Magnifique récit de deuil
Dans ce récit magnifique, Prix Goncourt 2022, pur comme une chanson d’enfant, Brigitte Giraud dépasse l’histoire personnelle pour dire l’universalité de la perte et de la reconstruction. Son écriture, toujours sobre mais jamais modeste, est moderne et envoûtante, complice et pudique. Chaque chapitre décrit des émotions à fleur de peau, des esquisses de sourire, des bonheurs réifiés, et rappelle ainsi la puissance de l’écriture qui préserve le souvenir quand la vie va trop vite et qu’on voudrait la retenir encore un peu. Au fil d’un récit-compte à rebours, où pointent entre les lignes la colère, le remords, l’écrivaine interroge, non sans un brin d’autodérision, cette part inexpliquée de l’existence que l’on nomme hasard, coïncidence ou destin. Mais aussi la manière dont se déterminent nos décisions, nos empêchements, nos choix : ceux que l’on opère pour soi, pour l’autre ou malgré soi sous le coup de diktats familiaux ou d’injonctions sociales. Entrelaçant, comme dans tous ses livres, l’intime et le collectif, Brigitte Giraud consigne, au travers de la photographie musicale d’une époque, ses souvenirs. Et, avec eux, retrace son histoire avec Claude, son compagnon mort accidentellement en 1999. Celle de deux jeunes gens nés en Algérie, qui ont grandi dans une ZUP près de Lyon. Portés par la fougue et l’insouciance de leur jeunesse, ils se rêvent, loin de la cité, dans un lieu bien à eux, empli de musique et de copains de passage. A l’orée des années 1990, le couple devient famille, avec l’arrivée de Théo, s’embourgeoise au son d’Oasis, de Coldplay ou de Dominique A. Et, peu à peu, se laisse prendre dans les rets d’une époque d’argent facile, de prêts, d’investissement immobilier, qui alimente le mirage d’un bonheur parfait. En 2001, quelques mois après le drame, Brigitte Giraud composait A présent : un récit bouleversant dans lequel elle relatait les quelques jours qui suivirent l’accident, jusqu’aux obsèques. Elle y évoquait la fracture du temps, le chagrin, la béance. Vingt ans plus tard, à défaut de combler celle-ci, la romancière l’habite avec des mots empreints de douceur et de nostalgie. Mieux, dans ce Vivre vite, lumineux et vibrant d’amour, elle lui donne corps à travers le délicat portrait de Claude. Comme une ultime étreinte.