Passionnant roman graphique délicieusement satirique de la grande Posy Simmonds
Connue pour ses romans graphiques Gemma Bovery et Tamara Drewe, tous deux adaptés au cinéma, la dessinatrice anglaise Posy Simmonds épingle ici le milieu conservateur. Commencé avant le Brexit et sorti en 2019, Cassandra Darke est le portrait d’une galeriste londonienne avare et acariâtre, qui pointe avec humour les fractures de la société britannique. À travers cet excellent roman graphique, l’auteure britannique réaffirme son talent de chroniqueuse acérée des mœurs de ses contemporains et compatriotes. Quatrième album de bande dessinée pour adultes traduit en français de l’illustratrice de 79 ans, qui est aussi dessinatrice de presse, Cassandra Darke marque une légère rupture dans sa carrière. Si son personnage central est de nouveau une femme, celle-ci n’a aucun point commun, physiquement, avec ses pulpeuses devancières. Aussi caustique à souhait qu’il soit, son procès des inégalités qui se creusent ne verse pas dans le manichéisme. La grande prouesse de la satiriste reste toutefois d’avoir fait venir à la bande dessinée un public qui n’en lisait jamais. Ses ventes n’ont cessé de grimper, album après album. Reconnaissance ultime : celle qui découvrit la BD, enfant, grâce à des histoires de super-héros qui circulaient dans une base militaire américaine située non loin de la ferme de ses parents, dans le Berkshire, est devenue, en 2004, le second auteur de récit graphique, après Raymond Briggs, à rejoindre la Royal Society of Literature, l’équivalent de l’Académie française. Une narration impeccable, où textes et dessins forment un tout parfaitement cohérent. La dessinatrice croque Londres et ses habitants, traque les postures, peint les décors et les objets avec une précision de documentaliste. On est happé par l'intrigue, on se régale des détails, l'écriture est fluide, et l’atmosphère allégée par l'humour de la dessinatrice. Cachée derrière son odieuse antihéroïne, Posy Simmonds distribue des claques tous azimuts, et le plaisir qu’elle y prend s’avère hautement communicatif. Égoïsme des riches, inconséquence des jeunes, poison des réseaux sociaux, misère sociale, violences faites aux femmes, bêtise et cupidité à tous les étages, la plus acérée des moralistes british n’oublie personne. Même la bien-pensance, vertu cardinale de la bonne éducation anglaise, en sort égratignée. On retrouve avec ce roman graphique la méthode Posy Simmonds qui fait merveille, ce style foisonnant, cette écriture dense qui accompagne savamment le dessin sans que l’un prenne le pas sur l’autre. En début d'année 2024, à l’occasion de la 51e édition du fameux Festival international de la bande dessinée d'Angoulême, le Grand prix a été décerné à Posy Simmonds, pour ses albums piquants et finement observés, à la croisée de l’illustration, la littérature et le cinéma.