Cultiver sa différence
Beaucoup de grands noms de la musique rock sortaient un nouvel album en cette rentrée, mais force est de constater qu’il y a de nombreuses déceptions à l’arrivée. A croire qu’il est difficile de savoir se renouveler, d’avoir l’exigence de faire évoluer sa musique vers de nouveaux horizons sans pour autant se perdre. Un groupe l’a pleinement réussi et il n’est pas étonnant de s’apercevoir qu’il s’agit des Arctic Monkeys, peut-être le meilleur groupe rock actuel. Les quatre jeunes anglais de Sheffield installés dorénavant à Los Angeles en sont déjà à leur 5ème disque en 8 ans, et Alex Turner leur leader a même enregistré une musique de film et un magnifique album avec « The Last shadow puppets », groupe qu’il a créé en parallèle. Ce surdoué de 27 ans qui est auteur compositeur et chanteur des Arctic Monkeys, se nourrit de musiques très différentes et cela se ressent dans ce nouvel album, qui propose un rock dans tous ses états allant de rythmiques puissantes, à des sons plus groove et soul, voire des ballades d’une délicieuse suavité où les guitares sont bien présentes. Alex Turner incorpore judicieusement toutes ces influences au style du groupe sans se renier, permettant ainsi à ses compositions de proposer de nouvelles couleurs. Outre cette richesse musicale, l’autre atout est bien évidemment la superbe voix si reconnaissable du leader des Arctic Monkeys. Tantôt rock tantôt crooner ou les deux à la fois avec toujours un phrasé et des intonations bien à lui, sa voix sur les douze morceaux de ce superbe album donne souvent des frissons. En conservant leur sens inné de la mélodie, Alex Turner et ses camarades nous offre une collection de pépites innovantes et inspirées qui contribuent merveilleusement au renouvellement de la musique rock.
Arctic Monkeys – AM – Domino records – 1 CD : 14,99 €.
L’univers carcéral a souvent inspiré les cinéastes. Beaucoup de grands films traitent de ce sujet, mais assez peu l’ont fait d’un point de vue féminin, qui plus est lorsque la détenue est enceinte et va élever son enfant en prison jusqu’à ses 18 mois, comme la loi l’y autorise. Sujet ambitieux pour un premier film, que le réalisateur aborde avec sensibilité mais aussi rigueur et justesse dans un style au réalisme poignant. A 29 ans, Stéphane Cazes montre déjà un admirable sens du cadre, sa caméra capte souvent en gros plan les moindres frémissements des visages, notamment celui de Mélanie Thierry qui exprime aussi bien une infinie douceur qu’une extrême dureté. La comédienne confirme ici avec ce rôle très difficile dans lequel elle s’est totalement investie, une étonnante capacité à jouer des personnages très différents avec une interprétation à fleur de peau. L’ensemble de la distribution, essentiellement féminine, est au diapason et contribue au même titre que la mise en scène et la réalisation, à accentuer le contraste saisissant entre l’innocence des scènes maternelles et l’âpreté de l’environnement. Le film démarre justement sur un joli moment de complicité entre une mère et son petit garçon, puis une porte s’ouvre et l’on s’aperçoit qu’ils sont dans une cellule. On retrouve la jeune femme face à la caméra, elle rend visite à quelqu’un que l’on ne voit pas. Tout en lui montrant la photo de son enfant, elle lui raconte comment le père de l’enfant est mort accidentellement sous ses yeux lors de son arrestation pour trafic de drogue, et que folle de rage elle a planté un couteau dans la cuisse d’un policier. Dès les premières images, le film nous prend aux tripes en s’emparant à bras le corps et sans manichéisme d’une réalité que l’on ne souhaiterait qu’à son pire ennemi.
Ombline – Un film de Stéphane Cazes avec Mélanie Thierry, Nathalie Becue, Corinne Masiero, Catherine Salée, … - ZED – 1 DVD : 19,99 €.
Lorsqu’un écrivain de la stature de Richard Ford, l’un des tous meilleurs américains, publie chose assez rare un nouveau roman, il est fortement conseillé de se le procurer dare-dare et de bien prendre le temps de le savourer. A 69 ans, l’ancien lauréat du Prix Pulitzer nous offre, avec un talent remarquable pour décrire autant les personnages que l’environnement dans lequel ils évoluent, une histoire troublante faite de solitude et de vies gâchées par un acte stupide perpétré en dépit du bon sens. La peinture des petites villes de la ruralité américaine et canadienne, de la nature dans toute sa beauté et sa rudesse, mais surtout l’incroyable sens des détails physiques et psychologiques dont l’auteur habille tous ses protagonistes, même les secondaires, contribuent à donner au roman une force qui enfle au fil des pages, à travers une construction rétrospective très originale et une fluidité qui accentue le plaisir de lecture. Le narrateur, un professeur de littérature de 66 ans, va nous raconter à la première personne les quelques mois qui ont bouleversé son existence et celle de sa famille alors qu’il avait 15 ans dans une petite ville du Montana. Il démarre son récit en nous annonçant que ses parents ont commis un hold-up et qu’un peu plus tard dans sa vie il y eu des meurtres. Une fois le décor planté, nous allons faire connaissance en amont des faits avec le père, la mère et la sœur jumelle de ce gamin de 15 ans qui formaient une famille ordinaire, et dont personne n’aurait pu imaginer que les parents puissent dévaliser une banque. L’écrivain ausculte au plus profond des êtres le douloureux apprentissage de la vie que va vivre ce jeune adolescent, se révélant plus aguerri qu’il n’y paraît, en nous livrant un magnifique roman sans fioritures ni concessions, d’une vérité parfois brutale mais avec une plume laissant entrevoir une belle humanité.
Canada – Un roman de Richard Ford – Editions de l’Olivier – 476 pages – 22,50 €.