Un émouvant récit à vérités multiples sur la complexité de l'enfance
Le grand cinéaste japonais Hirokazu Kore-eda, dont les œuvres sont régulièrement adorées dans ce blog, observateur sensible de l'enfance et de la famille, construit avec L'innocence un film troublant mêlant les points de vue, tel Akira Kurosawa dans Rashômon. Avec une potentielle affaire de harcèlement envisagée sous plusieurs angles, il signe une œuvre forte, à la fois sophistiquée et bouleversante. Multiples fausses pistes et faux-semblants dans un labyrinthe quasi kafkaïen, jusqu’à ce que se dessine dans la troisième partie le secret du récit, et peut-être le secret d’une œuvre et d’un cinéaste qui n’a cessé d’être travaillé par la question de la marge et du rejet. Ce que produit L’Innocence, dans ses ramifications, ses séquences rejouées plusieurs fois selon un angle différent, favorisant la récolte des pièces d’un grand puzzle incomplet, c’est un certain état de stupéfaction dû au surgissement de son mystère. Dans cette combustion lente se lisent les signaux d’une société bâillonnée et plus précisément la parole des enfants, personnages dont on sait l’importance dans la filmographie du cinéaste japonais, jamais tout à fait entendue. Il a le don de filmer des récits simples en apparence, mais complexes par leur richesse humaine. La délicatesse du cinéma de Hirokazu Kore-eda n’est plus à démontrer. Au fil du temps, son œuvre se nourrit de chacun de ses films, et s’enrichit de nouvelles strates. La finesse d’écriture et du regard n’empêche ni la frontalité, ni la dureté. Le monde décrit est toujours traversé par la violence, sociale ou comportementale. Mais la bienveillance prime inlassablement, dans la faculté d’accompagnement des personnages par le cinéaste, et dans l’écrin que leur réservent les récits. Justes dans leur distance, et complexes dans leur humanité. Le scénario de Sakamoto Yuji explore les méandres de l’enfance, dans toute sa part mystérieuse. L’opacité des motivations des protagonistes reste totale, et l’ambiguïté des rapports humains apparaît petit à petit, des gosses aux adultes. La subtilité narrative repose sur les points de vue successifs, répartis par chapitres, qui décalent chaque fois les jugements, pour finalement laisser la complexité l’emporter. Le spectacle de L'Innocence, c’est la maîtrise absolue de son auteur, d’une puissance discrète mais qui abasourdit.