Depuis au moins Le criminel d’Orson Welles et Marathon man de John Schlesinger, on sait que la traque des criminels de guerre fait un sujet de cinéma hautement romanesque. Avec Les fantômes, Jonathan Millet investit ce sujet avec une maîtrise formelle et narrative qui impressionne pour un premier long-métrage, son récit parvenant à emprunter avec autant d’assurance les chemins du thriller que ceux de l’errance psychologique. Ce film inspiré de faits réels est l'œuvre d'un documentariste, qui signe ici sa première fiction. L’expérience documentaire de Jonathan Millet, tout comme sa connaissance de l’étranger, notamment la Syrie, puisqu’il y a vécu et filmé des heures d’images et plusieurs courts-métrages, nourrissent sa vision. En s’autorisant le cinéma de genre, il apporte une véracité au contexte et à son geste de cinéaste, en privilégiant une forme d’épure. Le coup de force se fait par sa capacité d’embrasser l’espace mental de son protagoniste, pour mieux le transfigurer à l’écran, dans une filature animale, où l’observation, l’ouïe, le souffle et l’odorat sont aux aguets. Adam Bessa, qui nous avait déjà impressionné dans Harka, est ici extraordinaire d'intensité et d’intériorité sombre, quasi douloureuse, qui donnent la mesure de l’enjeu. Homme de l’ombre, solitaire et hanté, le personnage central accapare tout le film, qui, suspendu à son souffle, aux bruits qu’il écoute, aux indices qu’il recoupe, diffuse une angoisse sourde et grandissante à laquelle les choix de réalisation, cadre serré, sons amplifiés, approche sensorielle, nous immergent totalement dans cette traque. Un documentaire sur le même sujet se serait nourri de témoignages, ici la fiction sculpte une terreur invisible, qui ne fait qu’envahir, plan après plan, l’imaginaire du spectateur. Ce premier film atypique surprend au coeur de chaque scène avec la subtilité de son scénario qui évite le didactisme et avec la précision de sa mise en scène hypnotique. Une mise en scène qui, au gré d'une longue filature, excelle à créer une tension dramatique en ne cédant jamais aux facilités d'un genre, le film d'espionnage, que Jonathan Millet investit d'une façon absolument originale.