Bouleversant hommage aux victimes de la guerre civile algérienne

Publié le par Michel Monsay

Bouleversant hommage aux victimes de la guerre civile algérienne

Dans le sillage de plusieurs victimes de la décennie noire des années 1990 se dessine tout le destin de l’Algérie, dans ce magnifique roman récompensé du prix Goncourt 2024, une première pour un écrivain franco-algérien. Rappelant que l’oubli des quelque deux cent mille morts de cette période d'horreur a pris, en 2005, la forme d’une loi qui interdit, sous peine de prison, toute évocation de cette guerre de « tous contre tous », Kamel Daoud engage son héroïne dans un périple-pèlerinage vers ce qu’elle dénomme l’Endroit Mort, qui est la ferme familiale sur la colline où sévissaient les katibas islamistes. Écrit à la première personne, où le je est une femme, Houris se donne à lire dans une langue belle, vibrante, souvent poétique. Car avec Kamel Daoud, la résilience, ce mot si galvaudé, passe justement par les mots. La puissance de sa langue, qui redonne vie à ses personnages, nous bouleverse, nous éblouit et nous réconforte. Il montre comment la littérature peut tracer un autre chemin pour la mémoire, à côté du récit historique. L'ironie de la chose, c'est que peu d'algériens sont susceptibles de le lire. Le livre n'a pas d'éditeur algérien et l'éditeur français Gallimard a été exclu du Salon du livre d'Alger. Âgé de 54 ans, Kamel Daoud a eu une expérience directe des massacres, car il était journaliste à l'époque et travaillait pour le Quotidien d'Oran. Dans des interviews, il a décrit l'effroyable routine qui consistait à compter les cadavres, puis à voir son décompte modifié à la hausse ou à la baisse par les autorités, en fonction du message qu'elles voulaient faire passer. Dans Houris, il critique l’islam radical, de plus en plus influent dans son pays et dans le monde arabo-musulman, et condamne en particulier la complaisance envers la misogynie des islamistes, qui fait des ravages dans la société algérienne. Dans un pays où tous ne reconnaissent pas leurs pleins droits aux femmes, Houris, qui fait référence aux vierges promises aux fidèles au paradis, est la réponse cinglante de Kamel Daoud à ceux qui dirigent son pays d'origine. Il revient sur cette guerre civile qui a été oblitérée, chassée des manuels d’histoire, contrairement à la guerre d’indépendance contre la France, érigée en mythe. Il souligne l’absurdité d’une peine d’emprisonnement prévue pour ceux qui évoquent cette guerre civile, alors que l’on a accordé l’amnistie à tous les terroristes islamistes de ces années noires qui égorgeaient à tour de bras. Kamel Daoud, considéré comme un traitre en Algérie à l'image de Boualem Sansal, écrit, conscient des risques qu’il court à rappeler le passé, parce qu’oublier, c’est s’assurer que l’histoire se répète.

Publié dans Livres

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