Légèreté du ton, profondeur du propos et graphisme admirable
Grand dessinateur de BD, à 60 ans, Pascal Rabaté, connu pour son trait léger et non caricatural, signe un magnifique album dont le dessin impressionne par sa souplesse, la vivacité dans la représentation des postures et des mouvements, la force des expressions, la manière dont il intègre les corps dans les espaces. Quant au texte, les convictions libertaires de Pascal Rabaté s’expriment haut et clair tout au long de l’album, qui mêle intimement idylle naissante et révolte sociale. Pas de partis politiques, de théoriciens, de militants, mais quelques personnages cabossés par la vie, bien résolus à ne pas se laisser faire. Fuyant facilités et stéréotypes, l’auteur des irrésistibles Petits Ruisseaux, la BD et le film, Pascal Rabaté étant aussi réalisateur de cinéma, dépeint tous ses personnages avec une rare justesse, même si dans ce petit théâtre, on voit tout de suite où vont ses préférences. Impossible, il est vrai, de ne pas éprouver de sympathie pour les protagonistes marginaux de cette histoire, ni de ne pas être touché par la charmante histoire d'amour entre deux jeunes que tout oppose. Si Pascal Rabaté est un indéniable maître conteur, il est tout autant un styliste inspiré, les dessins et la mise en scène sont remarquables, tout comme le choix des couleurs dominantes, ocre, brun et sépia, de même que la maîtrise des jeux de lumières et d’ombres. A souligner également le travail éditorial des éditions Rue de Sèvres qui ont su mettre en valeur le travail de l'artiste avec un album grand format, et un papier épais de qualité qui amplifie le plaisir de lecture. Fin scrutateur de la condition humaine, Pascal Rabaté, en situant l'histoire en 1962 où la France est en pleine décolonisation et où la société traditionnelle se craquelle, crée une enthousiasmante ode à la jeunesse, qui commence à rejeter les vieilles valeurs et refuser les destins tout tracés, préfigurant Mai 68, dans ce qui restera un de ses meilleurs albums.