Une chronique sociale déchirante
C’est un film que l’on suit le souffle coupé, une heure et trente-trois minutes durant. L’Histoire de Souleymane est un thriller urbain haletant aux allures de documentaire, qui résonne très longtemps encore après son générique de fin. Tout, dans l’écriture, la facture visuelle et sonore, comme dans l’interprétation de ce film, est conçu pour mettre notre sens empathique en action et nous faire éprouver, émotionnellement, physiquement, psychologiquement ce qu’endurent les personnes en situation irrégulière et en lutte pour leur survie. Après deux documentaires tournés au Vietnam, Ceux qui restent et Les Âmes errantes, et deux très bons longs-métrages de fiction réalisés sur le sol africain, Hope et Camille, Boris Lojkine, normalien et agrégé de philosophie, creuse son sillon : son cinéma, travaillé par la guerre et les situations extrêmes, est poignant, remuant, mobilisant. Pour écrire le scénario de L’Histoire de Souleymane, qu’il cosigne avec Delphine Agut, il a effectué une copieuse enquête de terrain et rencontré de nombreux livreurs parisiens sans papiers. Il s’est aussi inspiré de la propre vie de son interprète, Abou Sangare, primé au dernier Festival de Cannes dans la section Un Certain Regard et dont la situation aujourd’hui n’est toujours pas régularisée. Abou Sangare habite l’écran avec une intensité rare. Sa présence, ses regards, sa photogénie, sa justesse de jeu, ses silences habités sont bouleversants. Derrière la caméra, l’équipe technique image et son, qui a tourné une bonne partie du film à vélo, réussit également un tour de force : faire converger le cinéma et le réel et porter cette émulsion à son point de juste équilibre. Avant de quitter Souleymane, nous assisterons à son dialogue avec une employée de l’administration incarnée par Nina Meurisse, grande actrice que Boris Lojkine avait déjà dirigée dans Camille. On ne dira rien de cette séquence si ce n’est qu’elle est inoubliable. L’Histoire de Souleymane dessille le regard et aide à combattre l’indifférence. Un film important, essentiel en ces temps d'extrême droitisation.