Chambre 212
Il y a un peu plus d'un an, nous avions été enchanté et bouleversé par "Plaire, aimer et courir vite", mais le cinéaste n'est pas le genre à s'endormir sur ses lauriers. A 49 ans, Christophe Honoré multiplie les projets de mise en scène de théâtre, d'opéra et poursuit une filmographie dense et profondément originale qui le place dans la catégorie de ceux dont on attend avec impatience la prochaine création. Sur fond de comédie vaudevillesque, il nous offre cette fois un conte sur le mariage, l'infidélité, le temps qui passe et les ravages qu'il induit, les frustrations et les regrets enfouis, avec une délicieuse légèreté qui par moments glisse sur des accents plus sombres. Son scénario et sa mise en scène théâtrale peut faire penser à du Bertrand Blier des grands jours ou du Alain Resnais, à travers un savant mélange d'absurde et de rêve qu'il rehausse d'une dose de magie et de poésie dans un tourbillon émotionnel. Pour que ce facétieux pas de côté sur la réalité nous entraîne dans son sillage, il fallait des dialogues savoureux, corrosifs et des comédiens irréprochables. Pari gagné sur toute la ligne, avec à sa tête une Chiara Mastroianni étincelante de liberté, de malice en Dom Juan féminine. Pour habiller l'ensemble comme souvent chez Christophe Honoré, la musique est très bien choisie, et l'on ressort de ce film d'une merveilleuse inventivité à la fois le cœur léger tout en ayant l'impression d'avoir explorer en finesse tous les méandres de la vie d'un couple.
Portrait de la jeune fille en feu
Ce film magnifique, dont l'élégance et la beauté visuelle illumine chaque image, a obtenu le Prix du scénario au Festival de Cannes. Ode à la création, à l’émancipation des femmes si compliquée au XVIIIe siècle, à la passion amoureuse, cette œuvre à l'image d'un tableau est composée de plans épurés, concentrés sur les visages, les corps, les textures, les paysages, et filmés avec une grâce infinie. Les comédiennes, Adèle Haenel et Noémie Merlant, sont remarquables d'émotion retenue qui peu à peu se libère, de justesse, de sensualité. A 40 ans, Céline Sciamma pour son 4ème film poursuit en costumes dans la veine d'un cinéma féministe subtil, émouvant, qui interroge sur la place de la femme dans nos sociétés, et en l’occurrence ici de leur absence dans l'histoire de l'art. En s'approchant au plus près d'une artiste peintre et de son modèle, une jeune aristocrate sortie de son couvent pour être mariée à un inconnu, la cinéaste filme comme rarement l'a été fait jusqu'à présent la naissance du désir. Il y a un peu du Jane Campion dans ce film qui nous bouleverse à plus d'un titre.
Ad astra
Pour son septième long-métrage, James Gray, un maître du septième art, nous offre à 50 ans une nouvelle merveille. Après nous avoir emmené en Amazonie dans "The lost city of Z", c'est dans l'espace qu'il situe la majeure partie de son nouveau film en signant l'un des tous meilleurs du genre. Tout à la fois spectaculaire et intimiste, "Ad astra" est remarquablement filmé, que ce soit lors d'impressionnantes séquences sur la lune, Mars, et autour de Neptune, ou à l'intérieur des stations ou engins spatiaux, mais aussi en s'approchant au plus près des visages. Brad Pitt livre ici peut-être sa meilleure interprétation, juste, sobre, il incarne parfaitement cet astronaute qui a une maîtrise totale de ses émotions, un pouls ne dépassant jamais 80 pulsations, mais une vie affective et amoureuse désastreuse. La relation père-fils souvent au cœur de la filmographie de James Gray est une nouvelle fois très présente ici, admirable Tommy Lee Jones dans le rôle de ce père, également astronaute, qui a passé sa vie en quête d'une vie extraterrestre, ce père que le fils admire, aime et déteste tout autant. Dénuée de sentimentalisme racoleur et de musique trop présente, cette odyssée spatiale et intérieure tournée en 35 mm et non en numérique est d'une captivante beauté.