Les dérives inadmissibles d'une société ultralibérale
Entre drame et polar, About Kim Sohee détaille, à travers les yeux de deux héroïnes pugnaces, les rouages d’un système éducatif et professionnel pervers aux effets dévastateurs. Un film puissant, d’une grande finesse aussi bien dans l’écriture que dans le jeu. Inspirée par un fait divers dramatique qui, en 2016, a ému la Corée, la cinéaste July Jung, dont c'est le deuxième film, imagine deux personnages de femmes fortes qui tentent de résister à un système qui les happe. Elle peint un tableau sans concession du libéralisme à la coréenne, fondé sur une quête avide de profits et la manipulation des individus. Cette machine à engranger des bénéfices se perpétue en raison de la lâcheté de l’opinion publique et des institutions, des dysfonctionnements des écoles et d’une oppression systémique. July Jung radiographie ainsi tout un système, qui tue littéralement la jeunesse sous prétexte de performance. Techniques de persuasion, humiliations, pressions, objectifs intenables, concurrence toxique et accords de confidentialité imposés par le siège de l’entreprise : la première partie du film est glaçante de précision et de tension psychologique, et symbolise à travers son personnage central la perte de l'innocence et de légèreté de la jeunesse. About Kim Sohee a fait légèrement bouger les lignes en Corée. Un projet de révision de la loi protégeant les stagiaires a été approuvé par la commission de l’Éducation nationale de l’Assemblée grâce au film, première étape à son adoption définitive. Il prévoit d’empêcher l’obligation faite aux stagiaires d’occuper des emplois contre leur volonté, d’interdire le harcèlement et de punir par des peines d’emprisonnement ou des amendes les agressions et les menaces. Le cinéma ne peut pas toujours changer le monde, au moins peut-il concourir à son amélioration. July Jung épingle brillamment, sous couvert d’enquête policière, la culture de la performance sud-coréenne, où derrière le vernis de l’excellence, tente en vain de trouver sa place une jeunesse en grande souffrance. C'est aussi un témoignage hors pair sur le monde du travail qui broie les individus bien plus qu’il ne les nourrit. Avec ces deux personnages magnifiquement incarnés par Kim Si-eun et Doona Bae, la réalisatrice fond deux visages féminins en un seul, inoubliable : celui du combat contre l’ultralibéralisme assassin.