Quel choc !
On l’avait découverte à 17 ans dans le film des frères Dardenne, Rosetta, pour lequel elle reçut le prix d’interprétation féminine à Cannes en 1999 et Palme d'or pour le film. Émilie Dequenne est morte dimanche soir 16 mars des suites d’un cancer rare. Elle avait seulement 43 ans. La foutue maladie contre laquelle elle luttait aura fini par l'emporter. Depuis octobre 2023, l’actrice médiatisait courageusement son combat contre le corticosurrénalome, un cancer de la glande surrénale, extrêmement rare, extrêmement agressif, touchant une personne sur un million. Sa dernière apparition en pleine lumière remontait au festival de Cannes 2024 : alors en rémission, cheveux courts et allure de combattante, elle montait les marches du Palais des festivals, à l’occasion des 25 ans de Rosetta, des frères Dardenne, le film qui a scellé sa carrière de comédienne et changé à jamais sa vie. Son entrée dans le cinéma fut fracassante : nez rougi par le froid, rage au ventre, elle a d’emblée crevé l’écran en 1999, avec cette composition de petite ouvrière rageuse, prête à tout pour retrouver du travail. Le coup d’essai se transforme en carrière éclectique. On la retrouve en marquise dans Le Pacte des loups (Christophe Gans, 2001), en femme de ménage chez Claude Berri (Une femme de ménage, 2002). Dans La Fille du RER, d’André Téchiné (2009), elle fascine en jeune femme à rollers, gracieuse et ambiguë, s’inventant une agression antisémite, pour attirer l’attention. Puis il y a eu A perdre la raison, de Joachim Lafosse (2012), où elle incarne une mère infanticide, piégée dans sa vie de femme au foyer, partition déchirante d’une descente aux enfers, qui lui vaut un second prix d’interprétation à Cannes, dans la catégorie Un Certain regard. C’est un autre de ses compatriotes, Lucas Belvaux, qui lui offre deux de ses plus beaux rôles : Dans Pas son genre (2014), où, solaire et émouvante, elle joue une coiffeuse amoureuse d’un jeune prof de philo (LoÏc Corbery), et se heurte au choc des cultures et des sentiments. Puis Chez nous, qui la voit endosser le rôle d’une jeune ouvrière, tentée par les idées extrémistes (2017). Elle avait une féminité solide et sans chichi que Pierre Jolivet saura magnifier en la transformant en femme pompier dans Les hommes du feu (2017). Loin des icônes éthérées, du glamour factice, Émilie Dequenne tendait un miroir à toutes les femmes. Elle représentait une figure accessible, une forme de spontanéité fraîche, jolie fille à la vie normale, équilibrée. Il y a eu enfin, Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait (2020), d’Emmanuel Mouret, qui lui valut un César, où elle bouleverse en femme trompée, digne et compréhensive, préférant sacrifier son bonheur à celui de son compagnon. Guerrière du quotidien, vaillante et sincère, elle a osé parler ouvertement de la maladie, brisant au passage quelques tabous. Elle a ainsi témoigné avoir appris, en surfant sur internet, qu’elle était remplacée pour le tournage d’un film à venir, sans avoir été avertie directement. Dans une industrie régentée par l’apparence, d’où rien ne dépasse, elle s’est assumée malade, fragile, la boule à zéro, ne cachant rien de ses angoisses de mourir, n’hésitant pas à s’afficher sur les réseaux sociaux dans son quotidien hospitalier. Courageuse et franche, jusqu’au bout, regardant le monde, et les autres, droit dans les yeux. La vie est parfois si injuste, cette actrice que l'on adorait, en apprenant sa disparition, une boule à l'estomac est venue se loger en nous et c'est peu dire que nous allons la pleurer.