Emouvante chronique familale douce-amère baignée de mélancolie

Publié le par Michel Monsay

Emouvante chronique familale douce-amère baignée de mélancolie

En 27 ans de carrière, ce n'est malheureusement que le huitième film du génial James Gray, l'un des tous meilleurs cinéastes du XXIe siècle. Ses cinq premiers films avaient pour cadre New York, de Little Odessa à The immigrant. Le réalisateur s'est ensuite aventuré dans la jungle avec The Lost City of Z puis dans l'espace avec Ad Astra, et si tous ses films racontent des histoires de famille en crise, le cinéaste ne cesse jamais de nous surprendre. Armageddon Time marque un retour non seulement à New York, mais aussi dans le quartier du Queens, où il a grandi dans une famille juive d'origine ukrainienne et anglaise. C'est effectivement le film le plus personnel de James Gray, dans lequel il a voulu confronter son histoire à celle de l'Amérique des années 80 et notamment les inégalités et injustices sociales, en observant les lignes de fracture de classes et de races. Il se fait ici particulièrement incisif dans son discours politique, liant le début de l’ère Reagan au trumpisme et à la résurgence des populismes. Si les thèmes abordés et la mise en scène du réalisateur restent les mêmes, cette balade mélancolique surprend par sa retenue émotionnelle inédite, loin des grandes envolées lyriques des tragédies précédentes de James Gray, qui affine ici son style jusqu’à l’épure. Les affections familiales y sont toujours entravées par des pudeurs insurmontables, étouffées dans les teintes ocres et intimistes de la belle photographie, à nouveau confiée à Darius Khondji. Mais, pour la première fois, son récit ne se déploie plus autour d’hommes torturés et taiseux, mais de deux figures solaires de jeunes garçons, formidables Jaylin Webb et Banks Repeta, au seuil de toutes les découvertes et de tous les chagrins, couvés par la bonté d’un Anthony Hopkins, magistral en patriarche large d’esprit et de cœur, gardien attentif des vocations artistiques de son petit-fils. En revenant à ses bases new-yorkaises et sur les rivages de sa jeunesse, James Gray rappelle que le classicisme est un port d’attache auquel on accoste toujours, et le point de départ de toutes les réinventions. Il filme le quotidien, le banal, comme il le ferait de l’extraordinaire. Dépouillé des oripeaux du cinéma de genre, entièrement versé dans ce drame familial qu’il maîtrise à la perfection, il va encore un peu plus loin dans la véracité des sentiments, un naturalisme du cœur qui le place au-dessus de bien des cinéastes. Chez lui, un simple contre-champ sur un grand-père assis se mue en séisme d’émotions. Outre le commentaire social et politique d’un pays déjà rongé à l’époque par le racisme et l’antisémitisme, on est bouleversé par ce drame intimiste qui trouve sa puissance dans sa simplicité et par sa mise en scène élégante, intelligente et subtile. Comment le jury du Festival de Cannes a pu ignorer un tel chef-d'œuvre, un de plus dans la filmographie de James Gray, on a beau chercher on ne trouve pas. Cela prouve bien que de grands noms du cinéma dans un jury ne donne pas forcément un grand palmarès.

Publié dans Films

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