Magnifique Isabelle Carré dans un grand rôle féministe du répertoire classique

Publié le par Michel Monsay

Magnifique Isabelle Carré dans un grand rôle féministe du répertoire classique

La serva amorosa est une comédie familiale et dans ce genre, c'est une sorte de chef-d'œuvre. L'extraordinaire Isabelle Carré dans la peau de Coraline, dirigée par Catherine Hiegel, qui avait tenu le rôle il y a quelque trente ans à la Comédie française, est au-delà de l'éloge. Dans un décor mobile à volonté, toute à la fois bouleversante et brutale, sensuelle et volontaire, parfois gouailleuse ou fine Florentine, elle promène sur la scène son dégoût de l'injustice. Il faut l'entendre répéter à l'envi cette merveilleuse injonction quand tout semble aller pour le pire : « Parlons de choses plus gaies ! » ou « Allons, un peu de bonne humeur ! ». Si séduisante lorsque, habillée de noir en clerc de notaire, tricorne sur le crâne, elle ouvre enfin les yeux de ce pauvre vieil Ottavio abusé par sa seconde épouse. Coraline raisonne, argumente sans relâche. Le riche négociant Pantalon ne s'y trompe pas lorsqu'il déclare : « Mais c'est une panthère, cette femme-là ! Elle fait le chat qui dort et puis, tout à coup, elle sort ses griffes ! » Le vrai sujet de la pièce, ce sont les motivations de Coraline et le titre, à ce point de vue, est trompeur. « Amorosa », peut-être, mais bien plus que cela : la « serva » sort de sa condition de domestique, elle est avant tout une femme. « Mais quelle femme ! », marmonne Pantalon. Et on se souvient de sa dernière tirade : « Que vive notre sexe, et que crèvent sur l'heure ceux qui oseraient encore en dire du mal ! » Voilà qui est dit, et bien dit. Catherine Hiegel n'est pas du genre à transposer les classiques dans un présent factice. Quand le rideau s'ouvre sur la première scène de La Serva amorosa, au théâtre de la Porte Saint-Martin, le public est résolument plongé dans l'époque de Goldoni : un XVIIIe siècle pastel représenté par des toiles peintes et des cloisons mobiles avec, en fond de scène, un panorama de Vérone. Vêtus de sobres costumes d'époque, les personnages du Molière italien s'animent sur un rythme de farce, avec une pointe de mélancolie qui ira grandissante. Ex-comédienne surdouée du Français, Catherine Hiegel a Goldoni chevillé au cœur après l'avoir joué à de multiples reprises, notamment sous la férule du maître Giorgio Strehler. Elle a ainsi profondément intégré la dimension subversive de l’œuvre du dramaturge italien. Non seulement cette pièce de 1752 inverse la hiérarchie maître et serviteur, une domestique manipule tout le monde et redresse les torts, mais par son intelligence et sa bravoure, son héroïne surpasse en tout point les hommes. D'une comédie classique faussement légère, Catherine Hiegel fait un brûlot féministe. Elle s'appuie sur une artiste de haut vol pour incarner la Serva amorosa : Isabelle Carré déploie un jeu très moderne, mélange de détermination, de vélocité, d'humour à froid et de tendresse rentrée qui confère au personnage une dimension épique. L'ensemble de la troupe n'est pas en reste et contribue pleinement à la très belle réussite de la pièce.

La serva amorosa est à voir au Théâtre de la Porte Saint-Martin jusqu'au 4 janvier.

Publié dans Théâtre

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article