Un roman drôle et lucide sur la corrosion des sentiments

Publié le par Michel Monsay

Un roman drôle et lucide sur la corrosion des sentiments

Me voici, paru en 2017est le troisième roman de Jonathan Safran Foer, à la fois brillant, tragique et cocasse, il raconte l'histoire d'une famille juive américaine, assez peu pratiquante, se désagrégeant en même temps qu'une catastrophe naturelle menace d'anéantir Israël. C'est une offrande sans limites de la vie d'un homme, autant dans ce qu'il a de plus intime, les misères d'un corps qu'il faut supporter, l'aveu des sentiments les plus secrets, des petites et grandes lâchetés, les joies et les contraintes de la vie domestique, que dans ses vertigineuses interrogations métaphysiques. Il y a aussi ce que cet homme porte en lui : l'histoire de sa famille (père, grand-père, cousins) qui fait partie de la diaspora juive. Me voici s'articule autour d'un moment critique : la désintégration d'un couple et d'une famille pour la sphère intime, la désintégration d'un état pour ce qui concerne le monde. Moment de crise propice à l'observation, que le romancier met en scène de manière virtuose. Virtuose dans sa capacité à embrasser tout cela dans une construction savante en forme d'agglomération de différentes strates, qui jamais ne perd son lecteur. Et aussi et surtout grâce à une langue merveilleuse, rythmée par des dialogues savoureux. D'une écriture foisonnante et fougueuse Jonathan Safran Foer sait chanter la tragédie humaine avec humour, ramenant l'homme à sa juste place. Ce roman, qui évoque l'œuvre d'Albert Cohen, fait l'effet d'un torrent, ses creux sombres, ses vagues, ses zones paisibles, et les éclats de lumière. La dissection par l'écrivain du processus de corruption et d’usure du sentiment amoureux, aux prises avec la vie quotidienne et le temps, est saisissante d’acuité : le ­passage des ans et la sévère opération de nettoyage qu’il inflige aux utopies individuelles que sont l’amour, le désir, mais également la loyauté vis-à-vis des aspirations de jeunesse, la fidélité à une foi, une ­appartenance, un héritage tant ­familial que spirituel. La mélancolie ­inhérente à ces questionnements, ­Jonathan Safran Foer choisit de la contrer par une formidable vivacité et de la revêtir d’une ­intense drôlerie, usant notamment pour cela d'un sens aigu de l'empathie et d’un art virtuose du dialogue, dans lequel il donne libre cours à une forme de trivialité assumée. Me voici est en somme le grand roman, drôle et lucide, de la maturité d'un écrivain rare, qui n'a publié que trois romans en quinze ans.

Publié dans Livres

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