Puissante tragédie sur fond d'amour filial, de racisme et de mafia
Avec des best-sellers comme Mystic River, Gone Baby Gone ou encore Shutter Island, tous adaptés au cinéma, Dennis Lehane est un géant du polar contemporain qui a depuis longtemps prouvé son talent à construire de sombres drames se jouant la plupart du temps à Boston, dans des milieux semblables à celui où il a grandi. Il en est de même dans son dernier roman, Le silence, où il reproduit des personnages dont les propos ne sont en fait que le reflet fidèle d’une époque pas si lointaine qui l'a marqué. D’une écriture teintée d’ironie, Dennis Lehane dénonce entre les lignes les préjugés raciaux, l’implantation sournoise de la drogue dans les quartiers populaires du nord-est des États-Unis, les injustices érigées par un système de classes et l’étrange logique d’une violence qui ne connaît pas de limites. C'est une peinture très sombre de l'Amérique des années 70, une Amérique où la ségrégation ne veut pas mourir. Mélange de roman noir et de drame social sur fond d’Histoire, Le silence, avec son écriture fluide, phrases courtes et percutantes, déconstruit la fabrique de la haine et désigne les profiteurs mafieux grâce à son héroïne, une mère-courage qui met à mal un système qui dévore ses propres enfants, un personnage fabuleux, d’une détermination qui fait penser aux grandes tragédies grecques. Ce roman est ainsi d’abord un portrait de femme d’une rare puissance, une femme plutôt antipathique dans les premières pages mais qui va évoluer au fil du roman. C'est aussi le portrait pas très reluisant de la communauté irlandaise de Boston, dont Dennis Lehane est issu. En plus de son épaisseur sociale, c’est une méditation bouleversante sur la difficulté d'être parent : l’incapacité, malgré l’amour, à protéger ses enfants des griffes du monde. Le talent de Dennis Lehane tient à la fois dans la finesse de l'écriture, la qualité de l’intrigue, les dialogues cousus main, sa sensibilité et son sens aigu du romanesque. Comme Raymond Carver, il peut vous foudroyer en quelques mots, mais sans jamais délaisser ses personnages qui ont une épaisseur, une humanité rare. Sans bons sentiments, sans fausse bonne conscience, en prenant pleinement acte des contradictions de tous les discours politiques ou humanistes, même les plus vertueux, Dennis Lehane dresse un portrait terrifiant, non pas seulement des Etats-Unis des années 70, mais bien de notre monde actuel, où monte à nouveau la peur et la haine de l’autre, et la tentation exploitée par la droite et l’extrême droite du repli sur soi, sur des valeurs que l’on pense établies et qui ne sont finalement que des mensonges. Le Silence est un véritable cri d’alerte face à la haine qui monte dans nos sociétés, qu’il faut absolument lire et faire lire autour de soi.