Il était le plus doué et celui que l'on préférait de la bande, et malheureusement c'est lui qui s'en va le premier à 72 ans. Michel Blanc, pilier surdoué de la troupe de café-théâtre du Splendid composée de Josiane Balasko, Marie-Anne Chazel, Christian Clavier, Gérard Jugnot, Thierry Lhermitte, est resté indissociable du personnage de Jean-Claude Dusse, loser attachant des comédies cultes Les Bronzés (1978) et Les bronzés font du ski (1979), de Patrice Leconte. Dusse, c'est ce moustachu pâlichon qui ne suscite que l'indifférence. Il est le plus touchant de cette bande d'affreux, le seul qui, par-delà les gags, inspire un peu de compassion aux spectateurs. De ses plans drague foireux qui n'atteignent jamais leur conclusion à ses tentatives de suicide, Dusse rate absolument tout. Mais il a accepté son sort, cette fatalité de loser qui le poursuivra toujours. S'il réussit quoique ce soit un jour, ce sera forcément sur un malentendu. Après Les bronzés font du ski où il se retrouve coincé sur un télésiège à chanter « Quand te reverrais-je, pays merveilleux… » en 1979, Michel Blanc va décliner cet archétype dans trois comédies qu'il coécrit avec Patrice Leconte : Viens chez moi, j'habite chez une copine (1980), Ma femme s'appelle reviens (1981) et Circulez, y'a rien à voir (1982). Puis dans son premier film de réalisateur Marche à l'ombre, énorme succès de 1984. Toujours moustachu, le Michel Blanc du début des années 1980 donne un visage à la France qui a raté le train des Trente Glorieuses. La France dans la dèche, qui squatte les canapés des potes et zone devant les flippers, en attendant une vague combine foireuse à la place d'un boulot de plus en plus rare. Michel Blanc joue ce gars-là, « épais comme un sandwich SNCF », comme le chante Renaud dans la B.O. de Marche à l'ombre. Et pour encore mieux se diminuer, il s'affiche avec les beaux balèzes de l'époque, Bernard Giraudeau et Gérard Lanvin. Il reviendra à Bertrand Blier de le transformer en une figure tragique et pathétique. En 1986, dans Tenue de soirée, Michel Blanc tombe amoureux de Gérard Depardieu, rase sa moustache, se travestit et reçoit le Prix d'interprétation au festival de Cannes, sa carrière peut alors prendre une direction nouvelle. En 1989, Monsieur Hire de Patrice Leconte le précipite dans la France pluvieuse de Georges Simenon. Il y est excellent en jouant autrement, l'éternel invisible, ce fade Hire qui vit seul dans son appartement parisien, obsédé par une voisine qu'il passe des nuits à observer dans le noir. S'il ne renonce pas totalement à la comédie, Michel Blanc va pouvoir devenir le grand acteur dramatique qu'il a toujours rêvé d'être : collabo irascible dans Uranus de Claude Berri en 1990, bouleversant médecin homosexuel courageux et débordé par la vague du Sida dans Les témoins d'André Téchiné en 2007, glacial directeur de cabinet du ministère des transports dans L'exercice de l'Etat, superbe film de Pierre Schoeller, qui lui offre un César amplement mérité en 2011. Dans son dernier film sorti sur les écrans, Marie-Line et son juge de Jean-Pierre Améris, il jouait un juge. Il s'y montrait bougon, alcoolique… et finalement, forcément, attachant. Il y aussi ce rôle qu'il s'est écrit lui-même, dans un numéro schizophrénique troublant. En 1994, dans Grosse fatigue, il se met en scène en pauvre type qui se fait passer pour Michel Blanc où Carole Bouquet l'y traite de « Woody Allen franchouillard ». L'acteur réalisateur est mort sans prévenir, dans la nuit, et sa vie s'est conclue, sur un malentendu. Il aimait citer cette phrase de Jacques Brel : « On est le produit de hasards biologiques qui font ce qu'ils peuvent ». En 50 ans de carrière, il nous aura proposé 50 nuances de Blanc en tant qu'acteur évidemment mais aussi comme réalisateur dans ses trois premiers films, c'est peu dire qu'il va nous manquer.
Extrait d'une interview de Jean-Pierre Améris, le réalisateur de Marie-Line et son juge à propos de Michel Blanc : « Comme souvent avec les comiques, l’émotion n’est jamais loin. J’aime les gens capables de faire rire. Quand on fait autant rire les autres, c’est parce qu’on est blessé. C’est l’être humain qui aurait voulu être autre chose et qui va mettre toute la misère humaine dans son personnage. On reconnaît le talent des acteurs comiques uniquement quand ils font des rôles tragiques. Je le déplore. Dans Les Bronzés ou Marche à l’ombre, il mettait énormément de douleur. Ce genre de rôles qui nous représentent nous consolent et nous sauvent. Le spectateur ne se moque pas de Jean-Claude Dusse. On a de l’empathie pour lui. Et Michel Blanc ne se moquait pas des gens. Il vient d’un milieu modeste, il était très caustique, mais pas du tout méprisant, loin de là. La phrase d’Henri Calet, “Ne me secouez pas, je suis plein de larmes”, lui correspond absolument.