Émouvante saga familiale du monde paysan
Gilles Perret est né et a grandi à 100 mètres des trois frères Bertrand et de leur exploitation laitière du nord de la Haute-Savoie. En 1997, c’est en voisin qu’il racontait leur histoire dans son tout premier documentaire, Trois Frères pour une vie. À l'époque, les trois agriculteurs étaient en train de transmettre leur ferme à leur neveu Patrick et à sa femme Hélène, confiants dans les décisions que les jeunes allaient prendre pour cette terre et ces vaches qui représentaient bien plus qu’un maigre gagne-pain : le sens de leur vie. L’année dernière, c’était au tour d’Hélène de passer le relais à d’autres membres de la famille. Alors, Gilles Perret a repris la caméra, mêlant images et témoignages d’hier, d’avant-hier et d’aujourd’hui : ils les enchevêtrent, ainsi, avec des raccords qui abolissent le temps, pour la plus juste chronique qui soit d’un demi-siècle d’existence agricole. Tout bon documentaire requiert ses héros et c’est peu dire que Joseph, André, et Jean ont un charisme de cinéma avec leur présence, leur parole sur l’amour du travail bien fait et l'endurance face à la dureté du métier et des éléments. On est au-delà de la proverbiale sagesse paysanne : chacun de leurs gestes, rajuster une grande faux sur son épaule noueuse, rouler une cigarette en attendant la fin de la pluie ou se faire une tartine sur une table qui est loin de crouler sous les victuailles, renforce leur discours sur la pénibilité, le poids du destin, une certaine idée du bonheur. Ces moments sont d'une grande puissance et d'une belle émotion, comme retrouver André, le dernier survivant, en 2023. Mais c’est sur un robot de traite, digne d’un film de science-fiction, que le documentariste a choisi d’ouvrir La ferme des Bertrand, car il n’est pas question de passéisme, ici, mais de transmission, d’adaptabilité pour les successeurs d’Hélène. Évidemment, on hérite de l’histoire de ceux qui se sont tués à la tâche et on ne les oublie pas, dans ces décors montagnards somptueusement filmés dans leur beauté imperturbable. Néanmoins, la modernité est là, et il s’agit, pour la nouvelle génération, d’en user pour perdurer, consciente des changements climatiques, animée du même amour de la nature que les anciens qui n’appelaient pas encore cela de l’écologie. Avec ce film si personnel, peut-être son plus beau, Gilles Perret embrasse plus que jamais le singulier et l’universel pour transmettre la vérité pérenne du monde agricole.
La ferme des Bertrand est à voir ici pour 2,99 € en location ou sur toute plateforme de VOD.