Récit fascinant sur un athlète cambrioleur troublant de sincérité
Vainqueur le jour, voleur la nuit, on pourrait résumer ainsi l’existence de Toumany Coulibaly. Il ne s’agit pas d’une double vie, plutôt de l’inintelligible imbrication de deux réalités dissonantes : athlète de haut niveau au début des années 2010, en 2015, à 27 ans, le jeune homme a remporté le titre de champion de France du 400 mètres en salle, Toumany Coulibaly a multiplié dans le même temps les cambriolages nocturnes de pharmacies, de bureaux de tabac, de magasins de téléphonie… Comme porté par un élan irrésistible, répondant à un appel aussi impérieux qu’indéchiffrable, même par lui. Une obsession que Mathieu Palin, journaliste et écrivain, entreprend d’ausculter dans Ne t’arrête pas de courir. Pour cela, il a rencontré Toumany Coulibaly à maintes reprises, au parloir du centre pénitentiaire de Réau. Il l’a vu et revu, écouté dérouler le fil d’une existence qui aurait pu tourner tout autrement et confesser sa « honte ». Il a noué avec lui des liens d’affection, peut-être même d’amitié, et a scruté son propre visage dans le miroir vers lui tendu par la vie de cet exact contemporain, tous les deux sont nés en 1988, ont grandi en banlieue parisienne, et connaissent cette passion de l’effort physique et du dépassement de soi que suppose la pratique sportive de haut niveau. C’est ainsi qu’ils finissent par être deux à se partager le premier rôle, dans cet ouvrage poignant d’âpreté et de franchise : l’athlète Toumany Coulibaly, au seuil peut-être d’un nouveau départ lorsque se clôt le récit, et Mathieu Palain lui-même, enquêteur et auteur empathique, journaliste scrupuleux au point d’éprouver la nécessité de sonder l’origine de ses propres obsessions. En l’occurrence la justice, qu’on prétend au mépris de l’évidence être la même pour tous, et le système carcéral, instrument du châtiment suffocant qu’est la privation de liberté. Ce destin raconte aussi un lieu : la banlieue parisienne, trop souvent réduite à la question des cités. L'auteur décrit bien les matins gris des quartiers pavillonnaires, les autoroutes, les silhouettes avalées par les halls d'immeuble… et la capitale toute proche et si lointaine. Une investigation en clair-obscur dans laquelle il interroge les chances que chacun a ou non dans la vie. Dans les traces d'Emmanuel Carrère, Mathieu Palain manie l'art délicat de se mettre en scène au second plan. Cet excellent roman de non-fiction narrative, qui raconte la vie d'un personnage aussi complexe que fascinant, a reçu le Prix Interallié 2021.