Au cœur d’un triomphe sans précédent
Un des acteurs majeurs du phénoménal succès de The Artist, Ludovic Bource, a reçu 24 récompenses pour la musique qu’il a composée, dont l’Oscar, le César et le Golden Globe. Du jamais vu dans sa catégorie, à l’image du raz de marée que le film a opéré dans les différentes remises de prix du cinéma à travers le monde, avec 131 récompenses. A l’occasion de la sortie en DVD, retour sur cette aventure hors normes qu’a vécue l’équipe du film.
Comment analysez-vous l’impressionnante collection de récompenses obtenues par le film ?
Ludovic Bource - Les gens ont été sincèrement touchés par le romantisme du film, l’élégance, la retenue, l’absence de violence, la simplicité qui s’en dégagent. C’est souvent ce qui ressort des témoignages de membres des différentes académies cinématographiques qui nous ont décerné des prix, ils ont reçu le film comme une sorte de bouffée d’air. Il faut dire qu’un film muet en noir et blanc, c’était plutôt inattendu. Il y a aussi peut-être ce côté cyclique de crise économique, l’histoire qui se passe au moment du krach boursier de 1929, participe à un phénomène d’air du temps avec les mêmes problématiques. Le réalisateur a mis toutes ses tripes dans ce projet de film muet en noir et blanc qui lui tenait à cœur depuis 10 ans. De plus comme il est fidèle, l’équipe a été quasiment la même pour ses 3 derniers films, et chacun dans son domaine, de Jean Dujardin et Bérénice Béjo à tous les techniciens, a voulu aller encore plus loin, se donner totalement.
La musique du film a été incroyablement plébiscitée, comment l’avez-vous conçue ?
L.B. - Il est vrai que c’est la 1ère fois qu’un compositeur français obtient toutes les récompenses majeures du cinéma mondial pour un même film. Pourtant ma musique est simple, pas virtuose comme celle de John Williams qui concourrait aussi pour les Oscars. Comme il n’y avait pas de dialogues et pour que le film soit prêt pour le festival de Cannes, j’ai travaillé sans repères en amont, uniquement sur le story-board avec les dessins du réalisateur qui précisaient les axes de caméra, les expressions des comédiens, les différentes situations. Autant pour la 1ère partie où l’humour est très présent, j’ai assez facilement trouvé les thèmes musicaux qui habillent la star du muet jouée par Jean Dujardin. Pour la seconde, c’était un peu plus délicat, il fallait trouver le ton juste en étant sobre limite naïf. Je me suis inspiré d’un poème de Hans Schmidt mis en musique par Brahms, pour accompagner le déclin de la star avec une certaine élégance, un romantisme. Il y a aussi dans le film un hommage au jazz de Cole Porter et au music-hall. J’ai eu la liberté de pouvoir mélanger les genres à ma guise. Il est sûr que l’absence de dialogues, de bruitage, met la musique au premier plan.
Comment l’ensemble de l’équipe a vécu cette folle année ?
L.B. - Cette aventure nous a rapprochés et nous sommes restés soudés tout au long de la promotion du film et des nombreuses soirées de récompenses. Cela a commencé en mai 2011 à Cannes jusqu’au voyage au Japon il y a quelques jours où le film vient de sortir. Michel Hazanavicius le réalisateur, qui est quelqu’un de pudique, s’est ouvert un peu grâce à cette année incroyable. Au-delà de la notoriété et des projets qui pourraient en découler notamment aux Etats-Unis, tout cela nous a donné de la confiance, ça nous rend tous un peu plus fort. On a été dans une sorte d’euphorie permanente durant toute cette campagne, et on commence aujourd’hui à réaliser ce qui s’est passé. Quand je regarde les statuettes sur mon piano, je me dis que c’est quand même gonflé d’avoir eu tout ça.
Quelles récupérations engendrées par ce triomphe vous viennent à l’esprit ?
L.B. - Déjà pour les journalistes, la manière dont ils manipulent et réinterprètent les choses, dont ils considèrent les gens, et je ne fais pas de généralités en disant cela, ce sont des faits constatés à Los Angeles pour les Oscars, où ils se sont livrés une véritable guerre pour savoir qui aurait l’équipe du film en premier. Côté politiques, Nicolas Sarkozy nous avait invités à déjeuner à l’Elysée pour célébrer le film, Michel Hazanavicius ayant décrété qu’on irait ensuite voir François Hollande, le déjeuner a été annulé. Etant plutôt de gauche et comme nous sommes en période électorale, il ne voulait pas que The Artist soit récupéré par le candidat Sarkozy.