La magie de Cézanne
On doit à Cézanne la réintroduction du crâne (en 1866 dans Crâne et chandelier), qui avait disparu au XVIIIe siècle, dans la peinture moderne. L’Aixois reprend à son compte la tradition de la vanité, apparue en Hollande vers 1620, mais lui retire toute signification métaphysique ou religieuse : le crâne est ainsi, à la fois rond comme une pomme (le sommet) et biscornu, baroque, tordu, irrégulier (la face). Dans ce tableau peint en 1898, conservé dans la fondation Barnes, près de Philadelphie aux États-Unis, le crâne est à la fois les fruits (ronds) et le torchon (biscornu). Cézanne le place au sommet d’une composition comprenant des pommes, des poires, un citron, une assiette et un torchon posés sur une table bancale au plateau impossible (l’alignement diffère de chaque côté du torchon). Le fond très sombre (verts, bleus, mauves, bruns) floral met en valeur – et en lumière – les ocres (table, crâne, et la curieuse ouverture triangulaire en haut à droite). Les fruits semblent en apesanteur, à la fois posés et aériens. Il y a toujours une puissante magie dans les natures mortes de Cézanne. En attendant, la réouverture tant espérée des musées, ces trois tableaux publiés depuis mercredi nous donnent encore un peu plus l'eau à la bouche, et nous rappelle que l'art est essentiel, n'en déplaise à certains.