Mélancolique et irrésistible

Publié le par Michel Monsay

Mélancolique et irrésistible

Au dernier Festival de Cannes, où il était présenté en compétition et a obtenu le Prix du jury, la projection  des Feuilles mortes, en présence du cinéaste, fut un moment de liesse, tant et si bien qu’à son issue, le public a envahi l’espace de ses hourras à l’endroit du cinéaste finlandais, visiblement touché par autant d’affection choralement exprimée. Pourquoi tant d’amour, alors ? Peut-être parce que le génial réalisateur de L'homme sans passé ou Au loin s’en vont les nuages sait rester sentimental et pudique, humble, simple et juste à la fois. La litote chez Aki Kaurismäki est de mise, on le sait, et cela fait la force de son œuvre, traversée de désenchantement et d’humour délectable mêlés. Il y a dans ses cadres savamment composés, ses axes de caméra frontaux, ses à-plats de couleurs éclairés d’un léger halo de lumière reconnaissable entre mille, le jeu stoïque de ses interprètes (ici Janne Hyytiäinen et Jussi Vatanen, tous deux impeccables), une précision d’orfèvre. Les feuilles mortes est l’œuvre d’un homme las, qui, alors qu’il menaçait d’abdiquer et d’arrêter de tourner des films, a pourtant écrit une histoire d’amour aux faux airs de miracle. Aki Kaurismäki, 66 ans, ne transige pas avec ce qui a toujours fait son cinéma : attirance pour les losers, prédilection pour l’humour pince-sans-rire, passion pour les fables sociales et poétiques. Chez lui, les émotions percent dans la lueur d’un regard, l’esquisse d’un sourire. Dans ce film, hommage à son maître, Chaplin, le réalisateur dessine le portrait touchant et concis de deux habitants d’Helsinki martyrisés par le sort. L'une a cessé de croire en l'amour et pense que les porcs valent mieux que les hommes, l'autre n'y croit pas non plus et noie son chagrin dans l'alcool. Les feuilles mortes, ce sont eux : ces âmes errantes qui suivent le sens du vent sans pouvoir lutter, trébuchant sur le chemin d'une histoire qui pourrait bien se transformer en amour. Au cœur d'une ville qui semble leur vouloir du mal, les deux personnages n'ont plus la volonté de se battre. Aki Kaurismäki a transformé Helsinki en désert de mélancolie dans lequel les rêves ne sont plus permis. Il dresse le portrait caustique, tendre et truffé d’humour, des classes populaires en Finlande, dans un contexte d’inflation et de guerre en Ukraine. Que reste-t-il, face à un monde où, partout, la frêle bougie de l’humanité fléchit ? Les films de Kaurismäki ! Grand admirateur du muet, le cinéaste est capable en retravaillant les mêmes motifs d’aller chaque fois à l’essentiel, avec cette poésie extrême qui lui permet d’atteindre la lumineuse pureté d’une sonate.

Publié dans Films

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