L’historien philanthrope
C’est pour permettre à de bons élèves de milieux défavorisés au Bénin, au Vietnam et à Paris de poursuivre leurs études, qu’Odon Vallet a créé en 1999 la Fondation Vallet avec la fortune héritée de son père. Le célèbre historien des religions, qui a enseigné toute sa carrière à Sciences-Po et à l’Université Panthéon-Sorbonne, a aussi écrit de nombreux ouvrages et son expertise est souvent recherchée par les médias.
En arrivant dans l’appartement parisien d’Odon Vallet, on est frappé par la quantité de livres qui s’amoncellent dans tous les recoins. En plus des siens, il s’apprête à emmener au Bénin un grand nombre d’ouvrages neufs pour alimenter le réseau de bibliothèques qu’il y a créé, le plus grand de l’Afrique francophone. Avec ses 4000 lecteurs par jour, il est le seul réseau au monde dont le nombre de lecteurs augmente de 20% chaque année. La pauvreté et le manque de connaissances dans l’intérieur des terres au Bénin et dans les pays avoisinants faisant le jeu de Boko Haram et de l’Etat islamique, Odon Vallet contribue ainsi avec sa Fondation à lutter contre la radicalisation.
La fondation comme une évidence
C’est en héritant de la fortune de son père, dirigeant d’une compagnie d’assurance, qu’il décide de créer en 1999 la Fondation Vallet sous l’égide de la Fondation de France. Cet héritage intervient bien après la mort traumatisante de Jean Vallet dans un accident de voiture alors qu’Odon n’a que 7 ans : « Mon père était d’un milieu très modeste et a eu beaucoup de difficultés à financer ses études, c’est en pensant à lui que j’ai créé cette fondation destinée à aider des jeunes ayant de grands mérites scolaires et de faibles ressources financières. J’ai choisi le Vietnam où la réussite scolaire est souvent remarquable, le Bénin, un des rares pays africains francophones qui soit pacifique et démocratique, enfin vu que je suis parisien, l’Académie de Paris avec principalement les écoles d’art appliqué où il y a de vrais besoins sociaux et pas d’internat. Il s’agit de la fondation la plus importante au monde en matière de bourses d’excellence, j’en ai remis 51 000 en 16 ans à la fois au Vietnam, au Bénin et à Paris. »
Cette fondation vit des revenus de son patrimoine et de dons très généreux qui sont entièrement utilisés pour les bourses et les actions sur le terrain. Pour limiter les frais généraux et être le plus efficace possible dans l’aide apportée aux jeunes, Odon Vallet n’a pas voulu commettre l’erreur de nombreuses fondations ou associations humanitaires qui sont présentes dans un trop grand nombre de pays. Lorsqu’on lui parle de sa philanthropie, il précise qu’au-delà de l’argent elle demande aussi beaucoup de temps, ce dont il disposait malgré toutes ses occupations car pour des raisons familiales complexes il n’a pas d’enfant.
Son action récompensée
À ses yeux, cette philanthropie s’est développée progressivement, notamment en réalisant que l’action de sa fondation était une réussite. Avec un taux de succès aux examens de 97% des boursiers au Bénin et à Paris, et de 100% au Vietnam, il ne peut que se réjouir de la pertinence de son action. Comme le don est fondé sur l’échange, selon l’ethnologue Marcel Mauss, outre cette satisfaction des résultats, les jeunes qu’il côtoie régulièrement lui apprennent beaucoup dans des domaines qui lui sont étrangers : Les sciences exactes, les technologies et les métiers d’art. Alors qu’il repart prochainement au Vietnam et au Bénin accompagné de deux boursiers très brillants, il indique : « Dans la fondation, nous avons eu le premier béninois polytechnicien, ce qui a été une fierté immense pour le pays. A côté de cela, je remets dans ce pays beaucoup de bourses dans les lycées agricoles et professionnels dont les filières débouchent sur des métiers dont le Bénin a besoin. » Il est probablement le français qui connaît le mieux ces deux pays. Ce sont d’ailleurs les deux seuls pays dans lesquels il se rend aujourd’hui, alors qu’il a beaucoup voyagé tout au long de sa carrière.
Lauréat du grand prix BNP-Paribas de la philanthropie, certains disent le Nobel de la philanthropie, il est sensible au fait d’avoir été récompensé au même titre que des personnalités comme Viviane Senna, la sœur du pilote mort accidentellement, qu’il estime énormément pour son action visant à aider des jeunes brésiliens à faire des études.
Un investissement total
Odon Vallet a souhaité dès le départ qu’il y ait une traçabilité de l’argent. Il remet lui-même de la main à la main dans des enveloppes les 3700 bourses attribuées chaque année, pour éviter notamment que des chefs d’établissement prennent un pourcentage. Cela permet aussi aux jeunes de savoir d’où vient l’argent, ensuite des assistantes sociales au Bénin vérifient que cet argent n’est pas dépensé n’importe comment : « Il ne faut jamais donner un sou sans vérifier que l’argent est bien utilisé. » La devise de la fondation est : Le dessein d’une vie, le soutien d’un ami. Cette expérience depuis maintenant près de 17 ans a conforté son initiateur dans l’idée que l’on peut agir dans un certain domaine ayant des limites pédagogiques et géographiques. Il a pris l’habitude de dîner tous les samedis soir avec les 10 béninois qui poursuivent leurs études à Paris, même s’il ajoute : « Il ne faut pas non plus créer des liens trop étroits qui sont vite ceux de l’assistanat et de la dépendance. Nous n’avons pas d’association d’anciens, je ne veux pas de glorification du passé, je dis aux jeunes : je vous ai aidé un certain moment, maintenant c’est à vous de jouer. »
Il a aussi pour ambition de réconcilier l’Afrique francophone avec l’anglophone et a créé un laboratoire de langues à Porto-Novo au Bénin, aidé notamment par le département d’Etat américain : « Si nous voulons que les jeunes africains ne se tournent pas vers le terrorisme, il faut leur donner un avenir qui sorte de ces frontières linguistiques ridicules. Cette rivalité anglophonie francophonie est la première cause du génocide rwandais. J’éprouve un malin plaisir à réparer en toute petite partie les grandes erreurs de l’Histoire. »
Le doute et le pragmatisme
L’historien des religions qu’il est n’aime pas la laïcité à la française qui lui semble passéiste, et préfère la Constitution américaine selon laquelle l’Etat ne doit privilégier aucune religion mais ne s’interdit pas d’avoir des relations avec elles. D’une manière générale, sa philosophie est davantage anglo-américaine que française. Il n’est en aucun cas un doctrinaire, sa formation à l’ENA était tournée vers le côté pratique et concret du terrain. Odon Vallet se définit comme un croyant œcuménique : « La foi sans le doute peut être un fanatisme, l’homme du doute qu’était Saint-Thomas reste sans doute le plus grand évangélisateur. Je me méfie beaucoup de ces gens qui disent : j’ai la foi. » Le rôle de l’historien pour lui consiste à revisiter un passé que l’on n’a pas connu en pensant que son opinion aura peut-être une utilité pour inventer un avenir que l’on ne connaîtra pas. Pour ses recherches, il a ainsi passé beaucoup de temps dans le grec, le latin et les langues anciennes.
En quelque sorte, il perpétue une tradition de bon samaritain que sa grand-mère puis sa mère avaient adoptée. Son aïeule allait tous les jours à la messe depuis que ses quatre fils étaient revenus de la guerre 14-18 sans une égratignure, cas extrêmement rare. Elle est devenue une donatrice régulière des orphelins d’Auteuil et la mère d’Odon Vallet a continué ensuite.
Une expertise recherchée
Lui, qui a fait l’Institut des hautes études de défense nationale, se sent très proche du général de Villiers, chef d’état-major des armées, lorsque celui-ci affirme que l’on peut gagner la guerre et perdre la paix. Selon Odon Vallet, c’est ce qui se passe actuellement en Afrique : « On ne trouve plus de professeurs pour nos lycées français en Afrique et nos expatriés ont été mis en danger. » Il est souvent interviewé ces derniers temps sur l’image des religions entachée par les abus sexuels sur des mineurs et par le terrorisme. D’ailleurs depuis le 11 septembre 2001, dont il garde un souvenir ému au-delà de la catastrophe, d’une émission en direct à laquelle il a participé avec Jacques Chancel, on recherche son expertise même si parfois son opinion sur la laïcité dérange. Régulièrement invité à l’émission C dans l’air sur France 5, il intervient aussi sur France 24, RFI, TV5 monde et dans des médias étrangers.
Une carrière brillante
Ce sont les rencontres qui ont façonné le parcours du jeune étudiant et l’ont conduit à faire Sciences-Po puis l’ENA. Son admission à cette grande école reste l’un des plus beaux moments de sa carrière avec aussi le grand prix de la philanthropie, tant il ne s’y attendait pas. Ces rêves d’adolescent étaient bien loin de ce qu’il allait faire : « J’avais beaucoup d’admiration pour les champions sportifs, les artistes, tous ceux qui ont un public et se font applaudir, mais elle a décliné au fur et à mesure que j’ai vu l’envers du décor. » Il a cependant pratiqué l’alpinisme et le ski de fond à son niveau tout au long de sa vie, et continue d’aller à la piscine tous les matins.
L’autre versant de sa carrière, qui vient de prendre fin en juillet 2016, s’est déroulé à Sciences-Po et à l’université Panthéon-Sorbonne où il a enseigné l’histoire des civilisations et des religions, mais aussi la culture générale. Il compte parmi ses anciens élèves de nombreux ministres, députés et sénateurs, dont certains sont devenus des camarades. Parallèlement, il a également écrit une vingtaine d’ouvrages essentiellement autour des religions. A près de 69 ans, cet homme impatient mais assez calme cultive l’indifférence par rapport à son action et à ses écrits, à la manière de François Mitterrand : « Vous risquez d’être grisé par les compliments et il ne faut pas être abattu par les critiques. »