Le rire et l’émotion

Publié le par michelmonsay

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Un Molière, un César, une brillante carrière tant au théâtre qu’au cinéma, Patrick Chesnais est souvent associé à ce personnage pince sans rire souvent dépassé voire désabusé, qui au final se révèle toujours drôle et attachant. Arrivé à une certaine maturité, il enchaîne films et pièces avec une côte d’amour toujours au beau fixe.

 

Pas de temps mort pour Patrick Chesnais, à peine fini la tournée de la pièce « Toutou » fin janvier, il démarre en province d’abord puis à Paris en septembre, Tartuffe de Molière qu’il va jouer avec Claude Brasseur. Davantage porté vers le théâtre contemporain, même s’il a joué du classique dans la première partie de sa carrière, il préfère les pièces qui parlent des choses d’aujourd’hui, et être plutôt dans la création que reproduire des succès passés, sauf lorsqu’il s’agit de chefs-d’œuvre comme Tartuffe où il y apporte une sensibilité moderne dans le jeu.

Côté tournages, son emploi du temps est aussi bien rempli. Il en a dès à présent deux prévus pour 2012 et il vient de terminer le film de Jean Becker, « Bienvenue chez nous » qui sortira en juin. Il y campe un artiste peintre dépressif qui part de chez lui en voiture, et rencontre une jeune fille asociale de 15 ans. A travers un road-movie, ils vont mutuellement se redonner goût à la vie. Avant cela, il avait tourné un film belge où il jouait un père d’un égoïsme monstrueux qui cache une fragilité. Egalement un polar de Xavier Durringer diffusé le 6 janvier sur France 2, « Hiver rouge », où Patrick Chesnais incarne un commissaire désabusé sur les traces d’un sérial killer, une très belle réussite selon ses dires. Le point commun entre ces trois rôles est une certaine complexité de caractère, à laquelle le comédien apporte quelque chose qui apparemment lui échappe et rend ainsi le personnage attachant.

 

Le plaisir d’être en tournée

Ce planning très serré l’a obligé à réduire la tournée de Toutou à deux mois, mais comme il enchaîne avec Tartuffe en province, il va pouvoir apprécier ces moments privilégiés : « A l’inverse de Paris, on ne joue pas tous les jours et c’est chaque fois dans des endroits différents, il n’y a donc pas de saturation ni de fatigue. On est en forme dans un lieu agréable sans les tracas du quotidien, on laisse le temps filer, on bouquine, on se promène, s’il y a un spa dans l’hôtel, on s’occupe de son corps, puis le soir on est acclamé dans une salle comble en étant mieux payé qu’à Paris, et pour finir il y a toujours un bon restaurant après. Quant au public, le second degré et la finesse passent mieux à Paris, mais les réactions peuvent être beaucoup plus fortes en province. »

Le bonheur avec Patrick Chesnais est qu’il ne manie pas la langue de bois, si répandue de nos jours, et n’hésite pas à dire qu’il regrette d’avoir accepté de jouer Toutou. Mis à part le challenge excitant d’être constamment en scène avec sa femme Josiane Stoléru, il trouve la pièce en elle-même plus limitée que toutes celles jouées jusqu’alors. Pourtant, le public sort ravi et rit de bon cœur à cette histoire de couple qui part en vrille à la suite de la perte de leur chien, mais sur la durée, ce n’est pas le succès que rencontre habituellement Patrick Chesnais. Avec Tartuffe, il est évident qu’il n’aura pas ce regret, et dès les répétitions il sent déjà la force de chaque mot.

 

Les coulisses de l’acteur

Instinctif dans son jeu, il ne croit pas à la technique : « Pour un acteur, la technique c’est vivre, apprendre la vie, respirer la vie et la restituer le mieux possible. Derrière l’acteur, il y a avant tout l’homme qu’il est, ce qui transparaît de lui qu’il le veuille ou non. » Lorsqu’il joue au théâtre à Paris, afin d’éviter l’usure : « Nous devons redécouvrir le texte tous les soirs, pour cela on s’appuie sur le public et selon ses réactions, on joue différemment. S’il ne rie pas, on se retrouve dans une pièce plus réaliste voire dramatique et je vais jusqu’au bout de cette logique, alors que le lendemain la salle va peut-être hurler de rire. Quand une situation est juste, il y a un effet de miroir et le public rie de se reconnaître. » Il explique très bien la différence entre le théâtre et le cinéma qu’il pratique simultanément : « Au théâtre, on donne énormément, c’est comme un show partagé avec des centaines de personnes. Au cinéma, on vous prend, on vous capte, on vous arrache quelque chose de l’ordre de l’intime. »

S’il aime beaucoup travailler dans le cinéma, cela dépend aussi de la qualité des scénarios, il en reçoit beaucoup et sait au bout de 10 pages si le film va se faire. Il recherche avant tout une certaine cohérence entre le scénario, le travail avec le réalisateur, le résultat du film terminé et son succès auprès du public. A l’image de  « Tu seras mon fils » qui sort fin janvier en DVD, dans lequel il joue le régisseur d’un domaine viticole aux côtés de Niels Arestrup, un film qu’il juge très réussi et qui a eu un joli succès.

 

Une plus grande liberté

Il a l’impression à 64 ans d’être arrivé à une certaine maturité tout en étant en pleine possession de ses moyens, notamment au cinéma où il sent plus de liberté et de maîtrise devant la caméra : « Avant j’étais soit dans la comédie avec la tête dans les nuages, soit dans quelque chose de plus sombre, aujourd’hui tout se mélange. On me propose des personnages plus complexes, peut-être grâce à une sorte d’accomplissement entre l’homme que je suis devenu, l’expérience, la force, la plénitude et quelque chose qui ressemble à du bon sens. Le public me perçoit comme étant un pince sans rire un peu bougon, un peu désabusé, ayant un mauvais caractère mais étant drôle. Même si c’est réducteur il y a quelque chose de vrai. » Cette maturité lui évite aujourd’hui d’avoir le trac, sauf lors des premières et des représentations exceptionnelles comme en 2010 juste avant la cérémonie des Molières, lorsqu’il a joué une pièce de Feydeau en direct à la télé et devant toute la profession.

Après avoir été contemplatif à ses débuts, il a besoin aujourd’hui d’avoir une vie agitée où il se passe sans arrêt quelque chose. Pour cela, il enchaîne films, téléfilms, pièces et continue à s’occuper de l’association Ferdinand qu’il a créé à la mort de son fils, tué en 2006 alors qu’il avait 20 ans, dans un accident de voiture provoqué par un ami ivre qui conduisait le véhicule dans lequel Ferdinand était passager. Patrick Chesnais avec son association attire régulièrement l’attention dans les médias, avec des clips ou des courts-métrages poignants pour alerter contre l’alcool au volant chez les jeunes. Pour prolonger la vie de son fils, il a aussi écrit un livre : « Il est où, Ferdinand ? »

 

Etonnant de facilité

Même si dès l’âge de 7 ans, il avait fabriqué un théâtre dans sa chambre et jouait des personnages avec ses copains, il ne concevait pas de devenir acteur professionnel. Puis à 16 ans passés, un matin en se réveillant, il a eu la révélation. Plutôt mauvais élève en classe, cette vocation dont il prend subitement conscience va l’emmener sur une voie royale avec une facilité déconcertante. D’abord au conservatoire de Rouen, ville où il a passé son enfance, puis au fameux Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris dont il ressort avec le 1er prix de comédie. Tout s’enchaîne ensuite naturellement, d’abord au théâtre puis au cinéma à partir de 1974, où depuis il est un des rares comédiens à jouer autant sur scène que devant une caméra. Pour comprendre cette insolente réussite, ce sont les mots que lui a confié en 1971 l’acteur Marcel Dalio qui sont les plus justes : « Toi, tu as les deux, faire rire et émouvoir, c’est très rare. » Savoir provoquer le rire pour Patrick Chesnais : « c’est avoir un regard différent sur le monde, une part d’innocence, d’enfance, mêlée à une sensibilité tout en sachant être réactif. »

 

Comblé mais pas tout à fait

Dans les 70 films, 30 téléfilms et 50 pièces qu’il a joués, se détachent « Cochons d’Inde » un bijou d’humour et d’absurde qui lui a valu le Molière du meilleur comédien 2009, « Je ne suis pas là pour être aimé » le très beau film de Stéphane Brizé en 2005 dans lequel Patrick Chesnais est remarquable, et aussi « La lectrice » le joli film libertin de Michel Deville où il a obtenu le César du meilleur second rôle. Les critiques lui ont très souvent été favorables, surtout au théâtre, et si tous ses désirs professionnels sont comblés, il aimerait revenir à la réalisation qu’il avait déjà touché à deux reprises et continuer à jouer : « J’ai toujours l’envie d’aller plus loin avec des scénarios encore meilleurs, j’aime jouer, ça me fait du bien, sinon je commence à m’embêter. »

 

Publié dans Portraits

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L
superbe ! et direct dans la revue de Caphys de ce samedi
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M
<br /> <br /> merci ! J'irai donc voir la revue demain<br /> <br /> <br /> <br />