Une architecture engagée
A la tête de l’agence XTU avec son associé et mari, Nicolas Desmazières, Anouk Legendre est au cœur d’un renouveau de l’architecture, à la fois plus environnementale, originale et innovante. Parmi ses superbes réalisations, le pavillon France de l’exposition universelle de Milan, la cité des civilisations du vin à Bordeaux et un musée de la préhistoire en Corée du Sud.
Se présenter à une exposition universelle pour un architecte est forcément un grand moment, le pays voulant montrer ce qu’il est capable de faire à travers des projets spectaculaires. De plus, le thème de l’alimentation a fortement motivé Anouk Legendre et son équipe, qui souvent incorpore du végétal et de l’agriculture urbaine dans ses réalisations architecturales. D’ailleurs sur celle-ci, du houblon pousse dans la façade. Le projet tout en bois qu’elle a proposé a fait l’unanimité, avec des formes libres, des découpes innovantes et la valorisation d’une filière bois en plein essor pour la construction, depuis la baisse de consommation de papier liée à Internet. Très original, le pavillon français, qui évoque un marché, est un paysage renversé de vallée, collines et montagnes, avec une scénographie non pas au sol mais au plafond dans des caissons qui forment l’architecture du bâtiment. L’aspect novateur intervient aussi dans la conception en 3D avec des logiciels très sophistiqués, et dans la structure de la charpente totalement invisible. Entièrement démontable et réutilisable, ce très beau bâtiment aura une vie à la fin de l’exposition universelle le 31 octobre, puisqu’il sera mis en vente prochainement au plus offrant.
Changer les villes
Chaque nouveau projet est l’occasion pour Anouk Legendre de nouvelles expériences pour faire évoluer l’architecture et l’urbanisme vers d’autres pratiques, tout en mettant en valeur le sujet dont il est question. Une cellule de recherche est intégrée au sein de son agence, qui étudie les échanges possibles entre l’architecture et le végétal : « Nous voulons montrer que la ville peut être productive. Demain, beaucoup de matériaux vont disparaître, il nous faut trouver des systèmes pour anticiper les pénuries à venir, d’où l’intérêt de développer une agriculture urbaine. Pour cela, nous nous sommes fortement engagés avec des industriels dans les biotechnologies pour répondre aux enjeux de demain. »
Cette novatrice dans l’âme sent que l’état d’esprit est en train de changer, la ville de Paris notamment a lancé un grand appel d’offres pour réinventer la ville : « En raison de l’accroissement de la population et des économies d’énergie, nous allons devoir concevoir des villes plus denses, et pour que cela soit vivable et agréable, il va falloir trouver d’autres façons de faire entrer le végétal dans la ville, sur les murs et les toits notamment. » L’agence XTU apporte une nouvelle approche du métier d’architecte, en provoquant des partenariats inhabituels avec des professeurs d’université, pour utiliser leur procédé afin d’en faire des systèmes pour le bâtiment.
Des bâtiments hors-normes
A la différence des grandes stars de l’architecture, Anouk Legendre déploie une énergie énorme pour rentrer dans le budget initial d’un projet. Avec son équipe, elle a une vingtaine de réalisations à son actif, dont la cité des civilisations du vin à Bordeaux qui ouvrira dans un an et qui montre sa capacité à créer des bâtiments hors-normes : « Ce musée élaboré comme une cathédrale, avec une charpente entièrement en bois, est un hommage au génie du vin et de la Garonne qui coule juste à côté. ». De même avec le musée de la préhistoire en Corée du Sud, où le projet futuriste et harmonieux de XTU a été choisi en 2006 parmi 600 candidats du monde entier : « L’harmonie étant le fondement de la culture coréenne, notre projet se présente comme une calligraphie dans un paysage sauvage et montagneux, je pense que la sérénité qui s’en dégage a séduit le jury. » Anouk Legendre a une nouvelle fois dépassé les limites de son métier, en réalisant outre le bâtiment, la scénographie et les contenus du musée avec l’aide de célèbres préhistoriens. Autre concours gagné, le projet de maison des civilisations à La Réunion, conçu en énergie positive, en ventilation naturelle et favorisant les filières locales. Il a malheureusement été arrêté la veille du démarrage du chantier pour cause d’élections régionales perdues.
Original et environnemental
Le talent d’Anouk Legendre et son équipe s’exprime aussi sur des plus petites surfaces comme la chocolaterie de Patrick Roger à Paris, boutique galerie très originale, conçue comme une bulle d’arômes étirée avec des formes et des volumes audacieux. Les tours de logements sont un aspect important de l’activité très diversifiée de XTU, et celle en cours de finitions réalisée à Strasbourg est vraiment précurseur en la matière puisqu’elle sera à énergie positive. Autrement dit la tour produira plus d’énergie grâce à des panneaux photovoltaïques que ses habitants n’en consommeront. Le côté échange social est aussi une priorité pour l’agence dans ce genre de projets, avec ici un grand local collectif en haut de la tour avec vue sur la ville, pour encourager les gens à faire des activités ensemble. Autre réalisation à Nanterre, une tour avec cette fois des serres de 20 m² en façade pour les logements côté sud, et pour les autres la possibilité de cultiver un potager sur le toit. Comme le dit Anouk Legendre : « Si nous architectes qui sommes à la base de la construction des villes et à l’affût de solutions révolutionnaires, n’engendrons pas de nouveaux usages pour faire évoluer la société, personne ne le fera. »
La révolution des micro-algues
Parmi les nombreuses innovations qu’Anouk Legendre apporte à l’architecture, il en est une qui lui tient particulièrement à cœur depuis 8 ans, les micro-algues : « Le plus dur est de faire progresser une idée vers sa réalisation. Pour les micro-algues, c’est la rencontre entre plusieurs domaines. Outre la recherche de financement, il a fallu convaincre différents industriels de travailler ensemble, monter une filière de production et développer un marché. Une façade contenant des micro-algues, c’est le capteur solaire biologique du futur. » Ce projet a remporté le concours du Fonds unique interministériel, qui récompense l’innovation industrielle, cela lui a valu une subvention de 2 millions d’euros. Une première tour d’une dizaine d’étages à Marne la vallée se verra équiper d’une telle façade d’ici la fin de l’automne. Ces cultures de micro-algues sur les façades permettront de réaliser des économies d’énergies, de lutter contre la pollution en épurant l’air, et de fabriquer des cosmétiques, médicaments et aliments.
Un investissement total
Les moments les plus exaltants pour un architecte sont celui de la victoire lors d’un concours et l’attribution d’un projet, mais aussi celui, durant la construction, où le bâtiment se met à exister et lève l’interrogation sur la force qu’il dégage. A côté de cela, les concours perdus ou les projets arrêtés, malgré les mois de recherche et d’élaboration, font aussi partie du quotidien d’Anouk Legendre. Elle s’insurge contre l’image de doux rêveur qui accompagne son métier, alors que la réalité est toute autre : « C’est un métier à la confluence de tous les autres, nous devons comprendre et coordonner les différents acteurs d’un projet, du client aux ingénieurs, en passant par les industriels et les chefs de chantier. Outre l’aspect créatif, c’est un métier très technique où il faut se montrer aussi un bon gestionnaire pour respecter les prix. »
Après avoir hésité entre la peinture et l’agronomie, la jeune fille originaire du Gers qui rêvait de redynamiser les territoires de son enfance, choisit d’entreprendre des études d’architecture incluant une formation de paysagiste et de géographe, commencées à Bordeaux et finies à la Sorbonne. Elle y rencontre son futur mari, également architecte. Rapidement, ils présentent des concours, les gagnent et au bout de trois ans décident de monter leur propre agence en 1994. Leurs premières commandes sont des universités à Lille et à Rennes. Parallèlement, elle s’investit dans une action associative de quartier où elle est déjà une agitatrice d’idées pour le développement économique, social et culturel.
Pierre par pierre
Lorsqu’elle a peu de temps, Anouk Legendre aime se plonger dans la littérature japonaise, marcher dans Paris pour respirer l’air du temps, ou voyager à l’autre bout du monde pour aller admirer des paysages et les dessiner. A force de ténacité, à 50 ans, elle enchaîne avec son équipe les gros projets et espère en gagner d’autres à l’étranger, mais son désir le plus cher est de continuer à être un agent provocateur du renouveau des villes : « Nous participons à la construction d’un monde meilleur mais nous ne sommes qu’une petite pierre dans un océan. »