Une très belle histoire de famille doublée d'une lettre d'amour pour l'animation en volume par un génial artisan
Alain Ughetto redonne vie et éclat à des existences supposées minuscules parmi la masse des 25 millions d’Italiens émigrés en Europe au XXe siècle, ayant fui la misère et le fascisme, dont beaucoup ont construit nos infrastructures. Prix du Jury au Festival d'Annecy, l'équivalent de Cannes pour l'animation, Interdit aux chiens et aux Italiens est de ces films au charme inné, faits de bric et de broc, d’inspiration constante et d’intentions claires, loin des films d'animation américains aux images de synthèse lisses et souvent sans intérêt. A 72 ans, Alain Ughetto après s'être cherché en ayant été manœuvre, prothésiste dentaire et documentariste, s'est trouvé avec l'animation et a réalisé plusieurs courts-métrages, dont La Boule (récompensé en 1985 d’un César), et un long-métrage, Jasmine en 2013, qui racontait son histoire d’amour avec une Iranienne, à Téhéran, à la fin des années 1970. Après neuf ans de travail, Interdit aux chiens et aux Italiens, tourné image par image, retrace l’histoire de ses grands-parents italiens, partis du Piémont au début du XXe siècle pour s’installer en France. Il s’agit en fait de transmettre une double histoire : celle, individuelle, d’une famille pauvre, avec ses rares bonheurs et ses nombreuses épreuves intimes, et celle de l’Europe, avec ses deux guerres mondiales et les pérégrinations forcées de ses habitants. Le sens du devoir est omniprésent dans le récit, tandis que le jeu et la créativité sont des enjeux centraux de la mise en scène. L’amusement vient de la constitution du décor, recyclage d’aliments et objets ayant ponctué le quotidien des Ughetto. Dans Interdit aux chiens et aux Italiens, on grimpe dans des arbres en brocolis, on vit dans des maisons en cartons, en morceaux de sucre ou en courges. On se déplace dans des reproductions de trains et bateaux. Poétiser l’environnement et les actions de trois générations d’une même famille est certainement une manière pour Alain Ughetto de redonner à sa lignée l’innocence et la joie dont elle a été privée. Une main, celle d’Alain Ughetto, s’immisce régulièrement dans le champ, comme un personnage à part entière, pour tendre un outil à l’un de ses aïeuls, l’aider ou le questionner. Le film devient ainsi un témoignage rare sur l’art du cinéma d’animation, le geste bricoleur (hérité du grand-père) et le rapport intime entre la créature et son créateur. Pétri d’une poésie constante, traversé d’un humour italien qui donne à la tragédie une forme plus douce, le film offre une véritable matière aux souvenirs.