Une comédie policière très efficace
Si le braquage parfait est un mythe du film de gangsters, il est aussi une réalité. Le Braquage du siècle s’inspire de celui de la banque Rio de Buenos Aires en 2006, dont la maestria rappelle celle de Spaggiari à la tête du gang des égoutiers à Paris en 1976. En se basant sur cette histoire vraie, le réalisateur argentin Ariel Winograd rassemble tous les atouts de ce genre de film : suspense, montage astucieux entre préparation et mise en pratique, à la façon d’Ocean’s Eleven, le tout avec une joyeuse amoralité et un humour digne, lui aussi, de Steven Soderbergh. Deux personnages émergent de cette singulière association de malfaiteurs : le cerveau de la bande (un artiste, prof de judo à ses heures, très porté sur le cannabis) et un escroc capable de mystifier un as de la police spécialisé dans les prises d’otages. Le premier est incarné par Diego Peretti et le second par Guillermo Francella, deux stars du cinéma argentin qui rivalisant de charisme. Entre rebondissements et suspense, aucun détail de ce braquage de haut vol n’est laissé au hasard, immergeant le spectateur au cœur de l’action, d'autant que le réalisateur a fait appel aux vrais protagonistes pour élaborer le scénario. La réalisation slalome habilement entre obstacles et personnages dans une ambiance désinvolte et gentiment provocatrice, garantissant un humour constant et au final un film dynamique et attachant.
Le braquage du siècle est à voir ici en location pour 2,99 € ou sur la VOD de votre télé.
La suavité d'une voix hors du commun
Entré dans l’histoire pour un trou de mémoire, le live Ella in Berlin : Mack the Knife compte parmi les enregistrements mythiques du jazz, et constitue la meilleure introduction possible à l’art d’Ella Fitzgerald. Bien sûr, il y a cette improvisation en roue libre sur Mack the Knife quand, ayant oublié les paroles de Kurt Weill, elle se met à chanter tout ce qui lui passe par la tête et entraîne où elle veut un public berlinois ébahi par son extravagante façon d’allier assurance et plaisanterie, saut dans le vide et science infaillible du rythme et de la mélodie. Mais le reste est tout aussi fabuleux, avec le meilleur des frères Gershwin et d’Irving Berlin, Cole Porter et Rodgers & Hart qui ont fait la gloire de la chanteuse en studio. Comme par exemple, The Man I Love, des Gershwin, qu’Ella entonne avec l’ingénuité non feinte d’une jeune fille rêvant au prince charmant. Cet album qui date de 1960 est une merveille qui permet d'admirer la voix exceptionnelle avec une tessiture de trois octaves de cette artiste inoubliable.
Derrière l'icône, une femme blessée
Le réalisateur Andrew Dominik, à qui l'on doit l'excellent L'Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford, s’attaque à un mythe hollywoodien : Marilyn Monroe, décédée il y a 60 ans, ou plutôt Norma Jean Baker dont il raconte pendant 2H45 toutes les névroses et les traumas. Un film au goût de soufre, non seulement par la présence de scènes torrides qui lui ont valu une interdiction aux moins de 18 ans aux États-Unis, mais aussi par le choix assumé de faire de la vie de Marilyn Monroe une longue et tragique descente aux enfers, aux antipodes des images de papier glacé. Andrew Dominik passe du noir et blanc, le négatif cauchemardesque de la vie de Marilyn, à la couleur et aux rares moments heureux de la star. Une habileté visuelle pour illustrer le monde chaotique de Marilyn Monroe. Une narration déconstruite qui ne nuit absolument pas à cette longue séance de psychanalyse qu’offre Blonde. Comme le roman de Joyce Carol Oates dont il est adapté, le film s’intéresse moins à la véracité chronologique qu’à la psyché de Marilyn. Il permet au réalisateur néo-zélandais de brouiller les frontières entre souvenirs réels et hallucinations. Un chaos visuel qui en fait un vrai grand film de cinéma et surtout pas un biopic. Un film nécessaire pour entrevoir l’envers du décor hollywoodien qui a broyé, en 10 ans, une jeune fille qui voulait juste être aimée. Blonde ne fait aucun compromis sur les abus ou maltraitances dont Marilyn Monroe a été la victime. Sans jamais singer bêtement la figure de Marilyn, pour l'incarner, l'actrice d'origine cubaine Ana de Armas livre une performance impressionnante et bouleversante. La ressemblance troublante et le mimétisme qui en ressortent par moments ne sont que la partie émergée, presque réductrice, d’une prestation remarquable de nuances.
Blonde est à voir sur Netflix.
Formidable et bouleversant pied de nez aux autorités iraniennes
Le grand cinéaste iranien Jafar Panahi n'a plus l'autorisation de tourner depuis 2010. Tous ses films se font désormais de manière clandestine, en équipe réduite. Pour Aucun ours, il a effectué un long travail de repérage pendant trois mois et a trouvé le décor de son film dans un village près de Tabriz, à proximité des frontières de l’Azerbaïdjan et de l’Arménie. Mais la présence de l'équipe a été dénoncée auprès des autorités, la forçant à fuir pour poursuivre le tournage dans d’autres villages alentour. Jafar Panahi, en prison à Téhéran depuis juillet dernier, agite avec la métaphore du titre sur la peur engendrée par l'ours, le chiffon des traditions manipulatrices et du pouvoir répressif. Aucun ours est d’une richesse thématique et formelle inépuisable, une mise en abyme imparable. Le cinéaste filme ses propres moyens de production, tout en dénonçant les raisons qui l’obligent à tourner par écran interposé. A l'époque du tournage, encore libre de mouvement dans son pays mais interdit de filmer, il effectue ce choix pour démontrer qu'il est capable de faire des films en usant d'une parade avant même qu'on la lui impose. C'est lui qui décide. Les traditions, sur lesquelles repose pour beaucoup le discours religieux en Iran, et la politique coercitive exercée dans le pays, sont fondées sur la peur. Jafar Panahi démontre comment il la surmonte dans la créativité. Pour le réalisateur, le cinéma est une arme contre le pouvoir. La preuve est que l’État iranien le combat. Le génie de Panahi vient de l’élégance et de l'humour avec lesquels il réplique à ces attaques. Il articule un récit d’une puissance réflexive inouïe sur son pays et sa place de cinéaste tout en s’interrogeant, avec une exigence admirable, sur la responsabilité de celui qui fait naître les images sans ne jamais se complaire dans un rôle victimaire. La colère a pris le pas sur l’humour malicieux habituel, toujours présent malgré tout. Le niveau d’urgence, de douleur et de frustration crie dans chaque plan du film et plus particulièrement dans un fragment saisissant où il ne parvient pas à enjamber la ligne invisible pour quitter son pays. Récompensé, par le Prix spécial du jury à la dernière Mostra de Venise, comme quasiment tous les films du cinéaste que ce soit à Cannes, Venise ou Berlin, Aucun ours joue à nouveau, après Taxi Téhéran (2015) et Trois Visages (2018), avec la limite floue entre documentaire et fiction. Jafar Panahi continue d'inventer un petit théâtre avec les moyens du bord mais qui nous passionne à chaque fois, pour mieux exprimer sa détresse d’auteur en quête de personnages, dénoncer l'insupportable condition féminine et capter l’essence inquisitrice d’un pays aux citoyens effrayés par leur propre ombre.
La liberté d'un franc-tireur
Le peintre anglais Walter Sickert est peu présent dans les collections françaises et pourtant il est l’un des artistes les plus célèbres du Royaume-Uni. Le Petit Palais à Paris propose la première grande rétrospective en France d'un artiste qui a pourtant beaucoup séjourné de ce côté de la Manche. Sa fréquentation des artistes français lui a permis d'ouvrir la voie à la modernité figurative dans son pays où il a régulièrement fait scandale. Walter Sickert est d'origines diverses, né à Munich d'un père artiste danois et d'une mère anglo-irlandaise élevée en France, à Dieppe. Lui grandit en Angleterre. Ce parcours et une brève carrière d'acteur lui laisseront le goût pour le changement, le déguisement ou les variations de techniques picturales, ainsi qu'un intérêt jamais démenti pour le monde du spectacle. Il s’inscrit exactement dans l’idée de peintre de la vie moderne, telle qu’elle est énoncée par Baudelaire, en 1863 : un artiste qui tient la chronique de ses contemporains et scrute la ville, ses rues, ses immeubles et ses lieux de plaisir nocturne. Précurseur dès la fin du XIXe siècle de Warhol, le peintre britannique fut admiré par Virginia Woolf et Francis Bacon pour son travail avant-gardiste et son rejet radical du classicisme victorien. Artiste subversif, Walter Sickert peint à ses débuts des sujets singuliers tels que des scènes de music-hall ou, plus tard, des nus perturbants dans des intérieurs pauvres de Camden Town à Londres, et à la fin de sa carrière, durant l’entre-deux-guerres, Sickert innove en détournant et transposant en peinture des images de presse sur l'actualité, le cinéma ou le monde du spectacle. Sous ses allures de Lord, l'artiste anglais, soutenu par ses épouses successives, passa sa vie à fuir la bonne société pour flirter avec le scandale et la transgression dans une Angleterre victorienne encore bercée par la rigueur académique. Cette exposition bienvenue nous donne la possibilité de découvrir à travers 150 œuvres, un peintre d'une grande modernité qui aura été toute sa vie en recherche de nouvelles techniques.
Walter Sickert est à voir au Petit palais jusqu'au 29 janvier.
Un film d'aventure mystique d'une grande beauté visuelle
Récit de l’épopée d’un pasteur-photographe danois à la fin du XIXe siècle malmené par la nature islandaise, le troisième long métrage de Hlynur Palmason envoûte par la beauté de ses plans dans des paysages grandioses. La nature est omniprésente, son royaume se constitue de cascades vertigineuses, d’horizons de verdure, de volcans en éruption, de glaciers d’anthologie. L’immensité des cieux incline à l’humilité. Dans ces terres éloignées, des caractères se percutent. Cela a des accents quasi mythologiques. On y sent le souffle de la grandeur, des frayeurs très anciennes, le goût amer du péché, ce mot voulait encore dire quelque chose, en 1860 et des poussières. On reste confondu par l’audace, l’originalité de Hlyur Palmason. Il peint avec de la pellicule, aligne les tableaux foudroyants, convoque les puissances antiques, dans des contrées où la nuit ne tombe jamais. Un chien aboie pendant la messe. Une lourde croix de bois dérive au gré du courant. La foi a du mal à se créer une place dans ces rudes climats. Le réalisateur scrute des âmes perdues, pratique un cinéma des confins. Il a de l’or au bout des doigts. C’est l’or du temps. Les images coupent le souffle. Le sujet emporte, déserte les petites misères quotidiennes, roule des destins dans la tragédie et la boue. Il y a du Aguirre (le film de Werner Herzog) dans cette fuite en avant, comme une sorte de rêve solennel. Bergman n’est pas absent et il n’est pas interdit de convoquer Dreyer. Il existe des films d'aventures et des films qui sont des aventures. Les seconds sont bien souvent plus passionnants, tant les images et les visages des comédiens portent les stigmates du tournage. Metteur en scène islandais, Hlynur Palmason est né et habite à Höfn, un port de 2.000 habitants planté sur une presqu'île, au sud-est de l'Islande. Il fabrique ses films sur place, profitant des paysages volcaniques et des lumières si particulières de ces régions septentrionales. Le format carré, surligné d'un bandeau noir, évoque les plaques de verre des débuts de la photographie. Godland livre aussi une réflexion sur la religion et la colonie. On oublie souvent, sous nos horizons, que l'histoire coloniale ne s'est pas simplement écrite du nord vers le sud et de l'ouest vers l'est. Les peuples du Nord ont aussi subi la violence des conquêtes. Lucas, investi d'une mission divine, sert le projet géopolitique de la couronne danoise. En témoigne, tout au long du dialogue, une féroce bataille linguistique et des dialogues où le danois se mêle à l'islandais. Malgré un héros antipathique voire détestable, le cinéaste impose la puissance de sa mise en scène dans ce grand poème épique, qui tient aussi de l’œuvre d’un naturaliste, et au final d'une ambition remarquable.
Fabuleux voyage à la découverte des trésors d'artisanat de l'identité ouzbèke
Indépendante depuis la chute de l'URSS en 1991, l’Ouzbékistan est l’héritier de cultures et de traditions millénaires. L'exposition "Sur les routes de Samarcande, merveilles de soie et d'or" à l'Institut du monde arabe, à Paris, rassemble 300 œuvres présentées pour la première fois en dehors des musées nationaux ouzbèkes : manteaux brodés d’or de la cour de l’émir, harnachements de chevaux en argent sertis de turquoises, tapis, ikats de soie, bijoux et costumes de la culture nomade ainsi que des peintures d’avant-garde orientalistes. Le nom des villes mythiques et légendaires, Samarcande, Boukhara, Khiva, ont nourri depuis des siècles, bien des imaginaires. L’Ouzbékistan, situé au cœur de l’Asie centrale, entre montagnes et paysages désertiques, entre plaines et oasis, est un pays unique en son genre. Carrefour des civilisations allant des peuples des steppes, de l’Inde, de la Perse, de la Chine au monde arabo-musulman, il est le dépositaire de Royaumes et d’Empires puissants nés de cette situation stratégique politique et intellectuelle unique. Dans l’optique de préserver et promouvoir la culture ouzbèke à l’échelle internationale, occultée durant des décennies par l'Union soviétique, l’Institut du monde arabe met en lumière le patrimoine et les savoir-faire ancestraux d’Ouzbékistan de la fin du XIXe au début du XXe siècle. On s’avance dans la pénombre pour admirer d’amples chapan (manteaux) plus somptueux les uns que les autres, le plus souvent en velours de soie importé, entièrement brodé d’or par-dessus les motifs d’origine. On trouve même deux modèles pour enfant aux superbes reflets orange ou violet. Cette magnifique exposition est une invitation au voyage et à l'enchantement au cœur des Milles et unes nuits, où l'art vestimentaire se caractérise par une virtuosité artistique, une somptuosité des broderies et dont l’exclusivité des motifs et a su être préservé au fil des générations.
Un spectacle virtuose d'une rare poésie
La chute des anges navigue entre cirque, danse, acrobaties et théâtre en multipliant les superbes images dans des atmosphères claires obscures. Suspendues à un fil, trois silhouettes engoncées dans des pardessus sombres gesticulent, vont et viennent accrochés à leur portemanteau. Cette scène, avec laquelle Raphaëlle Boitel ouvre le spectacle, en dit le burlesque autant que la poésie. L’artiste de cirque, metteuse en scène et chorégraphe a choisi… de ne pas choisir. Son art, comme en liberté, traverse les disciplines faisant de cette créatrice une indisciplinée notoire. Il faut dire qu'elle a été à bonne école, celle d'Annie Fratellini tout d'abord, puis une autre, en scène avec James Thierrée. Depuis elle a fondé sa compagnie et enchaîne les spectacles avec succès. Construite à la manière d’une fresque kaléidoscopique, alternant les séquences, tantôt véloces, tantôt ralenties, La chute des anges questionne l’humanité de demain, sa capacité à survivre, à poétiser un univers où tout est organisé, formaté, conformiste. S’appuyant sur le très beau travail de lumières de son comparse Tristan Baudoin, la musique impressionnante d'Arthur Bison et l'incroyable machinerie de Nicolas Lourdelle, Raphaëlle Boitel imagine une œuvre en clair-obscur entre comédie et tragédie. Loin de toute narration, elle invente des récits, des instants de vie où se croisent entre ciel et terre, hommes, femmes, êtres célestes. Jouant les équilibristes, convoquant poutres aériennes et mât chinois avec la fantastique Alba Faivre, Raphaëlle Boitel signe un spectacle de haute voltige, où virtuosité, grâce et beauté rivalisent d’intensité. Elle nous ouvre, avec ses beaux artistes acrobates, la boite de ses pensées, de ses rêves et de ses cauchemars. Dans le ballet des projecteurs dont les faisceaux semblent danser comme la musique, les acrobates sautent, s’élancent des les airs, se ruent pour combattre un monde de machines qui veut les faire taire. Un monde sans avenir qui formate les hommes. Ce spectacle de toute beauté nous entraîne dans un univers crépusculaire où l’humanité se disloque, mais le message final est plutôt optimiste sur la capacité de l'humain à s'émanciper et à renaître de ses cendres. On en sort éblouit.
La chute des anges est à voir les 3 et 4 mars à Grenoble (38) ; le 7 mars à Bron (69) ; les 10 et 11 mars à Maubeuge (59) ; les 14 et 15 mars à l'Opéra de Massy (91).