Il aura marqué à jamais nos esprits
David Lynch, qui vient de mourir à 78 ans, est sans conteste une figure fascinante du septième art, de part sa courte filmographie, seulement 10 long-métrages, mais parmi eux quelques chefs-d'œuvres inoubliables, son allure d'une classe mystérieuse et troublante, sans oublier sa fameuse série Twin Peaks qui a marqué l'histoire du petit écran. L’auteur de Mulholand Drive, Elephant man, Blue Velvet, Lost Highway, comptait auprès des cinéphiles comme un réalisateur majeur, sans doute le plus beau symbole d’un cinéma résolument plastique. Après un premier film expérimental, Eraserhead, David Lynch nous cueille dès 1980 avec le sublime Elephant man, la bouleversante histoire de John Merrick l’homme-éléphant, exhibé comme un monstre dans l’Angleterre victorienne, maltraité, qui croise la route d’un homme enfin humain. La photo expressionniste en noir et blanc est sublime, la composition de John Hurt dans le rôle principal tient du prodige, celle d’Anthony Hopkins est exceptionnelle. Un chef-d’œuvre inaltérable. Hormis Une histoire vraie en 1999, formidable odyssée rectiligne et lumineuse d’un pépé au volant de sa tondeuse à gazon qui traverse une partie des États-Unis pour aller revoir son frère, les films du cinéaste sont tortueux et mystérieux à souhait. En 1986, il nous offre un polar vénéneux autant que cauchemar langoureux, Blue Velvet, qui est bercé par la musique hypnotique d’Angelo Badalamenti, son compositeur attitré, traversé par le rictus terrifiant de Dennis Hopper et illuminé par une impressionnante fleur carnivore, Isabella Rossellini dans le rôle de sa vie. Puis en 1990, Sailor et Lula, cette cavale folle et sulfureuse au milieu du désert, emmenée par un couple du tonnerre, Laura Dern et Nicolas Cage, est un électrochoc à base de rock, un dynamitage en règle des codes du polar et un bras d’honneur au conservatisme américain. Une énergie stupéfiante, récompensée par la Palme d’or au Festival de Cannes. En 1997, il y a Lost highway, où David Lynch tisse une toile ensorcelante tirant vers l’abstrait et donne une nouvelle fois forme, sensualité et beauté au cauchemar américain. Parfois éprouvant, toujours fascinant. Et puis en 2001, c’est avec Mulholland Drive que le cinéaste marque à jamais les spectateurs. Hommage grisant au cinéma hollywoodien et à la ville de Los Angeles, traversée vertigineuse des miroirs, ce chef-d’œuvre est un voyage soyeux et envoûtant. Où Naomi Watts et Laura Harring apparaissent et disparaissent en semi-déesses inoubliables. Tout à la fois formidable satire de Hollywood, thriller accrocheur aux incroyables parenthèses burlesques, grand film d’angoisse et émouvante histoire d’amour volupteuse, Mulholland Drive tire aussi sa beauté de son mystère. Si le cinéma de David Lynch n'est pas toujours facile à regarder, c'est parce qu'il parle de choses que beaucoup préfèreraient ne pas voir : les bas instincts humains, la pourriture cachée du rêve américain, l'hypocrisie de la famille ou les ramifications tentaculaires de la violence, notamment la violence sexiste et sexuelle. Personne ne peut se targuer d'avoir entièrement compris l'œuvre de ce grand artiste. Mais c'est peut-être lui qui nous comprenait le mieux.