Briser un mur de silence et de solitude

Publié le par Michel Monsay

Briser un mur de silence et de solitude

En 2021 et alors qu’elle achève les épreuves du Voyage dans l’Est, Christine Angot s’en voit proposer un autre, de voyage dans l’Est, par son éditeur pour la promotion du livre. À Strasbourg, là où elle a rencontré son père et là où il a commencé à la violer à treize ans. Elle a l’intuition qu’il y a là quelque chose à filmer, ce coup du hasard n’en est peut-être pas un. Cette caméra, ou plutôt ses caméras qui suivront ses pas, elle ne les confie pas à n’importe qui, puisqu’il s’agit des cheffes opératrices Caroline Champetier et Inès Tabarin. L’acte fondateur du film se joue lorsqu’elles se rendent ensemble au domicile de la belle-mère de Christine Angot, vivant seule depuis le décès de son mari et père de Christine Angot en 1999, deux mois après la parution de L’Inceste. Dans cette séquence à la fois prodigieuse et sidérante, on voit l’écrivaine sonner à la porte de la veuve de son père, pour tenter d’avoir avec elle une discussion que l’écrivaine réclame en vain depuis des années. Au début de cette séquence, alors que la tension dramatique atteint un pic, une archive vidéo personnelle s’invite au montage, les images d’aujourd’hui et celles d’autrefois étant tissées les unes aux autres tout au long du film, où Christine Angot part en quête d’un dialogue avec celles et ceux qui l’ont vue grandir, évoluer, de près ou de loin, en taisant des décennies durant, l’inceste dont elle fut victime. Une famille est un film de guerre intime, à portée collective, d’une grande force émotionnelle, qui raconte aussi la solitude abyssale à laquelle l’auteure de L’Inceste ou Pourquoi le Brésil ? est confrontée depuis son adolescence, où elle a hurlé seule dans le désert jusqu'à récemment avec les livres de Camille Kouchner ou Neige Sinno. Le cinéma vient emboîter le pas de l’écriture pour mettre la lumière sur des zones d’ombre impossibles à tolérer et donner à cette voix plus de portée encore. Une voix qui longtemps fut raillée, et le film exhume un épisode télévisuel insupportable, sur le plateau de ces deux abrutis de Thierry Ardisson et Laurent Baffie, où la vulgarité, l’irrespect et l’inconséquence faisaient rage dans les années 1990. À vomir ! Une famille apparaît comme la chambre d'échos d'une douleur, d'une colère à faire entendre et d'un désir d'entendre ce que les autres ont à dire. "J'en ai marre de parler de l'inceste. J'en ai marre que mon travail soit envahi par ça", dit Christine Angot. Avec ce film, elle interroge une fois encore cette question, mais d'une manière plus directe, qui fait surgir et donne à voir une vérité, sans détours, sans filtre et sans littérature. Il aura fallu un prix Médicis pour Le Voyage dans l’Est puis ce film poignant pour que la parole de Christine Angot soit largement entendue. En acceptant de montrer ses larmes, son angoisse, sa terreur de petite fille sans rabattre sa radicalité, elle œuvre pour le collectif mais n’attend aucune réparation. On ne guérit pas de l’inceste.

Publié dans Films

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