Un polar mélancolique, habité et suffocant
Dominik Moll, que l'on a découvert en 2000 avec "Harry, un ami qui vous veut du bien", un thriller brillant et dérangeant qui avait obtenu quatre Césars, est un cinéaste rare et précieux, seulement six films, dont l'excellent "Seules les bêtes" il y a trois ans et deux participations à des séries en 22 ans. Il revisite ici adroitement le polar et dresse un vibrant plaidoyer contre la violence faite aux femmes en posant une réflexion très mélancolique, d’ordre presque philosophique, sur l’apparente et triste impossibilité systémique, irrationnelle, d’une égalité entre le masculin et le féminin. Cinquante nuances de misogynie, de la plus claire à la plus foncée. Chaque interrogatoire de l'enquête menée prive un peu plus d’air le spectateur. La précision du tableau inscrit le film dans la lignée de L.627 de Bertrand Tavernier, modèle de ces films criminels réalistes qui montrent le travail quotidien de la police, très éloigné de la mythologie longtemps véhiculée par le cinéma. Tous les comédiens participent à la justesse de ton de la première à la dernière image, et les deux principaux, Bastien Bouillon et Bouli Lanners sont particulièrement remarquables. Dans les décors naturels à la fois sublimes et oppressants des Alpes, un territoire qu’il filme comme une sorte de prison à ciel ouvert, Dominik Moll, loin des conventions du genre exploitées dans un nombre incalculable de films poussifs et de séries prévisibles, entraîne le spectateur dans les méandres d’une enquête où l’identité du meurtrier importe moins que les interrogations des policiers sur leur métier et sur la sauvagerie des hommes. Dominik Moll et son co-scénariste de toujours Gilles Marchand orchestrent une comédie humaine qui ne nous épargne rien de nos aberrations contemporaines, à travers des dialogues empreints de finesse, de force et de férocité. On rit parfois du bon mot d'un suspect, de la bêtise d'un prévenu, ou de l'impasse injuste dans laquelle s'enferre l'institution policière, qui fait état aussi de la dégradation d’un service public dénué de moyens . Admirablement amené, tout en rupture de ton, le rire est ici d'autant plus douloureux qu'à la manière d'une pointe de cristal, il a pour qualité première son tranchant, et les immondices par trop humaines qu'il dévoile. On sort sonnés d’y avoir appris, comme pour la première fois, que la misogynie est le sujet fondamental du polar. Qu’à travers nos films policiers, nos romans noirs et nos faits divers, s’écrit encore et toujours l’effarante biographie de la gent masculine. Des hommes y enquêtent sur les meurtres commis majoritairement sur des femmes, par des hommes.