Une immersion totale dans les différents univers de cette passionnante expression artistique
Jamais la bande dessinée n’avait été célébrée de la sorte par une grande institution culturelle. Il manquait un événement global, mêlant patrimoine et création contemporaine, le Centre Pompidou l'a proposé à travers cette très belle exposition qui vient de se terminer. L'exposition principale couvrait l'histoire de la BD de 1964 à nos jours avec tous les maîtres du 9ème art, et à la bibliothèque publique d'information du Centre, Corto Maltese était à l'honneur sous l’angle de sa dimension romanesque, et c'était tout simplement magnifique. Riche de 750 œuvres, réunissant 130 artistes issus du Japon, des États-Unis et d’Europe, les trois territoires majeurs de la bande dessinée, la rétrospective a traversé avec brio soixante ans de création à travers 12 thématiques. Entre planches originales, œuvres numériques, carnets, documents et créations murales inédites, la rétrospective a offert une large variété de supports. Initier une rétrospective historique de la BD en 1964, traduit l’ambition de mettre en lumière le foisonnement et l’effervescence d’une production marquée par la libération des carcans graphiques et narratifs qui permit l’entrée du médium dans l’âge adulte. Une époque où l’insolence du propos et la provocation ont permis l’avènement d’un art tourné davantage vers le réel et l’introspection, thèmes qui irriguent largement la création contemporaine. 1964, c’est aussi la sortie de Barbarella, premier roman graphique, la création de la revue underground Garo au Japon et aussi l'invention du terme de neuvième art. Véritable caverne d’Ali Baba, cette exposition présente autant des couvertures de Hara-Kiri réalisées par Fred, journal à l’humour explosif qui sut aussi explorer une poésie de l’absurde, que des planches et dessins de Tardi, Enki Bilal, Art Spiegelman, Moebius, Nicolas de Crécy, Joann Sfar, et bien d'autres. Cerise sur le gâteau, à la BPI du Centre, l'exposition consacrée à Corto Maltese éblouit par la beauté des dessins et peintures d'Hugo Pratt, son créateur. Ce génie de la BD se définissait comme un écrivain qui dessine, ou comme un dessinateur qui écrit. Pour lui, dans la bande dessinée, textes et images allaient de pair. S’il est marqué par le cinéma d’aventure, Hugo Pratt était aussi épris des classiques littéraires du genre : ceux de Stevenson, Joseph Conrad, Herman Melville, Emilio Salgari, Dos Passos, Hemingway, Borges, Kipling… Curieux et voyageur, le dessinateur ne pouvait visiter une ville sans se rendre dans les librairies à la recherche de sources pour ses écrits. Preuve de son imprégnation littéraire, on croise des écrivains dans les aventures de Corto Maltese : Jack London, mais aussi Henry de Monfreid, Gabriele d’Annunzio… Don Quichotte ou les récits d’Arthur Rimbaud sont carrément cités et des œuvres comme Le petit prince ou À la recherche du temps perdu sont représentées. On l’oublie parfois tant ses livres sont devenus emblématiques, mais voir des planches de BD d’Hugo Pratt procure un ressenti immédiat, physique. On ne peut être que bluffé par la grâce des aquarelles et le pouvoir évocateur propice à la rêverie de ses coups de crayon. Son œuvre permet de découvrir des valeurs, des cultures différentes abordées avec respect, elle peut donner aussi envie d’aller vers l’autre. Se plonger dans le monde de Corto Maltese donne toujours envie de partir en voyage, pas seulement physique, mais aussi mental. Avec un représentant comme Hugo Pratt, parti trop tôt en 1995 à l'âge de 68 ans, et les créateurs présents dans la grande exposition évoquée en premier, la bande dessinée est plus que jamais un art majeur.
À défaut d'avoir pu voir cette ces deux très belles expositions, en voici un large aperçu :