La beauté cachée d'adolescents malmenés par la vie
Grand Prix de la section Un certain à regard au dernier Festival de Cannes, ce premier long métrage explore la rencontre de deux univers aux antipodes l’un de l’autre, une cité du Nord de la France où la pauvreté fait des ravages et le petit monde privilégié du cinéma, en épinglant avec lucidité et humour les archétypes du cinéma social. Le regard que posent Lise Akoka et Romane Gueret sur les personnages et leur environnement est bienveillant sans être naïf. Elles trouvent le juste ton et la bonne distance, leur approche se refusant au misérabilisme grisaillant comme à l’esthétisation grossière. Coloré et solaire, Les Pires brille autant par ses qualités d’écriture que par son interprétation. Carburant à l’énergie de ses jeunes comédiens épatants et parfaitement dirigés, il est d’une remarquable intelligence, progresse sans posture ni imposture en soulevant des questions éthiques qui le concernent lui-même. C'est un film dans le film aux faux airs de documentaire, une troublante mise en abyme de la fabrication du cinéma, qui permet de voir l’équipe et les comédiens alterner sans cesse entre leur réel et la fiction, et soulever des questions morales qui habituellement ne font que graviter autour des œuvres. Filmés souvent en gros plans, les visages et les regards des jeunes interprètes, choisis lors de castings sauvages, nous touchent et nous interrogent. Ce film, qui est un hommage à tous ces enfants cabossés par l’existence, montre que Les Pires peuvent se révéler bouleversants pour peu qu'on leur fasse confiance et leur donne la possibilité de s'exprimer. Naviguant entre drame et comédie, ce long-métrage poignant qui démarre comme un documentaire, un bloc brut, s'ouvre peu à peu à la fiction et gagne en émotion jusqu’à l’impressionnante séquence finale, qui brouille toute frontière entre fiction, réel et documentaire.
Faites comme Chirac !
Quelle honte ! Augmenter le Pass Navigo de près de 10 € alors que la qualité de service n'a jamais été aussi mauvaise, c'est vraiment se moquer du monde. Métros bondés, temps d'attente souvent beaucoup trop longs, quand finira-t-on de nous prendre pour des moutons voire des imbéciles ? Comment voulez-vous convaincre les gens de délaisser leur voiture et de prendre les transports en commun dans ces conditions ? Évidemment, le gouvernement protège une fois de plus les entreprise en refusant de les faire participer un peu plus au budget des transports en Ile-de-France, au détriment des usagers et de la transition écologique dont ils se foutent royalement. En cette période de Fêtes, on a vriament l'impression d'être les dindons de la farce !
Un puissant réquisitoire contre la privatisation de la santé aux États-Unis
Jusqu’à maintenant, Tobias Lindholm était surtout connu comme coscénariste, notamment de Drunk, ou de la série Borgen, même s'il avait déjà réalisé trois films dont Hijacking et A War, mais en nous racontant l’histoire vraie de Charles Cullen, un infirmier qui a commis des dizaines, voire des centaines de meurtres, le cinéaste danois livre un récit glaçant, qui en dit long sur le système de santé américain. Le sensationnalisme n'a pas sa place ici, et c'est tout à l'honneur du réalisateur que de redonner via la fiction une perspective humaine à cette histoire sordide. Pour interpréter ce tueur en série, il a fait appel à Eddie Redmayne, Oscar du meilleur acteur en 2015 pour son incarnation de Stephen Hawking dans Une merveilleuse histoire du temps, l'acteur britannique ajoute un nouveau rôle à sa filmographie déjà très dense, dont la froideur inquiétante risque de rester longtemps dans les mémoires des spectateurs. À ses côtés, une autre actrice oscarisée, la toujours excellente Jessica Chastain. Plus que le portrait de ce criminel en gants de soignant, ce thriller américain passionne par sa mise à nu du système hospitalier américain : Plutôt couvrir un meurtrier que passer pour un établissement à bavures et à problèmes qui va perdre du crédit. Le virer discrètement, mais faire opposition à toute possible enquête policière. Pas vu, pas pris. Pas de vagues. Mourir n’est rien par rapport à un système de notations qui pourrait partir à la baisse. Si le profit n’était pas mêlé à ce point à la santé aux États-Unis, Charles Cullen aurait été arrêté plus tôt. Ce thriller sombre et ambitieux, qui fait partie du catalogue cinéma de Netflix, est un argument de choc pour s'abonner à la plateforme, au même titre que The power of the dog ou The lost daughter.
Meurtres sans ordonnances (The good nurse) est à voir sur Netflix.
Quand l’appétit de jouer équivaut à celui de vivre
Tout d'abord pour en finir avec la polémique autour du film, à cause d'un de ses acteurs, accusé de viols et violences sur conjoint par des anciennes compagnes, deux choses : D’une part, les faits reprochés à Sofiane Bennacer ne concernent pas le film, ils se seraient déroulés des mois avant que le comédien soit auditionné pour son rôle. D’autre part, Les Amandiers, même s’il apparaît aujourd’hui dans un de ses aspects comme une mise en abyme troublante sur les amours toxiques et la violence masculine, est un très beau film et il serait injuste de priver les autres jeunes acteurs et actrices d’une reconnaissance méritée à cause des agissements présumés d’un seul, sans parler du travail de toute l'équipe technique.
En ravivant ses souvenirs associés à ses années d’apprentissage à l’éphémère école des Amandiers de Nanterre, dirigée par le grand Patrice Chéreau dans les années 1980, Valeria Bruni Tedeschi, épaulée par Noémie Lvovsky et Agnès de Sacy au scénario, compose une ode vibrante aux acteurs et à la jeunesse. Ce film, qui est son meilleur, fait éprouver la fièvre qui régnait dans cette école et donne à sentir ce qu’implique la vocation d’acteur. Elle filme aussi la jeunesse, dans tout ce qu’elle a d’incandescent, d’irrévérencieux, d’insouciant, mais aussi dans ses zones d’ombre. La mise en scène très agile de Valeria Bruni Tedeschi parvient à tisser le théâtre et l’existence de chacun dans un permanent va-et-vient, où le tragique et la légèreté se font la courte échelle. Elle fait ainsi entrer le monde extérieur dans l’univers très circonscrit de cette école expérimentale et restitue avec fidélité le climat d’une époque terrorisée par les ravages du Sida et de la drogue. En double de fiction de la réalisatrice, Nadia Tereszkiewicz, déjà appréciée dans Seules les bêtes, est éblouissante. Autour d'elle, les autres comédiens sont tous confondants de présence et de justesse. Ils forment une troupe épatante, se révèlent aussi engagés dans leur art que leurs personnages, traversés de part en part de tous les vertiges et de toutes les émotions qu’un tel voyage peut provoquer. Les amandiers est le film d’une actrice qui rend hommage à la magie du jeu, au mystère de l’art dramatique, et elle y parvient merveilleusement.
La légèreté et l'humour de Catherine Meurisse
L’artiste de 42 ans qui vient d'être reçue à l'Académie des Beaux-Arts, en plus de considérablement en rajeunir la moyenne d’âge, fait enfin entrer officiellement le neuvième art dans cette prestigieuse assemblée, dont les origines datent du XVIIᵉ siècle et qui vise à soutenir la création. L'ancienne dessinatrice de presse, notamment à Charlie Hebdo, dont elle échappa par miracle à l'attentat pour être arrivée en retard à la conférence de rédaction du 7 janvier 2015, s'est depuis totalement consacrée à la bande-dessinée ou au roman graphique, selon le terme employé, avec notamment Le pont des arts ou La jeune femme et la mer, ou encore La légèreté, qu'elle a dessinée durant l'année qui a suivi l'attentat.
Un film humaniste et politique, puissant et viscéral
Auréolé du Grand Prix du jury à la Mostra de Venise, du Prix Jean Vigo, Saint Omer représentera en plus la France pour l'Oscar du meilleur film étranger. Le premier long-métrage de fiction de la documentariste Alice Diop est impressionnant et obsédant, il fascine autant qu’il remue. Ayant assisté au véritable procès en 2016 de Fabienne Kabou, jugée pour la mort par noyade de sa fille de quinze mois, la réalisatrice est partie des textes des assises pour construire son scénario, avec sa monteuse et avec l’écrivaine Marie Ndiaye. Dans un souci de véracité, elle a fait construire le décor d’audience dans une pièce voisine de la véritable salle du palais de justice de la ville du Pas-de-Calais donnant son titre au film, et le tournage des séquences s’est déroulé dans la chronologie temporelle des événements. L’implacabilité des cadres, très souvent fixes, crée aussi une attention doublée d’une tension, palpables et rarement atteintes à l’écran. Il y a une force insensée dans ce que le chemin de cette protagoniste raconte de la femme noire exilée. Les mots de Fabienne Kabou saisissent. L’incarnation et la restitution distancées de la comédienne Guslagie Malanda hypnotisent autant qu’elles nourrissent d’interrogations. La densité transpire de chaque plan et de leur enchaînement, tant dans l’écho sur le personnage créé de Rama, romancière miroir de la cinéaste, que dans l’interprétation des autres figures en jeu, frappante d’ancrage vibrant. Notamment Aurélia Petit dans le rôle de l'avocate, dont la plaidoirie est un grand moment de démonstration sur la complexité d'être femme, fille et mère. De même, la comédienne de théâtre Valérie Dréville en présidente du tribunal est très juste. Alice Diop met à profit dans cette fiction toutes ses qualités de documentariste rigoureuse. Rigueur soucieuse d’exactitude quant au rituel de la cour d’assises, son cérémonial, sa gravité, également rigueur esthétique et politique, les deux étant ici indissociables. Animée par le désir de leur plus grande visibilité, la réalisatrice magnifie ici des femmes noires, en leur donnant, au premier plan, une formidable puissance picturale. D’un fait divers terrible, la cinéaste déploie une fiction saisissante qui interroge nos regards, nos savoirs, nos jugements. Derrière sa glaçante évidence, la tragédie au centre du procès charrie dès lors une somme d’énigmes qui reflètent notre société dans toute sa complexité.