Beau, tragique et émouvant, à la manière des plus grands mélos de Douglas Sirk
Loin du Paradis de Todd Haynes, sorti en 2003, apparaît tout d’abord comme une gracieuse résurrection du mélodrame classique hollywoodien, notamment dans les couleurs flamboyantes du Technicolor que Todd Haynes et son chef opérateur rendent ici sublimes, par des éclairages et des lumières naturelles qui ne le sont pas moins. Amour homosexuel ou interracial, le génial Todd Haynes n’y va pas de main morte pour faire des accrocs au rêve américain du couple central de ce film. Rien de caricatural, pourtant, dans cet assaut de déviances, qui ne font que resserrer le piège feutré de la normalisation autour des personnages. Comme eux, Loin du paradis respecte un goût précis, qui n’autorise aucun écart. Tout y est dicté par les conventions du cinéma qui servait de vitrine à l’Amérique des années 50 : des mélos somptueux et un peu kitsch. Todd Haynes rouvre ce royaume des apparences pour mieux les dénoncer. En revisitant l’Amérique et le cinéma d’hier, il propose un discours très critique sur la violence du conformisme. Flamboyant mélo d'une intelligence et d'une sensibilité rares, Loin du paradis atteint le sommet d'un genre qu'il réinvente en se réappropriant ses codes et en allant au-delà de ce qui n'était alors que pudiquement suggéré. Grâce soit rendue à Todd Haynes, dont le travail à la mise en scène et à l'écriture témoigne d'une maîtrise et d'une finesse remarquables, tout comme à ses interprètes, les deux Dennis (Quaid et Haysbert) et bien sûr Julianne Moore. Son visage est le miroir idéal des sourds tourments qui hantent son personnage. Tour à tour glamour et bouleversante, elle se fond, avec évidence, dans l’atmosphère surannée du mélo. Sa voix, parfaitement modulée au début du film, se brise progressivement pour finir dans un sanglot. Un film magnifique aussi stylé qu’engagé, unique en son genre.
A voir ou revoir pour le plaisir ici ou sur le replay d'Arte jusqu'à jeudi.