L'innocence bafouée

Publié le par Michel Monsay

L'innocence bafouée

Plus de vingt ans après les faits, Agnès Pizzini et Olivier Ayache-Vidal reconstituent dans un très bon docu-fiction, avec beaucoup d’habileté et de tact, ce terrible fiasco judiciaire et montrent comment il a brisé l’existence de trop nombreux innocents. La force de leur film repose sur la qualité de la narration (la partie d'Agnès Pizzini) et sur un dispositif singulier (la trouvaille d’Olivier Ayache-Vidal) qui échappe aux clichés du genre. Des reconstitutions - vie quotidienne chez le couple Delay-Badaoui à la cité HLM de la Tour du Renard, interrogatoires chez le juge d’instruction, notamment - ont été filmées dans un décor dans lequel sont invités quelques-uns des treize acquittés : le prêtre-ouvrier Dominique Wiel, Daniel Legrand, Thierry Dausque, l’huissier Alain Marécaux. Ils y rencontrent les comédiens qui jouent leur rôle et ce face-à-face troublant met en relief le côté irrationnel du naufrage judiciaire. A propos de Thierry Dausque, cet habitant de la Tour du Renard qui a injustement passé 1178 jours derrière les barreaux, c’est l’acquitté qui a subi la plus longue détention provisoire, son témoignage devant la caméra est bouleversant. De même que celui d'Alain Marécaux. Par opposition, celui de Didier Beauvais laisse pantois. Ce magistrat présidait la chambre d’instruction de Douai, l’organe de contrôle qui a obstinément validé la procédure du juge Burgaud, alors qu’elle partait en vrille de manière évidente et qu’il suffisait de lire certains procès-verbaux à tête reposée pour s’alarmer. Burgaud, ce minable petit monsieur qui n'est jamais sorti de son bureau, malgré les sollicitations des avocats, pour essayer d'aller comprendre sur les lieux ce qui s'était passé. Enfermé dans sa tour d'ivoire et refusant qu'on lui adjoigne un autre magistrat. Des policiers de Lille tentèrent, en vain, d’arrêter le train fou. On constate que Didier Beauvais ne regrette rien, ou si peu, et cela suscite l’effroi voire le dégoût. Que la justice soit indépendante, cela est normal, mais que des magistrats comme Burgaud, Beauvais ou le procureur de Boulogne sur mer, Gérard Lesigne, soient aussi incompétents et s'en sortent sans aucun dommage après avoir bousillé des vies, c'est inadmissible et contribue à ce que les gens ne croient plus en la justice. En quatre épisodes troublants, L'affaire d'Outreau se montre déroutant et intelligent dans sa façon de mobiliser tout à la fois les langages du documentaire, du cinéma, de la série télé et du théâtre pour toucher au fond du dossier et renouveler notre compréhension de l’affaire. Le temps qui passe n’atténue pas la sidération : plus de vingt ans après le déclenchement de cette affaire, on ressort effaré et nauséeux après le visionnage de la série, accablé par les horreurs qu’ont subies les enfants du quartier de la tour du Renard (douze ont été reconnus victimes de viol et d’agression sexuelle), comme par l’épreuve qu’ont traversée les adultes innocents mis en cause, certains ont passé plus de trois ans en prison pour rien, sans parler du regard des autres, les insultes,... Par sa grande originalité formelle, sa rigueur au niveau de la reconstitution, la réussite de cette série repose aussi sur la possibilité donnée aux victimes d’intervenir dans les scènes, de répondre à la fiction qui les a broyées, ce qui leur permet symboliquement de retrouver leur dignité.

L'affaire d'Outreau est à voir ici ou sur le replay de France 2 de votre télé.

Publié dans replay

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