Le faux-pas en Serbie n’enlève rien au prestigieux palmarès de l’entraîneur le plus titré du sport collectif
français, champion olympique, deux fois champion du monde et deux fois champion d’Europe. Tourné désormais vers les Jeux de Londres, Claude Onesta élu manageur de l’année 2011, nous parle de
sport, de ses valeurs, de la société, de la crise avec la lucidité et la générosité qui le caractérisent.
Qu’a-t’il manqué à l’équipe de France pour continuer sur sa lancée lors de cet Euro en Serbie
?
Claude Onesta - Vous avez l’impression que tout le monde est bien en place, chacun exprime sa volonté de
réussir une fois de plus, mais au-delà des discours, les joueurs sont peut-être un peu moins déterminés qu’il le faudrait, pas suffisamment inquiets. Tout cela relève de réglages infimes, je
n’avais pas en face de moi des joueurs qui avaient perdu le sens de leur engagement. En cours de préparation, j’ai relevé un manque d’intensité dans le travail mais chacun pensait que ça irait
quand même. Puis on rate le début de la compétition, on commence à se crisper, à douter, et avec un match tous les deux jours, le dérapage continue sans que l’on puisse retrouver la bonne
direction. Cet échec comportait le risque de fracture pour la suite, et dans notre malheur nous avons réussi à éviter que le groupe se disloque et que les joueurs se renvoient la responsabilité.
Autrement dit nous avons réussi à vivre cette défaite de manière solidaire et digne. Il appartient aujourd’hui à chacun de faire le tour de ce qui lui a manqué ou de ce qu’il n’a pas fait, et
dresser un bilan qui servira à la construction de la préparation aux Jeux Olympiques.
Mis à part l’Euro, quelle est la recette du succès de l’équipe de France et de votre méthode en
particulier ?
C.O. - Il ne suffit pas d’additionner des joueurs de talent pour que cela fonctionne, manager une équipe
ou un groupe d’individus quelle que soit leur activité, c’est arriver à les rendre solidaires, à ce que l’intérêt général soit une priorité pour chacun, en faisant le pari que la réussite
collective générera des réussites individuelles conséquentes. L’équipe de France est passée d’une gestion directive à une gestion participative où les joueurs élaborent le projet avec moi. Je
reste l’autorité, celui qui décide mais aussi celui qui écoute, met en relation, trouve des équilibres qui sont le support de la confiance réciproque qui règne dans le groupe. Je dois être
capable de comprendre le fonctionnement de chacun, de les associer autour d’un objectif commun, et d’anticiper les problèmes pour essayer de les résoudre ensemble. La responsabilisation d’une
prise de décision permet au joueur de l’assumer de manière plus cohérente.
Votre réussite est l’objet de très nombreuses sollicitations, qui fait appel à vous et dans quel
but ?
C.O. - Le monde sportif bien sûr, mais aussi le monde associatif, caritatif, politique, économique.
J’étais porteur, un peu moins avec la défaite en Serbie…, d’une image de réussite avec une connotation sociale et humaine. Aujourd’hui tout le monde a envie de réussir et en plus d’être aimé des
autres. J’ai eu la sensation de servir d’exemple et d’être utilisé à toutes les sauces, mais j’ai toujours essayé de garder beaucoup de distance. Aujourd’hui malheureusement, le monde du travail
repose sur un modèle hiérarchique où l’on a isolé les individus du projet global en les encourageant à être meilleur que son voisin. Les entreprises ont de ce fait beaucoup de mal à faire
travailler les gens ensemble. J’essaie de faire passer le message qu’en se faisant confiance, en se parlant, on comprend pourquoi l’autre va être utile et on peut arriver ainsi à des performances
durables et plus conséquentes. Cette méthode n’est pas rêvée, il faut lui donner du sens, vivre avec ces idées sur le long terme, on ne peut pas juste se contenter de le dire, puis ensuite ne pas
le faire.
Quel regard portez-vous sur le handball par rapport aux sports plus médiatisés ?
C.O. - Le handball, tout en étant sur le devant de la scène, est sur des niveaux de gains et de
rétributions bien moindres que d’autres sports, donc avec des enjeux moins conséquents. Pour autant, mes joueurs gagnent entre 10 000 et 30 000 € mensuels, ce qui n’est pas neutre. On est
aussi porteur d’une image d’exemplarité dans les comportements, on essaie d’éviter toutes les indécences que l’on peut voir chez d’autres, qui ne se rendent pas compte des dégâts générés par leur
attitude sur la jeunesse. Notre modèle est très basé sur les valeurs éducatives à l’inverse de nombreux sports professionnels, on nous a souvent d’ailleurs reproché d’être un sport d’enseignant
ou de prof de gym. Aujourd’hui avec la notoriété et la médiatisation de nos joueurs, il pourrait y avoir un dérapage mais l’encadrement veille au grain. Le sport professionnel ne se justifie que
s’il est vecteur de lien et d’exemplarité, tout en étant une vitrine qui va donner envie aux jeunes de pratiquer une discipline. D’autant que nous avons en France la chance d’avoir le système des
pôles espoirs dans chaque région.
Le sport est-il touché par la crise et vous-même comment la percevez-vous ?
C.O. - Les tous meilleurs joueurs ne sont pas touchés par la crise, vu qu’ils ont un caractère unique,
par contre le budget des clubs professionnels est en baisse. Les collectivités qui contribuent à ces budgets ont aujourd’hui d’autres priorités, de même les entreprises ont diminué le sponsoring
et la publicité. Les clubs étant moins solides, il y a moins de contrats professionnels ou alors ils sont plus précaires. De son côté, la pratique sportive de loisir continue d’augmenter, c’est
un équilibre de vie et elle permet d’évacuer une partie des inquiétudes. Le milieu associatif contribue aussi à partager avec d’autres les difficultés, à trouver des notions de solidarité, de
projets communs qui permettent de se mobiliser et se sentir moins seul.
Moi qui suis quelqu’un de construit sur le partage, l’échange et la participation, j’ai la sensation que ce monde est
devenu fou, et malgré les alertes successives il ne se régule jamais. Cette course absolue à une rentabilité permanente et immédiate est complètement ridicule, mais malheureusement les états
n’ont plus la maîtrise de leur politique, ce sont les marchés qui régulent tout, générant des situations inquiétantes pour le plus grand nombre. En matière de santé par exemple où les évolutions
profitent toujours aux mêmes. Quand on peut aujourd’hui découvrir des médicaments qui devraient résoudre des problèmes de mortalité dans certains endroits, et que l’on ne les développe pas à
cause du manque d’argent de ces pays, le cynisme de cette logique économique est insupportable.
Qu’attendez-vous de cette période électorale et vers quels changements doit-on aller, notamment dans le domaine
agricole ?
C.O. - L’ultralibéralisme a montré qu’il était destructeur, il faudrait revenir à un système mieux
équilibré où l’Etat devienne l’élément de régulation qui permette la protection du plus grand nombre. Il va certainement falloir passer par des périodes plus difficiles pour absorber une partie
de nos excès. J’espère que ce seront ceux qui ont le mieux profité de la situation qui seront les plus sollicités pour faire des efforts. Cela dit, celui qui est devenu riche en générant du
travail et un environnement social prolifique, ne mérite pas d’être puni. Par contre, celui qui ne vise que la spéculation doit être mis à contribution.
Par ailleurs en faisant des économies dans des secteurs comme l’éducation, on va peut-être résoudre des problèmes
financiers sur le court terme, mais sûrement provoquer des problèmes conséquents sur l’avenir et en particulier pour la jeunesse. Le sport est souvent présenté comme le remède à tous les maux
liés à cette jeunesse, drogue, addictions, insertion, violence, mais il ne représente que 0,1% du budget de l’Etat et ne peut pas de ce fait résoudre toutes les difficultés. Il va donc falloir se
donner plus de moyens, à la fois pour le sport de masse mais aussi pour celui de haut-niveau, où il faut aussi une meilleure répartition avec les sports dits amateurs. Il n’est pas normal, qu’un
athlète qui s’entraîne 5 heures par jour à un niveau international et qui est capable de devenir champion du monde, gagne à peine le SMIC, comparé au train de vie indécent du football.
Les agriculteurs, dont souvent le travail ne suffit plus pour vivre dignement de leur activité, sont peut-être au
1er plan des difficultés de nos sociétés modernes, au regard de ce qu’est la concurrence venant d’ailleurs. L’exemple des produits espagnols est frappant, ils arrivent dans le Sud de
la France à un prix qui n’est même pas le prix de revient d’un kilo de fruits produit en France. On a construit une Europe marchande, en négligeant l’aspect fiscal et social mais aussi en
oubliant d’uniformiser les problématiques.