Une plongée passionnante dans ce que le journalisme a de plus noble

Publié le par Michel Monsay

Une plongée passionnante dans ce que le journalisme a de plus noble

Sobre et minutieux, le beau film choral de Maria Schrader retrace l’enquête du New York Times sur les accusations de viols et d’agressions sexuelles d’Harvey Weinstein. Troublante expérience d’hyperréalisme, sans quête de sensationnel, il donne à voir la solitude des victimes qui sortent du silence, juste avant la tempête #MeToo. She said se nourrit d'une grande sophistication au sein d’une grande austérité. Une certaine ampleur froide et une distance formelle sont travaillées pour alimenter le propos avec le plus de minutie possible. She Said appartient à cette famille de films, construits à partir d’événements réels, reconstitués pour donner à voir et à comprendre les étapes d’une enquête journalistique ou juridique. En questionnant le système dans son entièreté, l’équipe du New York Times décide de passer à la loupe la culture du silence complice de toute une industrie, au-delà des agissements de celui qui régna sur le cinéma indépendant, et terrorisa des femmes, souvent très jeunes, pendant presque trois décennies. Le film explore aussi l’éthique journalistique et la pugnacité professionnelle des reporters Jodi Kantor et Megan Twohey, qui recevront le Prix Pulitzer pour leur travail. Si She Said est aussi prenant et évocateur, c'est aussi parce que la cinéaste Maria Schrader n'y raconte pas seulement une longue investigation, mais un récit passionnant sur les femmes et leur condition dont le quotidien aura rarement été filmé avec autant d'intelligence et de subtilité. L'excellente distribution contribue à la puissance du message, notamment Zoé Kazan, la petite-fille du grand Elia Kazan, dont le jeu minimaliste à la force discrète impressionnante parvient à créer de l'émotion, de la délicatesse, de la complexité, sans jamais éclipser la vraie douleur et l'incroyable courage des victimes de Weinstein. Par clairvoyance et pudeur, Maria Schrader ne met jamais en avant sa caméra et refuse toute forme de sensationnalisme pour mieux laisser vivre les personnages d'eux-mêmes, laisser leurs témoignages infuser les esprits via leur simple puissance, comme celui magistralement interprétée par Samantha Morton. La manière de filmer cette sororité naturelle et tangible, où une femme en écoute une autre, simplement, est bouleversante. Parmi les choix inspirés de la mise en scène, celui de poser le récit des agressions sur des natures mortes (des vêtements au sol, un peignoir blanc sur un lit, d’interminables travellings dans des couloirs d’hôtels déserts…)  fait aussi forte impression. She Said est un film important sur la parole et sur ce que son absence produit. Les plans sur les visages déformés par la souffrance du silence y sont poignants, mais ceux où la parole finit par advenir le sont encore plus. She said confirme s’il en était besoin la sidérante capacité du cinéma américain à évoquer l’histoire récente et d'en faire des grands films.

She said est à voir ici pour 4,99 € en location ou sur toute plateforme de VOD.

Publié dans replay

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