Drôle, méchant, tendu, et finalement émouvant
À chaque film, Quentin Dupieux, qui ne fait rien comme personne et enchaîne les projets sans s'arrêter, réinitialise son style, cherche ailleurs et propose une tout autre expérience que les précédentes. Yannick embarque le cinéaste du côté du réalisme social. Enfin, à sa manière, bien sûr. Inattendue, déroutante, joueuse et au fil de l'intrigue, assez touchante. Le film crée une tension, un malaise dont on ne sait jamais s’il va accoucher d’un gag ou d’un drame. C’est toute la force de Dupieux de réussir ainsi à faire tanguer son huis clos entre toutes les émotions. On rit mais soudain la phrase suivante glace. On s’inquiète et le plan d’après nous emmène ailleurs. Il offre surtout un rôle monstrueux à Raphaël Quenard, étonnant acteur gouailleur, à la diction traînante, gaucherie de sociopathe et regards d’enfant, avec sa façon d’être toujours au bord du pétage de plomb ou de la blessure profonde. Dès qu'il apparaît, plus moyen de lui échapper, ou d'échapper au sentiment de malaise qu'il est capable d'installer en deux regards agités et trois mots bruts de décoffrage. Il donne au film une profondeur sociale, une étrangeté rare qui sans cesse nous fait changer de place. Face à lui, Pio Marmaï en acteur narcissique un brin pathétique n'est pas en reste. Jamais le film ne jubile de son petit théâtre cruel, au contraire, il émerge de la situation et de ces personnages épuisés une tristesse infinie, une émotion qui surprend, déroute et révèle la part sombre et humaine du cinéma de Quentin Dupieux. On retrouve néanmoins le ton Dupieux, une appétence pour le bizarre, les inadaptés, les situations incongrues, l’humour potache et la transgression des règles de bienséance. Le cinéaste convoque une émotion non filtrée dont il est peu coutumier, et figure de façon limpide l'opposition entre mépris de classe et vanité du petit monde de la prétendue culture et sentiment d’abandon politique, d’être mal représenté, de ne pas être reconnu d'une partie de la population. Yannick est une sorte de mise en abyme acide et tendre, sans doute le meilleur film avec Au poste ! et Incroyable mais vrai de ce cinéaste si singulier à la précieuse irrévérence.
Yannick est à voir ici pour 4 € en location ou sur toute plateforme de VOD.