Un drame poignant sur les heures sombres du Brésil
Le metteur en scène brésilien Walter Salles, auteur de deux très beaux films, Central do Brazil, et Carnets de voyage, n’avait rien réalisé depuis Sur la route en 2012, en dehors d'un documentaire sur le cinéaste chinois Jia Zhang-Ke (2014). Voici que débarque sur les écrans son nouveau long métrage de fiction, Je suis toujours là, dénonciation en règle des méthodes autoritaires du régime dictatorial des années 1970, entre tortures et disparition des opposants. Un film intense, dont le scénario a été primé à la dernière Mostra de Venise. Adaptation du livre éponyme du fils du protagoniste, Marcelo Rubens Paiva, écrivain, ce film poignant est en effet avant tout le portrait d’une épouse et mère, tentant de protéger ses enfants de la réalité, alors qu’elle recherche son mari disparu. Choisissant de montrer le contraste entre un foyer bouillonnant, où interagissent dans une belle complicité, le père ancien député socialiste avant la dictature, la mère, et leurs 5 enfants (4 filles et 1 garçon), et un régime omniprésent, assurant fouilles arbitraires, contrôle de la presse et des publications, il pose d’emblée le régime en opposition aux notions de joie, de festivité et de libres échanges. La caméra méticuleuse de Walter Salles s’accroche à la figure de proue de cette héroïne en pleine tempête, le personnage de la mère, interprétée par Fernanda Torres, qui vient d'obtenir le Golden globe de la meilleure actrice, formidable de droiture et de combativité, cachant ses émotions, tentant de résister aux pressions, capable de révolte comme de profonde compréhension, c’est dans ses interactions avec d’autres familles qu’on peut lire ponctuellement sa détresse. Je suis toujours là est un mélo déchirant, terriblement humain et parfois même romanesque mais aussi un manifeste précis et posé sur les rouages de la terreur politique. Cette sombre époque, jamais exorcisée par un pays qui en a vu d’autres, Walter Salles, 68 ans, l’a vécue. Mieux : il a connu ses personnages, le couple et ses cinq enfants et fréquenté, adolescent, leur foyer de Rio, face à l’océan, ouvert au soleil, rempli d'amis de tous âges et de musique, et a gardé le vif souvenir d’une dolce vita à l’insouciance probablement demi-feinte vu le contexte politique effroyable dont chacun préférait se raconter qu’il saura le contourner. Plutôt qu’une implacable démonstration à la Costa-Gavras (Z, L’Aveu), le cinéaste emprunte une voie intime, entre chronique familiale et portrait de femme. Le système totalitaire y tient bien sûr un rôle central, en ce qu’il fracture le long métrage, créant un avant et un après tant dans les âmes que dans la mise en scène. Au Brésil, ce film phénomène a séduit plus de 3 millions de spectateurs, et on ne peut que s'en féliciter en se rappelant que Bolsonaro et sa clique n'ont eu de cesse de clamer leur admiration pour les riches heures de la junte militaire de cette époque.