Populaire et exigeant
Depuis plusieurs années, Vincent Lindon est au sommet de son art. Il incarne ses personnages avec une justesse sidérante et a le bon goût de choisir ses films en faisant un quasi sans-faute. Cet homme bouillonnant au jeu physique et instinctif, aime les gens et s’en inspire par mimétisme pour toucher la vérité du métier de comédien. A 53 ans avec plus de 50 films à son actif, il est, chose assez rare, autant apprécié du public que de la critique et de la profession.
A l’affiche du plus beau film de la rentrée, « Quelques heures de printemps » , Vincent Lindon dont c’est la deuxième collaboration avec le réalisateur Stéphane Brizé après « Mademoiselle Chambon », a littéralement adoré à la fois le travail avec ce cinéaste et les deux scénarios qu’il lui a proposés. Si à la lecture d’une histoire, ce comédien instinctif rêve d’être le personnage, il acceptera le rôle, aucun autre critère ne compte : « Je ne choisis pas un film parce qu’il est engagé, a un rapport avec l’actualité, ou va me permettre d’être un acteur civique qui défend une cause. Cela dit, tous les grands films que ce soit des comédies ou des drames ont une résonnance sociologique. Pour qu’un film dure et entre dans la mémoire des gens, il ne doit pas être qu’une histoire, il doit aussi parler d’eux. »
Il se trouve que dans son dernier film il est question de la fin de vie, problème qui revient sur le devant de la scène avec la réflexion que vient de lancer le Président Hollande sur le sujet. Qu’un film soit rattrapé ou provoque l’actualité et que l’on en parle ailleurs que dans les pages cinéma, Vincent Lindon ne le recherche pas au début mais il en est ravi si cela arrive. Comme pour « Welcome » avec les immigrés clandestins de Calais. Il n’aime pas les classifications qui différencient un cinéma d’auteur d’un cinéma populaire, selon lui un film peut être les deux à la fois et il ne veut surtout pas être enfermé dans l’un ou l’autre.
Sa conception du métier
Même s’il ne souhaite pas trop parler de sa manière d’aborder un rôle, de s’approprier un personnage, il livre quelques pistes : « Si je cherche à expliquer comment je fais, je vais en devenir conscient et y perdre quelque chose. Je peux seulement dire que je regarde énormément les gens, leur façon de bouger, de parler, comment ils mettent leurs chaussures, retroussent les manches de leur chemise, tournent leur café, comment ils mangent. C’est ça qui m’intéresse et je pense que c’est là où sont les personnages, le reste est de la philosophie.» Lui qui vient d’une famille très bourgeoise, il n’est attiré que par des personnages appartenant aux classes moyennes ou des ruraux : « J’aime leur façon de vivre, d’être pudique avec leurs sentiments. » Etre acteur n’est pas un état mais juste un métier pour Vincent Lindon, et de ce fait il ne se sent pas supérieur aux autres et reste très abordable. Il aime faire des courses au supermarché, prendre le train, boire des coups au café avec des gens, avoir une vie de monsieur tout le monde.
Son jeu physique, qui utilise un incroyable mimétisme, s’épure avec le temps. Il essaie de plus en plus de remplacer une phrase par un regard, une réaction, une émotion, un silence. D’ailleurs, une dame croisée dans la rue lui a dit : « J’adore comment vous faites pour jouer en silence. »
L’incroyable absence de récompense
Depuis de nombreuses années, il est considéré comme l’un des tous meilleurs comédiens français et pourtant il n’a jamais obtenu de prix. A 35 ans, il l’analysait avec tristesse et aigreur, à 45 avec étonnement et aujourd’hui à 53 ans, avec philosophie et joie en se disant : « Pourvu que ça dure parce que ça commence à devenir très classe. Je préfère voir le titre du Parisien l’année dernière, « Vite un César pour Lindon », que de l’avoir. Pardon pour la comparaison mais Chaplin et Mitchum n’ont jamais eu l’Oscar, et Tom Hanks l’a eu deux fois. Ou bien en France, Montand, Ventura, Dewaere n’ont jamais eu de César, franchement ça a de la gueule de ne pas en avoir. » Il reconnaît cependant que des acteurs très talentueux ont un César, mais ce côté très direct lorsqu’il a quelque chose à dire quel que soit son interlocuteur, caractérise assez bien celui que l’on compare souvent à Patrick Dewaere.
Cette liberté qu’il revendique haut et fort est son luxe à lui, pour cela il n’est propriétaire de rien, ni maison, ni appartement, ni bateau, ni piscine et n’a aucun crédit. Il peut ainsi ne pas tourner pendant un moment, choisir les films qu’il veut, refuser des grosses productions mais lorsqu’il s’engage, il a une règle : « Un film est une entreprise et comme mon père m’a toujours appris à être scrupuleux, je ne veux pas qu’un producteur ou un distributeur perde de l’argent dans une entreprise à laquelle j’ai participé amplement. »
Des grands films et des belles rencontres
Sur la cinquantaine de films tournés, Vincent Lindon a l’impression que depuis 1996 et « Fred » de Pierre Jolivet, il s’est passé quelque chose et de ce fait sa filmographie a pris une autre dimension, même si avant il conserve une tendresse pour « La crise » et « Gaspard et Robinson ». Il faut bien reconnaître que depuis une quinzaine d’années, on l’a adoré autant que lui a pris du plaisir à tourner dans Vendredi soir, Welcome, Mademoiselle Chambon, Ceux qui restent, Ma petite entreprise, Toutes nos envies ou son dernier qui sort en septembre, Quelques heures de printemps. Cette carrière de grande qualité signifie aussi pour lui de belles rencontres humaines : « Coline Serreau, Philippe Lioret, Benoit Jacquot, Alain Cavalier, Stéphane Brizé, pour n’en citer que 5. Avec eux, au-delà de l’aspect cinématographique, c’est une façon de se parler, une courtoisie sur le tournage avec les gens de l’équipe et une absence de familiarité qui me plaisent. »
Le théâtre se jouant au moment de la journée où Vincent Lindon aime flâner, boire des coups, refaire le monde, il préfère s’en passer. Cela dit, le cinéma le comble pleinement par sa richesse, sa mobilité où chaque jour est différent, et il ne comprend pas ceux qui disent que le cinéma est moins dangereux que le théâtre du fait que l’on puisse refaire une prise. Lui, dès que la caméra tourne, il est à fond pour donner le meilleur de lui-même.
Une découverte qui a tout changé
Pourtant le cinéma est arrivé par hasard dans sa vie, en s’inscrivant à 24 ans au cours Florent où il y avait des belles filles, il ne pensait pas qu’il allait avoir le coup de foudre pour ce métier. L’adolescent avait rêvé d’être médecin, avocat ou haut gradé dans la police pour mener des enquêtes. Il garde un mauvais souvenir de son enfance jusqu’à 14 ans, avec plusieurs souffrances comme le divorce de ses parents, l’apparition de ses tics. Ensuite, cela s’est amélioré peu à peu et depuis l’âge de 20 ans, cet homme angoissé par la mort adore la vie tout en étant conscient de son caractère bouillonnant : « C’est vivant, ça bouge, ça circule à l’intérieur, je me sens comme le lapin Duracell, je fais marcher mon cerveau en permanence parfois pour des conneries, souvent même, j’ouvre ma gueule tout le temps pour dire ce que je pense y compris quand ça ne me regarde pas, et je suis souvent en colère. »
La presse people qui a régulièrement rendu compte de ses relations, il s’en moque éperdument et leur intente des procès pour le respect du droit à la vie privée et à l’image, et surtout pour qu’on lui fiche la paix.
Des valeurs saines
Nostalgique de la génération précédent la sienne, il n’apprécie que très moyennement notre époque : « Plein d’électrons se heurtent au sens de mes valeurs. » Il ne supporte pas les gens qui passent leur temps plongé dans leur téléphone mobile avec Twitter et Facebook notamment. Il revendique plus de civilité, d’humilité, d’attention aux autres. Lorsqu’il ne tourne pas, Vincent Lindon ne s’ennuie jamais, il aime passer du temps avec ses amis, s’occuper de ses enfants, courir, nager, jouer à la pétanque, regarder des films tard.
Sans plan de carrière même si elle évolue idéalement, il ne pense pas à l’avenir si ce n’est à continuer de découvrir des histoires qui déclenchent en lui l’étincelle : « Je n’ai jamais su vers où je voulais aller, je regarde souvent derrière pour voir si j’ai avancé, mais jamais devant. La définition de l’art est que l’on ne tombe jamais pile là où on l’avait décidé, ou alors on n’a pas fait de l’art. Si jamais demain, aucune proposition ne me plaît pendant 3 ans, j’arrête le cinéma et j’ouvre un restaurant. Je n’accepterai pas un film pour manger. Je ne galvauderai pas ce que j’ai fait avec autant de passion et de précision. »