Un film qui fera date

Publié le par Michel Monsay

Un film qui fera date

Il y a neuf ans on découvrait Thomas Cailley avec l'excellent Les Combattants, César du meilleur premier film. Le cinéaste signe aujourd'hui une ambitieuse fable fantastique sur notre part d’animalité, la transmission et les liens du sang. Un objet hybride fascinant qui donne chair à des réflexions sur l’urgence écologique, la frontière ténue entre l’humain et les autres vivants. Il est rare, en France, d’assumer le genre fantastique et les effets spéciaux. Surtout quand on évolue dans la catégorie cinéma d’auteur. Dans ce conte initiatique, il est question de la mutation à l’adolescence, de différence, d’intolérance, de défiance envers ce qui ne nous ressemble pas, mais surtout de la part animale en chacune et chacun que l’Homme a niée au fil des siècles. C’est un sujet crucial, car en développant une position de surplomb face au monde animal et à la nature en général, l’humanité a foncé droit dans le mur et en subit aujourd’hui les conséquences. Le Règne animal, remarquablement scénarisée et réalisée, aux antipodes d'un cinéma de genre ne misant que sur l'hémoglobine, les surenchères grand guignol et les monstres effrayants, dépeint avec un art subtil du décalage un monde qui, au cœur de chaque séquence, rappelle le nôtre. Un monde affecté par des crises sanitaires et écologiques dont les conséquences sur l'ordre social sont tout sauf anodines et où prospèrent des idéologies paranoïaques, ultra-sécuritaires, complotistes. Profondément atypique dans le paysage du cinéma français, Le Règne animal étonne avec sa hauteur de vue, sa poésie noire et, ce qui ne gâche rien vu le contexte, son sens de l'humour. Thomas Cailley, autre atout majeur, ne sacrifie jamais les singularités de ses personnages sur l'autel du grand spectacle et de la fiction hypnotique. Le cinéaste maîtrise de bout en bout les enjeux intimes de son histoire, et dépeint avec sensibilité et profondeur les relations émouvantes entre un père et un fils qui, malgré les entraves et les différences qui les affligent, apprennent progressivement à mieux se comprendre et à mieux s'aimer. Libre à chacun de naviguer à sa guise dans cette fable aussi ample, drôle, qu’inquiétante et émouvante, car le réalisateur n’assène aucune leçon. Avec ses comédiens, tous épatants, avec une mention spéciale à Romain Duris et Paul Kircher, et son équipe technique de choc qui fait des merveilles autant au niveau de l'image que du son, mais aussi du maquillage et des effets spéciaux en refusant l'intelligence artificielle et le tournage en studio, Thomas Cailley, en n'esquivant aucune difficulté et en embrassant plusieurs genres, nous offre un film en tout point éblouissant. Pareil cinéma populaire, traversé par un souffle romanesque connecté au contemporain, adossé à l’épaisseur existentielle de ses personnages, crédible dans ses effets spéciaux, naturel dans son mélange des genres,  donnera on l'espère des idées à l’industrie cinématographique. Le Règne animal, mine de rien, est un passeport pour l’avenir (de la salle, du cinéma, de l’espèce). Dernier point, espérons qu'il ne faille pas attendre neuf ans pour voir le prochain film de Thomas Cailley.

Publié dans Films

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