« Nous ne voulons pas d’une Europe uniforme mais unie »

Publié le par Michel Monsay

« Nous ne voulons pas d’une Europe uniforme mais unie »

Quatre fois ministre sous trois Présidents différents, Michel Barnier s’est longtemps investi pour la Savoie en étant député, sénateur, président du conseil général et l’homme clé des J.O. d’Albertville en 1992. Son autre engagement fort est l’Europe, où il a été député, commissaire et aujourd’hui conseiller spécial pour la sécurité et la défense auprès de la Commission européenne.

 

Que va changer l’arrivée de Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission européenne ?

Michel Barnier - La Commission de M. Barroso, à laquelle j’ai appartenu en étant chargé du marché intérieur de 2010 à 2014, a dû faire face à la crise financière et au risque d’explosion de la zone euro en raison de la Grèce. Il y avait une volatilité générale des marchés, pas de confiance entre nous et pas de confiance des autres régions du monde dans l’Europe. Si vous ne commencez pas par rétablir de la stabilité, rien n’est possible. Nous l’avons fait, cela nous a pris 4 ans, et aujourd’hui Jean-Claude Juncker a raison de mettre l’accent désormais sur l’investissement et la croissance. Il arrive avec de nouvelles méthodes qui devraient se traduire par davantage de collégialité et de rapidité dans les décisions. La Commission joue un rôle de "Premier Ministre européen" en quelque sorte, en proposant des budgets, des politiques, des lois, des débats aux deux chambres décisionnaires : le Conseil européen et le Parlement européen.

 

Pourquoi l’Europe est-elle vécue encore aujourd’hui par les français comme une contrainte voire un problème ?

M.B. - Les contraintes et les directives liées à l’Europe ont toutes été élaborées avec l’accord de la France, chacun doit donc assumer ses responsabilités. Je trouve dangereux la déconnexion entre l’action démocratique des institutions européennes  pour élaborer des lois qui nous concernent tous, et le débat national. Les élus devraient se saisir des propositions de lois européennes pour ouvrir des débats locaux afin qu’il y ait une information, un dialogue, des critiques, et ensuite les transmettre aux ministres français et aux députés européens. Nous avons trop souvent considéré que la politique européenne était de la politique étrangère, beaucoup d’hommes politiques aiment dire lorsqu’il y a un problème que c’est la faute de Bruxelles, et nous n’avons pas créé de courroie de transmission entre l’échelon européen, l’échelon parisien et l’échelon local. Il n’est pas trop tard pour que cela change, l’Europe est toujours en construction et je pense que les français ont compris que si nous ne restons pas ensemble, nous européens, nous sommes foutus.

Aussi, la construction européenne ne peut pas être trop simple. Si c’est simple c’est uniforme, et nous ne voulons pas d’une Europe uniforme mais unie. Le prix à payer pour que chacun des 28 pays garde son identité est une certaine complexité des instituions européennes.

 

Qu’allez-vous conseiller à la Commission européenne  en matière de sécurité et de défense après les récents attentats ?

M.B. - Ces menaces violentes venues de l’organisation appelée état islamique et d’Al-Qaeda avec des points d’appui parmi nos propres citoyens, comme on l’a vu récemment avec les attentats de Charlie hebdo, du magasin Hyper Casher, ou au Danemark et au musée juif de Bruxelles, exigent des réponses communes. Les services nationaux de renseignements doivent coordonner davantage leurs efforts, le contrôle des frontières doit être plus rigoureux et il faut accélérer la mutualisation de tout ce qui est lié à la sécurité européenne. Sans copier les américains, il faut néanmoins ne pas être naïf. Un exemple: nous devons avoir les outils de contrôle de l'identité des passagers aériens, nous savons très bien que ces terroristes prennent l’avion.

Nous sommes aussi plongés dans une autre crise, à l'est de l'Europe avec l'agression russe en Ukraine. Cela nécessite également de revoir les moyens  européens en matière de défense. Ici, la clé préalable est que nous ayons une politique étrangère commune. Si nous ne réfléchissons pas ensemble en amont, nous ne pouvons pas aboutir dans l’urgence à des positions communes au moment où la crise se déclenche. C’est comme cela que l’unité européenne a explosé lors de la guerre en Irak. La solution réside dans le travail qui se fait patiemment et commence à porter ses fruits dans le service diplomatique extérieur commun. La question diplomatique et militaire est un sujet sensible qui est au cœur de la souveraineté nationale, elle est régie par la règle de l’unanimité au sein de l’Union avec un droit de veto, mais nous devons avancer.

 

Dans quels domaines l’Europe peut-elle faire des progrès à 28 ?

M.B. - Si nous n’agissons pas ensemble, chacun des pays européens sera définitivement sous-traitant et sous influence des chinois et des américains. Nous devons trouver des accords à 28 dans des domaines comme l’énergie, le numérique et l’industrie. Pourquoi n’aurait-on pas la même audace pour préserver une base industrielle européenne comme celle que l’on a eue pour créer la politique agricole commune ? Je voudrais que l’on retrouve l’esprit de la CECA, la communauté européenne du charbon et de l’acier, toute première étape de l’Europe en 1952. Il nous faudrait cette audace aujourd’hui dans le monde tel qu’il est, où nous devons réduire notre dépendance énergétique à l’égard des russes, des pays d’Afrique et du Proche-Orient. La mise en œuvre du plan Juncker, un programme d’investissements de 300 milliards d’euros, devrait favoriser la relance de l’économie européenne, notamment dans les domaines que je viens d’évoquer.

 

Les efforts demandés à la France vous semblent-ils justifiés, et à la Grèce ?

M.B. - Pourquoi la France serait-elle incapable de faire les efforts que les autres pays ont faits ? Avec une dette qui va atteindre 95% de son PIB, la France fait partie des plus endettés. Le chômage de notre pays est dû à l’absence de réformes qui permettraient à ceux qui investissent d’avoir envie de le faire chez nous. Le poids des charges et des impôts, l’instabilité fiscale sont des problèmes propres à la France, et ce n’est pas Bruxelles qui le dit mais Louis Gallois dans son rapport il y a deux ans. Ce rapport, fait par un homme de gauche qui sait ce qu’est l’entreprise, dit exactement ce qu’il faut faire, il devrait être le livre de chevet de tout Premier Ministre. On en trouve des éléments dans la loi Macron mais nous n’allons pas assez vite ni assez loin. Nous ne pouvons pas continuer à payer notre fonctionnement d’aujourd’hui sur le dos de nos enfants.

Les efforts qui sont demandés à la Grèce doivent être plus justes, mieux répartis, il faut éviter de toucher des populations déjà très fragiles. Ce que paient les grecs aujourd’hui, c’est 30 ans de gouvernance entachée par la fraude, la corruption et l’absence de réformes. Le pays est entré trop vite dans la zone euro alors qu’il n’était pas prêt, d’autant qu’il avait fourni des chiffres faux, mais aujourd’hui il n’a pas d’autre solution que d’y rester. Nous devons être solidaires en ajustant les efforts et en donnant du temps à la Grèce, tout en préservant la ligne pour que le pays rembourse le plan de soutien de 240 milliards d’euros qui lui a été accordé.

 

Quelle est selon vous la bonne solution pour combattre le FN ?

M.B. - Le FN est fort parce que les autres sont faibles. Il ne faut pas stigmatiser les électeurs, qui souvent expriment une déception dans leur vote, mais plutôt tenter de retrouver leur confiance par un comportement exemplaire. En faisant ce que l’on dit, en ne promettant pas tout à tout le monde, en étant rigoureux. Le FN se nourrit de la colère, de la souffrance, du chômage, de l’exclusion. Il faut donc que ce pays en faisant les réformes nécessaires, en s’appuyant sur l’Europe, retrouve de l’emploi. Beaucoup de familles ne voient pas d’avenir pour leurs enfants. Ce ne sont pas des slogans mais des arguments qui permettront de combattre le FN, en démontrant à quel point leur programme économique est absolument insensé. Quitter l’Europe, abandonner la PAC, sortir de l’Euro et se retrouver tout seul, aurait pour conséquence de faire perdre 20 % de leur argent à tous les épargnants français, de nous mettre dans la main des marchés financiers, et nous perdrions également tout ce qu’il nous reste de souveraineté et d’indépendance. Il faut faire appel à l’intelligence des citoyens en leur expliquant les dangers des théories du FN.

 

                                                                    

Quelques repères

Originaire de l’Isère et diplômé de l’Ecole supérieure de commerce de Paris, il se consacre à la Savoie, dont il devient à 27 ans, le plus jeune député de l’hémicycle. Il est ensuite Président du Conseil général puis sénateur, et bien évidemment l’homme des JO d’Albertville avec Jean-Claude Killy. Il entame une carrière ministérielle en 1993, à l’environnement, puis plus tard aux affaires européennes, aux affaires étrangères et enfin à l’agriculture. Très impliqué dans la construction européenne, il est député européen puis deux fois commissaire. Aujourd’hui à 64 ans, également membre du Conseil d’Etat, il vient d’être nommé conseiller spécial auprès de la Commission européenne pour la sécurité et la défense. 

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