Un cinéaste et deux actrices en état de grâce

Publié le par Michel Monsay

Un cinéaste et deux actrices en état de grâce

Magistralement écrit et interprété, sobrement réalisé, le vingt-troisième film de Pedro Almodóvar est un très touchant appel à la sollicitude et, si possible, à l’empathie, comportements en voie de disparition aujourd’hui. Un appel entendu par le jury de la dernière Mostra de Venise, qui lui a attribué son Lion d’or. La Chambre d’à côté est, en effet, un film en totale révolte contre le monde d’aujourd’hui, profondément ancré dans l’égocentrisme haineux et tenté par le totalitarisme soi-disant salvateur. Outre le formidable talent du cinéaste qui nous éblouit à chaque plan, il y a la sublime interprétation des deux actrices au sommet de leur art. Pedro Almodóvar avait déjà travaillé avec Tilda Swinton dans l’un de ses deux courts-métrages en langue anglaise, La Voix humaine (d’après Cocteau en 2020), et voulait renouer avec cette expérience. Il savait que Julianne Moore, au jeu d'une grande capacité d'écoute, serait sa partenaire tout indiquée. D’où la très directe référence au tandem Bibi Andersson Liv Ullmann du Persona d’Ingmar Bergman, dont le cinéaste espagnol atteint la profondeur et l'exceptionnelle direction d'actrices. Une référence accompagnée de plusieurs autres, toutes en relation étroite avec les différents thèmes abordés, comme la mort inéluctable (The Dead de James Joyce, si fidèlement adapté au cinéma par John Huston en 1987 (Gens de Dublin) ), ou la solitude apaisée (le tableau d’Edward Hopper, People in the Sun). Des citations qui donnent au film une ampleur artistique universelle, sans pour autant lui ôter sa dimension éminemment personnelle, Pedro Almodóvar continuant sa magistrale série de portraits féminins, comme toujours plongés dans son univers chromatique de prédilection, ses rouges, ses jaunes et ses verts, qu’il doit, comme il le reconnaît souvent, « au Technicolor de son enfance ». Un film qui, d’autre part, présente un engagement humain et politique, puisque, en Espagne, une loi a été votée, le 25 juin 2021, autorisant l’euthanasie. Un film donc à la fois beau et courageux. Ceux qui redoutaient que Pedro Almodóvar perde son âme en traversant l'Atlantique et en tournant son premier film américain en seront pour leurs frais. La chambre d'à côté évolue aux antipodes de l'accablant formatage de mise à Hollywood, ignore les tics du cinéma indépendant US et, par ailleurs, jette un regard pour le moins critique sur une Amérique en proie à la bigoterie et à l'obscurantisme. Le cinéaste joue merveilleusement du champ-contrechamp, et filme la peur dans un regard esquissé, le doute au détour d'une parole hésitante, le sentiment indicible éprouvé face à une chaise vide qui, une fois la porte fermée, raconte que l'absence durera toujours. Il orchestre ces derniers moments avec un art époustouflant de la délicatesse et de la suggestion. Pas un mot superflu, pas une scène de trop dans ce chef-d’œuvre murmuré.

Publié dans Films

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