Avec 30 années au journal Le Monde dont 13 à la direction, des émissions à la télévision, à la radio, des livres,
Jean-Marie Colombani est assurément l’un des plus éminents journalistes politiques. Tout en continuant ses collaborations audiovisuelles, il est aujourd’hui à la tête de Slate.fr, un site en
plein essor qui prend le temps d’analyser l’information.
Totalement investi dans l’Internet depuis 2 ans, Jean-Marie Colombani entouré de 4 partenaires a créé la version
française du site américain d’informations « Slate.com » appartenant au Washington Post. Cela fait un moment qu’il était persuadé que l’univers de la presse allait se structurer autour
d’Internet, il a d’ailleurs lancé la version web du journal « Le Monde » en 1995 lorsqu’il en était directeur. Avec Slate.fr, il a fait le pari de la qualité : « Devant la
profusion d’informations en flot continu, j’ai pensé qu’il serait judicieux de proposer un site de réflexion et d’analyse non partisanes pour mieux comprendre ce qui se passe dans le monde.
D’autant que les restructurations dues à la crise de la presse écrite, affaiblissent la force de frappe éditoriale d’un certain nombre de journaux. »
En s’appuyant sur la base très puissante en termes de contenus du site américain, dans laquelle l’équipe de Jean-Marie
Colombani peut puiser tant qu’elle le souhaite en la traduisant, Slate.fr rencontre depuis 2 ans un succès croissant et a fait naître pour son plus grand bonheur, une entreprise de presse qui
fait travailler un volant de 200 collaborateurs plus ou moins réguliers : « La réussite vient d’un mix de journalistes aux cultures différentes, les premiers issus du journal Le Monde,
riches d’une plus-value professionnelle, les seconds étant des jeunes nés dans l’Internet. A cela s’ajoute la production importée de la planète Washington Post. »
Journaliste tout support
Autour de cette activité très prenante, qui plus est en plein développement avec notamment l’ouverture de Slate Afrique à
Dakar en début d’année, où il est retourné pour la 1ère fois dans sa ville de naissance, Jean-Marie Colombani à 63 ans n’a pas vraiment le temps de s’ennuyer. En plus de sa société de
conseil en stratégie médias et communication, il a cofondé et participe à 2 sites dont un dédié à la philanthropie : Youphil.com, continue d’écrire naturellement sur Slate.fr, mais aussi des
éditos pour l’Express, Challenges ou des journaux étrangers comme El Pais, anime depuis 10 ans chaque samedi sur France Culture « La rumeur du monde » et a une chronique le même jour
sur France Inter. A côté de cela, il a une émission intitulée « Jean-Marie Colombani invite » sur la chaîne Public Sénat où il interviewe des personnalités en prenant le temps d’aller
plus loin dans la réflexion.
La petite vingtaine d’essais politiques qu’il a écrits s’ajoute à tous ces supports où Jean-Marie Colombani peut exprimer
sa passion du journalisme et de la politique : « La radio avec son instantanéité est un instrument de liberté phénoménal, Internet est devenu le centre des supports de presse qui
doivent aujourd’hui apprendre à s’organiser en fonction de lui, mais ils ne disparaîtront pas pour autant. Les livres représentent une ascèse et beaucoup de temps que je n’ai pas actuellement,
cependant ils m’ont permis chaque fois d’arrêter ma pensée et poser une réflexion approfondie. »
La télé pour démarrer et pour s’affirmer
Après des études à Sciences-Po, sa carrière démarrée en 1973 à l’ORTF, prend corps durant 3 ans à FR3 Nouméa en
Nouvelle-Calédonie où il a passé d’ailleurs une partie de son adolescence. Il devient également correspondant local du journal Le Monde, ce qui lui permet en 1977 lorsqu’il revient en
métropole d’être embauché à la rédaction pour couvrir le conflit entre Giscard et Chirac, l’un à l’Elysée l’autre à la Mairie de Paris. Son retour à la télé, cette fois au plan national se fait
en 1987 aux côtés d’Anne Sinclair pour Questions à domicile sur TF1 : « C’était pour moi une chance d’approfondir l’art et la manière de l’interview à une époque où elle faisait
événement à la télévision. D’autant que nous étions dans une période bénie pour les journalistes avec la première cohabitation entre Mitterrand et Chirac, puis l’élection présidentielle de
1988. »
Jean-Marie Colombani ne croit pas à l’objectivité d’un journaliste : « On est tous porteurs de sa propre
subjectivité, le tout est de la faire reculer autant qu’il est possible et accomplir honnêtement son métier. » Il rejoint ensuite en 1989 l’équipe de L’heure de vérité, l’émission politique
phare de la télévision française aux côtés de François-Henri de Virieu, Alain Duhamel et Albert du Roy. Un invité était interviewé durant une heure selon une dramaturgie précise où il se
retrouvait successivement face aux 3 journalistes qui faisaient chacun feu de tout bois sous des angles différents. Ces 6 années sont riches en souvenirs pour Jean-Marie Colombani dont les pires
sont les interviews de Jean-Marie Le Pen : « Il instaurait tout de suite un rapport de force physique violent, Jacques Chirac n’était pas commode non plus, il était péremptoire et
habitué aux tunnels pour empêcher le journaliste de poser des questions, il a d’ailleurs toujours été mauvais à la télé. »
La consécration au Monde
Le plat de résistance de la carrière de ce journaliste revendiqué de gauche qui se considère comme un social démocrate,
est bien évidemment les 30 années au journal Le Monde, où il gravit les échelons jusqu’à en prendre la direction en 1994. C’est une période où le quotidien va mal, Jean-Marie Colombani va le
sauver et le relancer en lui redonnant son influence historique et même une puissance qui lui sera reprochée par la suite, tout en lui conservant son indépendance et ses valeurs. Il le fait en
lançant une nouvelle formule qui rencontre rapidement un franc succès, en construisant avec la contribution d’Alain Minc un groupe de presse autour du Monde, et en créant la version web du
journal.
Malgré un bilan plus que positif, il n’est pas réélu une 2ème fois en 2007 à cause de rancœurs nées avec une
minorité de dirigeants de la société des rédacteurs du quotidien qui s’allient avec Alain Minc, président du conseil de surveillance du Monde, pour empêcher le directeur d’enchaîner un
3ème mandat et mettre en pratique son solide projet de recapitalisation : « Au lieu de ça, ils vont préférer tourner le dos à une stratégie de développement, en vendant des
actifs pour ne garder que le journal Le Monde. C’était une voie condamnée à aboutir à la vente du quotidien, et de ce fait à la perte de son indépendance, tout cela est un grand gâchis. » Le
point de départ de tous ces remous est le livre « La face cachée du Monde » publié en 2003 qui fait l’effet d’une bombe : « Cela me parait évident qu’il y avait des intérêts
politiques très puissants autour de la démarche de l’auteur Pierre Péan, pour affaiblir durablement le journal qui avait acquis trop de rayonnement et de force. »
Un grand chapitre se referme
Au final, en étant 13 ans à la tête du Monde, Jean-Marie Colombani détient le record de longévité en dehors du fondateur
historique Hubert Beuve-Méry. C’est pourtant comme une libération qu’il vit son départ en 2007, tant l’ambiance était devenue exécrable. Pour cet homme qui aime plus que tout observer et
raconter, la passion du journalisme est née durant son adolescence avec la lecture des écrits de Jean Daniel, le fondateur du Nouvel Observateur. S’il est né à Dakar, son enfance est partagée
entre la banlieue parisienne, la Corse où il a ses racines et Nouméa.
Après avoir tourné la page du Monde et avant d’ouvrir celle d’Internet avec Slate.fr, Jean-Marie Colombani, père de 5
enfants dont deux adoptés, s’est vu proposé une mission sur l’adoption au début du mandat de Nicolas Sarkozy, période d’ouverture où le président fait appel à de nombreuses compétences. Il rédige
un rapport qui souligne les dysfonctionnements rencontrés par les familles, et qui a permis depuis d’en corriger une partie. Il espère qu’à l’occasion de la prochaine campagne présidentielle,
certains se saisiront de l’autre partie.
Souvenir et avenir
De toutes les rencontres qui ont jalonné ses 38 ans de carrière, François Mitterrand est la personnalité qui a le plus
impressionné Jean-Marie Colombani : « Il a été un grand président qui a fait des choix stratégiques majeurs, et il incarnait un art politique porté à son sommet. Ce qui ne nous a pas
empêchés de l’attaquer par moments et moi-même d’avoir des relations conflictuelles avec lui. »
Ce grand journaliste concède qu’il est de plus en plus difficile de résister à l’emballement médiatique, comme pour
l’affaire DSK, voilà pourquoi avec Slate.fr il essaie de proposer un regard plus distancié, rigoureux et analytique. Amateur de cinéma et d’opéra, il consacre le plus de temps possible à ce qu’il
a de plus cher au monde, sa femme et ses 5 enfants. Il reste aujourd’hui toujours aussi passionné par son métier : « On a la chance de pouvoir faire partager notre curiosité, mais si on perd
cette curiosité, on devient cynique et blasé. » Loin d’en arriver là, il jubile à l’approche de la campagne électorale qui va s’ouvrir.