées exclusivement par l’industrie pharmaceutique. La nouvelle loi prévoit aussi un portail public d’informations sur les médicaments géré par les institutions sanitaires. Il y a en France un problème d’éducation vis-à-vis du médicament et de son réel apport, nous avons un effort pédagogique pour moduler sa consommation. La révolution majeure des médicaments au XXe siècle qui a transformé la vie des patients, a renforcé la foi dans ces produits, mais aujourd’hui le marketing prend le pas sur l’intérêt et la sécurité des consommateurs.

 

Quelle est votre opinion sur les risques sanitaires encourus par les agriculteurs et comment résoudre le problème des déserts médicaux ?

I.F. – J’ai passé mes étés dans la ferme familiale en Charente-Maritime où ma famille produit encore aujourd’hui de l’élevage, de la vigne et des céréales. Les agriculteurs ont payé lourdement l’absence de réelle sensibilisation aux risques encourus. En plus de mon service au CHU de Brest, je soigne aussi une population rurale à Carhaix où beaucoup d’agriculteurs bretons ont souffert physiquement d’une exposition très forte à des aérocontaminants et des pesticides, et il a fallu du temps avant que cela soit pris en compte. D’autre part, je réalise qu’il y a certainement dans le domaine agricole, concernant la protection de l’environnement, des pressions, des manipulations, des mensonges de la part de divers lobbys comme des autorités de régulation qui sont peut-être pires que dans le domaine de la santé.

Le concept du médecin de campagne disponible jour et nuit est fini, il faut maintenant des maisons médicales de proximité où des praticiens venant de villes plus importantes puissent se relayer pour assurer le tissu de soins médicaux. Il faut donner envie aux jeunes médecins de s’installer dans la ruralité mais on ne peut pas les abandonner dans des zones où il n’y a rien, par exemple au plan universitaire, pour leurs enfants.

 

Comment se porte le monde hospitalier et quelle est votre perception de la crise ?

I.F. - Les contraintes financières et budgétaires ont conduit petit à petit à assimiler l’hôpital à une entreprise qui devrait être rentable, c’est une absurdité. Les objectifs de rentabilité dans les hôpitaux publics comportent un grand nombre de travers délétères qu’il faut corriger d’urgence. Cela dit, nous avons de bons hôpitaux, une médecine performante mais qui doit être plus économe quitte à fâcher les industriels et autres acteurs de santé touchant aux intérêts privés. La crise n’affecte pas le domaine hospitalier, les problèmes existaient déjà auparavant. Mon expérience avec l’affaire du Mediator m’a montré les mécanismes en place qui sont partout les mêmes aujourd’hui, consistant à préserver pour une petite classe de dominants l’accaparement des richesses de notre société. J’espère que l’élection présidentielle va permettre de briser ce cycle infernal, qui favorise une entente entre « oligarques » pour préserver argent, richesses et pouvoir.

 

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Le goût de l’excellence

Publié le par michelmonsay

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Dans un décor classé, au cœur du pavillon Ledoyen créé en 1792, officie l’un des plus grands cuisiniers, Christian Le Squer, qui s’apprête à fêter ses 10 ans de 3 étoiles au Michelin. Si sa cuisine aux saveurs uniques magnifie la gastronomie française chez Ledoyen, on peut aussi la goûter dans deux restaurants aux prix plus accessibles que ce chef d’origine bretonne de 49 ans a ouvert récemment.


Au sein du groupe Epicure dont il est un des 7 actionnaires, Christian Le Squer est directeur de toutes les cuisines et de la stratégie culinaire des 3 établissements qui composent le groupe. Evidemment Ledoyen, qui sert en moyenne 280 couverts par jour à la fois dans son restaurant 3 étoiles avec un ticket moyen de 300 € et dans ses salons de réception. Le restaurant Etc créé en 2008, un bistrot chic à la déco contemporaine proposant une cuisine rustique avec élégance qui a une étoile au Michelin et dont le ticket moyen est de 80 €. Enfin le petit nouveau, La grande verrière dans le jardin d’acclimatation, un restaurant familial qui a ouvert cette année en proposant des plats simples revisités par le chef avec un ticket moyen de 28 €.

« Dans une économie qui change énormément, analyse Christian Le Squer, on doit être capable de s’adapter à ce que les gens recherchent. Le fait de jouer dans différentes catégories de prix avec les 3 restaurants, nous permet de sortir de notre tour d’ivoire, d’avoir une ouverture d’esprit, une culture de savoir toucher à tous les produits et d’être accessible à un plus grand nombre. » Le groupe a d’ailleurs en projet un nouveau restaurant avec un menu à 22 € boissons comprises.


 Une cuisine en mouvement

D’un restaurant à l’autre chacun dans son style de cuisine, au-delà de l’élaboration des plats, de la recherche des saveurs, il y a une différence de matières premières, où d’un côté le cuisinier a les meilleurs produits possibles et de l’autre des produits moins onéreux dont il va tirer le maximum. Afin d’alimenter les 3 cartes qui sont renouvelées régulièrement, Christian Le Squer donne ses consignes chaque jour à deux de ses cuisiniers, pour faire des essais durant deux heures à la recherche d’un goût, d’une cuisson. L’élaboration d’un nouveau plat prend environ un mois pour trouver l’assemblage et les saveurs recherchées. Dans cette cuisine en mouvement perpétuel, en plus de créer de nouveaux plats, il fait évoluer les anciens, saison après saison, jusqu’à obtenir un mariage parfait qui donne parfois de très grands plats et font la réputation d’un grand chef.

Ainsi chez Ledoyen, il y en a 5 qui atteignent les sommets de la gastronomie française : le turbo, les langoustines, l’anguille, les ris de veau et le croquant de pamplemousse cuit et cru. Pour comprendre ce que signifie un tel niveau, Christian Le Squer explique : « Au fil des années, on devient chef de cuisine et à un moment on franchit le pas, on devient un palais. On a acquis une sensibilité du palais que d’autres n’ont pas. À force de mâcher, d’avoir toujours quelque chose dans la bouche, tout à l’heure j’avais par exemple une queue de persil, on enregistre tous les goûts et on se constitue une mémoire. »

 

Le moindre détail a son importance

A l’image de son père ébéniste qui remettait jusqu’à la perfection son ouvrage sur le métier, le fils cuisinier est aussi travailleur, insatisfait et perfectionniste avec un trait de caractère en plus, il est très gourmand : « Un plat chez Ledoyen, c’est comme un diamant, il me faut d’abord la pureté du produit, à laquelle je rajoute la touche qui va le sublimer. » Pour obtenir les meilleurs produits, il fait appel à de nombreux artisans et producteurs avec pour chaque catégorie de marchandise, plusieurs fournisseurs chez lesquels il prend parfois un seul produit pour sa qualité remarquable. De la présentation dans l’assiette au découpage par le client pour savoir comment le plat réagit, tout est étudié par Christian Le Squer, jusqu’au mâchage où toutes les saveurs, les consistances apportent au palais des sensations étonnantes.

Ses 3 étoiles s’expliquent également par la régularité au plus haut niveau et la précision de sa cuisine, du plus petit canapé jusqu’au dessert en passant par le pain et bien sûr tous les plats : « A chaque bouchée, les saveurs éclatent, elles ne sont pas noyées dans les épices, elles sont naturelles et concentrées. » Pour arriver à cela, il goûte, touche, vérifie tout ce qui passe en salle et n’hésite pas à intervenir pour éviter toute dérive même imperceptible du goût initial du plat.

 

L’épanouissement dans la cuisine

C’est en 2002 que ce grand cuisinier a obtenu les 3 étoiles, il s’en souvient avec émotion : « C’est au-delà de ce que l’on peut imaginer, le respect que l’on vous témoigne dans le monde entier lorsque vous avez 3 étoiles est impressionnant. Les gens viennent goûter votre personnalité dans l’assiette. » Totalement investi dans son métier, il commence ses journées à 8h pour les finir à minuit, avec une coupure chaque jour dans le creux de l’après-midi pour aller courir ou nager pendant une heure. Ce sport salvateur qu’il pratique depuis qu’il est chef lui permet de se détendre entre les deux services, d’avoir un recul sur ce qui s’est passé et de revenir avec des idées fraîches.

Le restaurant étant fermé le week-end, il a toujours pris plaisir à faire le marché et cuisiner pour sa femme et ses deux enfants, en leur faisant profiter de son savoir-faire à travers des plats simples mais cuisinés, et en éveillant leur palais. Son palais à lui a été éveillé dès son enfance près de la rivière d’Etel dans le Morbihan entre les produits de la mer, ceux de la ferme voisine et les légumes du potager de ses parents. Il reste aujourd’hui encore très attaché à sa Bretagne natale où il retourne régulièrement.

 

Naissance d’une vocation

Passionné par la mer durant ses jeunes années, il est très attiré par le métier de marin pêcheur d’autant que ses oncles ont des chalutiers, et c’est en embarquant 15 jours à bord de l’un d’eux qu’il découvre sa vocation à l’âge de 13 ans. Il tombe en admiration devant la capacité du cuisinier à régaler midi et soir dans une ambiance très conviviale, la douzaine de marins qui composent l’équipage. Cette révélation ajoutée à une gourmandise innée le pousse à partir à Paris chez un ami de son père travailler dans une boulangerie, puis à revenir à Vannes pour faire l’école hôtelière pendant 3 ans. Il démarre ensuite dans une pizzeria à Marseille, puis dans un restaurant ayant une étoile au Michelin à La Trinité sur mer avant de revenir définitivement à Paris.

Dans différents restaurants plus ou moins prestigieux, il parfait sa formation en apprenant ce qu’est la cuisine bourgeoise puis la grande cuisine, devient sous-chef au Ritz et obtient sa première place de chef à 33 ans au restaurant Opéra du Grand Hôtel en 1995 : « Au début, j’ai élaboré une carte en reproduisant tout ce que j’avais appris, puis au bout de 6 mois je sentais que ça n’allait pas et j’ai décidé de cuisiner ce que j’aimais manger. Même si c’était un peu brouillon à l’époque, il y avait une sensibilité et une création de saveurs qui n’existaient pas ailleurs. Je pense que ce qui a plu au fil des années en dehors de ma régularité, ce sont mes saveurs mesurées et identifiables et non pas des saveurs qui ne veulent rien dire. »

 

Plus passionné que jamais

Rapidement sa cuisine plaît et son ascension est impressionnante. Il se voit ainsi attribué une étoile dès 1996 puis deux en 1998 avant d’être embauché chez Ledoyen en 1999 et obtenir 3 ans plus tard les fameuses 3 étoiles, que ce grand restaurant n’avait jamais conquises auparavant. Près de 10 ans après cette consécration, aucune lassitude chez ce chef qui parle de son métier avec gourmandise et jubilation : « A notre niveau, chaque jour est différent pour un cuisinier, j’adore manger, goûter et trouver des sensations nouvelles, apprendre la complexité du vin, j’adore aussi l’atmosphère dans les cuisines, aller voir mes clients à table dont beaucoup sont devenus des amis. Quand vous mangez un plat vous voyez la passion du cuisinier, que le menu soit à 18 € ou 180 €. » Il reste néanmoins attentif et lucide sur ce qui se passe en dehors de sa cuisine, tant sur le plan culturel, qu’économique et politique : « Avec l’économie de demain, il faudra peut-être redessiner la gastronomie différemment. »

Publié dans Portraits

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