chroniques
Magnifique Zaho de Sagazan
Dans une cérémonie d'ouverture du Festival de Cannes bien meilleure qu'à l'accoutumée, Zaho de Sagazan, dont on a déjà dit le plus grand bien, a montré une nouvelle fois l'étendue de son talent en reprenant Modern love de David Bowie, ce qui a provoqué une grande émotion à Greta Gerwig, la présidente du jury, en lui rappelant une scène emblématique de Frances Ha, le film qui l'a révélée.
Le chevalier servant des lettres s'en est allé
Il y a 11 ans j'avais eu le plaisir de faire le portrait de Bernard Pivot en allant le rencontrer une heure chez lui, près de l'avenue des Ternes à Paris. Voici l'article que j'avais écrit :
Tout ce que fait cet amoureux de la langue française a toujours été couronné de succès. Depuis Apostrophes et Bouillon de culture à la télévision, jusqu’aux livres qu’il a écrits, en passant par ses fameuses dictées et aujourd’hui ses lectures spectacles sur scène.
Dans la foisonnante collection des dictionnaires amoureux, celui consacré au vin écrit par Bernard Pivot en 2006 est l’ouvrage qui s’est le plus vendu. Il était donc prévisible qu’une version illustrée voit le jour. Sorti ces jours-ci, ce beau livre est richement pourvu de photos, dessins et reproductions de tableaux qui accompagnent parfaitement les textes de l’auteur. S’il l’a conçu initialement pour mettre en avant les rapports du vin et de la culture et non écrire un livre technique de plus, Bernard Pivot a voulu aussi y mêler ses souvenirs liés aux vins. Dès son enfance dans la petite propriété familiale du Beaujolais, il a pratiqué les travaux viticoles avec le vigneron de ses parents durant toutes les vacances scolaires jusqu’à l’âge de vingt ans. Il est resté attaché à ce vin et à cette région où il possède une maison avec un hectare de vignes autour, destiné à la cave coopérative de son village à laquelle il est adhérent. Dans les années 1980, cet amateur de vin a résisté à la tentation d’acheter des vignobles comme beaucoup de personnalités l’avaient fait à l’époque, pour ne pas altérer son image en ayant des bouteilles de vin à son nom tout en faisant la promotion de livres sur le service public.
D’un public à l’autre
De une à trois fois par mois, il monte sur scène un peu partout en France pour une lecture spectacle de ses livres. Une trentaine de représentations ont déjà eu lieu après qu’il ait commencé il y a un an et demi au Théâtre du Rond-point à Paris, sur une idée de Jean-Michel Ribes son directeur. Bernard Pivot, qui a passé une grande partie de sa vie professionnelle à lire les textes des autres devant deux ou trois millions de téléspectateurs invisibles, a été excité par le challenge de lire ses propres textes face à un public réel. Parmi les théâtres où il s’est produit, l’expérience la plus émouvante s’est déroulée en juillet dernier à 5 km de chez lui dans le Beaujolais, devant une salle comble de proches et de voisins, où il a rajouté pour l’occasion des textes sur le vin à son spectacle.
La fidélité du public qu’il mesure sur cette aventure théâtrale, mais aussi à chaque sortie de livre, ou au vu des 180 000 personnes qui le suivent sur Twitter, n’a jamais faibli depuis Apostrophes. Cette émission mythique qui est restée dans l’esprit de tous ceux qui ont eu le bonheur de la connaître, pourra désormais être visible par tous. Douze émissions entières choisies par Bernard Pivot lui-même sur les 724 existantes, seront disponibles début novembre en DVD, et viendront s’ajouter aux tête-à-tête avec de grands écrivains qui sont déjà dans le commerce.
La miraculeuse alchimie d’Apostrophes
L’engouement autour d’Apostrophes qui dépassait largement le cercle des intellectuels au moment de sa diffusion, et même 23 ans après la dernière, s’explique par une conjonction de facteurs favorables selon son animateur : « Au-delà du fait que j’étais probablement la bonne personne au bon moment et que j’ai eu la chance d’être adopté par les écrivains et par les téléspectateurs, il y avait une attention aux livres qui est moins présente aujourd’hui. On prenait le temps de regarder une émission culturelle vu le nombre de chaînes plus limité, enfin le téléspectateur était attiré par ce genre de programme alors qu’aujourd’hui il a plus envie de se distraire. J’estimais une émission réussie lorsque l’on apprenait des choses, découvrait un écrivain, et qu’on avait envie de la poursuivre dans la lecture des livres. » Beaucoup de personnes d’horizons très divers, comme en témoignaient les libraires, se sont mises à lire après avoir vu Apostrophes, cette émission les valorisait.
Comme il y a toujours un décalage entre la parole et l’écrit, parfois certains auteurs étaient meilleurs sur le plateau que dans leur livre, ou inversement comme Patrick Modiano et ses hésitations. Des rencontres marquantes, il y en a eu énormément pour Bernard Pivot mais parmi elles, une s’est faite sur le terrain de la séduction : « Je suis tombé amoureux fou de Jane Fonda pendant qu’elle parlait en direct, et du coup j’ai un peu négligé les autres invités, j’étais au bord de la faute professionnelle. »
Profil atypique
Sa passion du football qui l’a amené à suivre pour France 2 quatre coupes du monde en tant que consultant, ainsi que ses origines beaujolaises, ont suscité les critiques de certains intellectuels. Ce côté populaire a certainement dû contribuer au succès de l’animateur auprès d’un large public. On lui a aussi reproché de ne pas avoir fait des études supérieures de lettres, à part celles de journalisme, qui auraient justifié la place importante qu’il avait à la télévision et dans le monde littéraire. Paradoxalement, ce manque a peut-être était une de ses forces, selon l’écrivain et ami Jorge Semprun, qui pensait que la curiosité d’étudiant dont faisait preuve Bernard Pivot lorsqu’il interviewait les écrivains avec gourmandise et malice pour savoir et comprendre, venait de ce manque. Son université à lui a été la télévision chaque vendredi soir. Cela dit, l’influence qu’avait l’animateur était considérable, tous les auteurs voulaient venir sur le plateau d’Apostrophes et le lendemain de l’émission, les ventes des livres présentés grimpaient en flèche.
Une carrière télé exemplaire
On peut remarquer une constante dans sa vie, ce n’est pas lui qui initiait les projets. Chaque fois on venait le chercher, comme pour ses débuts à la télévision alors qu’il travaillait au Figaro littéraire et avait une chronique humoristique sur Europe 1. Pour commencer, il crée l’émission Ouvrez les guillemets en 1973 sur la première chaîne, et à l’éclatement de l’ORTF il passe sur Antenne 2 pour lancer Apostrophes en janvier 1975, qu’il arrête 15 ans plus tard : « Je menais une vie monacale au milieu des livres, lisais entre 10 et 14 heures par jour, ne sortais jamais si ce n’est pour un match de football de temps en temps, et j’avais envie de retourner au cinéma, au théâtre et à l’opéra. »
D’où la création de Bouillon de culture en 1991. Cette émission qui a duré dix ans, traitait de différentes formes d’art dans ses premières années avant que le tropisme littéraire reprenne le dessus. Moins à l’aise pour interviewer des comédiens que des créateurs comme les metteurs en scène, Bernard Pivot se rappelle avec la disparation récente de Patrice Chéreau, de la formidable émission en 1994 où il l’avait invité en compagnie de l’équipe du film La Reine Margot et de l’historien Jean Tulard. Cinéma, littérature et histoire avaient été mêlés dans un vrai bouillon de culture ce soir-là. Pour clôturer sa carrière à la télévision, il a fait pendant quatre ans dans Double je, le portrait de personnalités d’origine étrangère ayant fait le choix de s’exprimer dans notre langue ou de vivre en France.
Un littéraire qui s’ignorait
L’idée du journalisme, encore une fois n’est pas de lui mais d’un parent éloigné. Après une scolarité plutôt moyenne jusqu’au Bac, il était assez peu sûr de lui et assez peu ambitieux mais il a tout de même intégré le centre de formation des journalistes : « Le médiocre lycéen est devenu un brillant étudiant, j’avais trouvé ma voie et je suis sorti vice-major de ma promotion. » Pourtant l’amour des mots et de la langue française a démarré très tôt, puisque son premier livre de chevet a été le Petit Larousse alors qu’il n’avait pas dix ans. Cette passion s’est concrétisée évidemment dans la lecture, mais aussi avec ses fameuses dictées des Dicos d’or qu’il a animés durant vingt ans. S’il a écrit quelques unes des plus belles pages de l’histoire de la télévision, Bernard Pivot a aussi exercé son métier dans la presse écrite, avec quinze années au Figaro littéraire, puis il a crée le magazine Lire, et aujourd’hui encore il a une chronique dans le Journal du Dimanche. Il faut ajouter à cela l’écriture d’une dizaine de livres, dont le dernier consacré à son nouveau dada, les tweets : « C’est un bon exercice où il faut savoir exprimer une idée, un sentiment, un souvenir en 140 signes et en y mettant un peu d’humour ou de gravité. »
Taillé pour l’Académie Goncourt
Lorsque Bernard Pivot a arrêté Bouillon de culture, Jérôme Garcin lui a dit : « Et maintenant l’Académie Française ? » Ce à quoi Bernard Pivot a répondu : « L’habit vert et les discours ne conviennent pas à ma nature modeste, en revanche l’Académie Goncourt me plairait beaucoup, on y fait trois choses que je sais à peu près bien faire : Lire, boire et manger. » Trois ans plus tard, il est élu à l’Académie Goncourt en octobre 2004 pour services rendus aux livres et à la littérature. Il devient ainsi le premier journaliste à avoir cet honneur. Aujourd’hui à 78 ans, il souhaite garder une santé assez bonne pour continuer à lire, boire et manger sans oublier écrire, dont il a longtemps refoulé l’envie avant de s’y consacrer depuis la fin de sa carrière à la télévision.
Macron, une nouvelle fois totalement irresponsable
En autorisant discrètement de nouveaux puits de pétrole en Seine et Marne qui risquent de contaminer la source d’eau potable à proximité, l’État commet une fois de plus une aberration environnementale et sanitaire. Le gouvernement a en effet approuvé en catimini l’élargissement sur un périmètre cinq fois plus vaste qu’auparavant d’une concession pétrolière près de la forêt de Fontainebleau. C’est pendant la trêve des confiseurs, le 27 décembre, que la Première ministre Elisabeth Borne a signé un décret favorisant le forage de deux nouveaux puits de pétrole en Seine-et-Marne, vite contresigné par Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, et par Agnès Pannier-Runacher, alors ministre de la Transition énergétique. Petit problème, la France ne manque plus de pétrole (de toute façon, les concessions dans l’Hexagone fournissent à peine 1 % de notre consommation en hydrocarbures), car en 2024, la vraie pénurie que commencent à ressentir les Français est celle de l’eau. Ce projet menace la nappe phréatique directement à des points de captage qui permettent d’alimenter en eau potable plus de 180 000 Franciliens, de la commune voisine au VIIe arrondissement de Paris. Sans surprise, l’établissement public Eau de Paris entend s’opposer maintenant à cette initiative nostalgique qui pourrait vite tourner à la catastrophe écologique. Mais quand Macron et sa clique vont-ils arrêter de faire n'importe quoi derrière des sourires hypocrites, des beaux discours et des conventions citoyennes qui ne sont que de la poudre aux yeux ?
Hommage à Paul Auster, le plus européen des écrivains américains
Le romancier américain, qui souffrait d’un cancer, s’est éteint mardi à Brooklyn à 77 ans. Auteur de plus d’une trentaine de livres à l’écriture sophistiquée, dont la “Trilogie new-yorkaise”, il avait fait de la fragilité des hommes le cœur de son œuvre. Très apprécie en France, c'était plus compliqué dans son pays mais c'est bien connu que les américains n'ont pas toujours bon goût ...
Belle Une de Libé :
Une grande perte pour le cinéma
Laurent Cantet avait le sourire tendre d’un enfant mais le regard broussailleux d’un adulte que la complexité du monde n’a pas fini de chiffonner. Ses films étaient à cette double image : tournés vers la jeunesse et ses espoirs, vers la noirceur, aussi, et les désillusions d’une société de plus en plus violente. Laurent Cantet est mort hier à l’âge de 63 ans d'un cancer, saloperie de maladie, et le cinéma perd un des témoins les plus préoccupés des soubresauts sociaux de notre époque. Cinéma humaniste ou social, artiste politique, voire militant, issu des rangs de la méritocratie républicaine et gardant de ses origines modestes cette élégance de toujours s’excuser d’être là, en haut de l’affiche, à la bonne place quand son esprit, son imagination, son regard se tournaient, irrésistiblement, vers ce qui grince et fait réfléchir, Laurent Cantet s’est concentré, à travers les neuf longs métrages qui composent sa filmographie, sur la difficulté à articuler les trajectoires personnelles avec les attentes, les normes ou les cadres de la société. Son puissant et émouvant premier long-métrage, Ressources humaines, réalisé en 1999, a fait date : sa caméra s'insèrait dans le fonctionnement quotidien d'une usine dont il décryptait les rapports sociaux à travers une relation père/fils. Le film qui consacrait les débuts de Jalil Lespert avait obtenu un César du meilleur jeune espoir pour l'acteur et un César du meilleur premier film pour Laurent Cantet. Avec son film suivant, il allait encore plus loin dans l’analyse de ce que représente le travail pour un homme, et nous éblouissait de son talent. L’Emploi du temps, inspiré de l’affaire Jean-Claude Romand, plongeait dans la psyché d’un cadre qui, à la suite d’un licenciement, se construit une vie professionnelle, toute une existence, sur le mensonge. Ce film est une véritable merveille d'intelligence, de rythme, de justesse dans la mise en scène de la perte avec un exceptionnel Aurélien Recoing. Un film glaçant sur l’imposture mais aussi sur la solitude, et sans meurtres à la fin pour se débarrasser de l’aspect monstrueux de Romand et ne garder de cette histoire que le commun, le banal. Elle était là, l’ambition de Laurent Cantet : ne jamais se laisser aller à la facilité du romanesque pour éclairer avec nuance les failles humaines. Le réel, toujours le réel. Et même quand il filmait la star Charlotte Rampling au soleil des Caraïbes dans Vers le sud, inspiré d'un roman de Dany Laferrière, c’était comme un corps riche face à celui d’un jeune Haïtien, dans un rapport Nord-Sud complexe entre désir et exploitation. Puis en 2008, il y a eu Entre les murs, d'après le livre de François Bégaudeau. L'écrivain jouait son propre rôle, celui d'un professeur de français dans un collège parisien classé ZEP (zone d'éducation prioritaire). Le cinéaste montrait la salle de classe comme un microcosme de la société, il a été copié depuis, et la difficulté pour un professeur d'incarner l'autorité tout en affirmant les vertus méritocratiques de l'école républicaine malgré les inégalités sociales. Le film est sélectionné in extremis en compétition au Festival de Cannes, où il reçoit la Palme d'or des mains du président du jury Sean Penn, ému et épaté, qui déclare : « une Palme à l’humanité, un film extraordinaire ». Son dernier film Arthur Rambo, sorti en 2021, se penchait sur la destruction d’une réputation sur les réseaux sociaux. Laurent Cantet préparait un nouveau film, L'Apprenti, au côté de Marie-Ange Luciani, la productrice d'Anatomie d'une chute. La maladie l'aura malheureusement empêché de mener à bien ce projet. Grande tristesse.