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« Xavier Beulin était habité par sa fonction à la tête de la FNSEA »

Publié le par Michel Monsay

« Xavier Beulin était habité par sa fonction à la tête de la FNSEA »

Journaliste audiovisuel incontournable depuis le début des années 1970, Jean-Pierre Elkabbach a occupé de nombreux postes allant de présentateur de JT, animateur d’émissions, jusqu’à président, notamment au sein d’Europe 1, Antenne 2 puis France télévisions, et Public Sénat. A 79 ans, alors qu’il démarre une nouvelle carrière sur C News, il nous parle de Xavier Beulin qu’il a bien connu.

 

Notre première rencontre a eu lieu un matin à Europe1, il a suffi des quelques instants qui précèdent le direct pour que nous comprenions, l’un et l’autre, que nous allions nous entendre.

Chaleureux, franc, grave, et toujours courtois, il était ce qu’il ne paraissait pas d’abord : un homme de la Terre, un frère des agriculteurs en souffrance, un militant pour le développement du Maghreb et de l’Afrique, un « guerrier » de la paix. Peu de responsables politiques et syndicaux s’attachent d’emblée à défendre les causes qui les font vivre, lui oui !

Il avait une intuition du monde et une connaissance de ses dangers.

Xavier Beulin était « habité » par sa fonction à la tête de la FNSEA. Il ne concevait pas de ne pas consacrer tout son temps et toute son énergie à son engagement. Son beau regard et sa voix traduisaient, pour moi, et sa franchise et son angoisse.

Il n’a cessé de se battre pour redonner des chances à l’agriculture, des revenus, de la dignité et un destin aux agriculteurs. Il pouvait porter ce combat à travers toutes ses activités. En réalité, elles n’en faisaient qu’une : à la fois chef d’un syndicat, puissant et orgueilleux, et patron d’une entreprise internationale.

Ses différentes responsabilités mettaient en valeur sa patience, ses qualités et son style: échanger, argumenter, convaincre : c’est-à-dire dialoguer pour imposer sa vision d’une agriculture moderne, qui utilise aussi bien le numérique, les drones et l’Intelligence artificielle. Une agriculture proche des citoyens et telle qu’il la décrivait dans son dernier livre et dans ses émissions avec moi.

Je ne suis pas le seul auquel il va manquer, d’ailleurs, il me manque déjà.

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« Xavier Beulin a fait entrer la FNSEA dans le XXIe siècle »

Publié le par Michel Monsay

« Xavier Beulin a fait entrer la FNSEA dans le XXIe siècle »

Ancien Ministre de l’agriculture sous Jacques Chirac, Philippe Vasseur, qui est aujourd’hui Commissaire pour la revitalisation et la ré-industrialisation des Hauts-de-France, a bien connu Xavier Beulin dont il nous parle avec émotion.

 

Après l’avoir croisé un certain nombre de fois, j’ai véritablement fait la connaissance de Xavier Beulin en 2000 lorsqu’il a succédé à Jean-Claude Sabin à la tête de Sofiprotéol. C’est quelqu’un que je regrette beaucoup, nous avions non seulement des souvenirs communs mais aussi des convictions partagées. Xavier avait une personnalité complexe, avec à la fois une certaine forme de pudeur mais en même temps de l’empathie avec les gens. Il avait aussi une grande ouverture d’esprit. Son caractère a été forgé par une histoire personnelle difficile, la perte de son père alors qu’il avait 17 ans et la reprise de l’exploitation à l’âge où d’autres pensent à s’amuser. Cela l’a amené assez tôt à prendre en considération un certain nombre de difficultés de la vie.

Je me souviens lui avoir dit lorsqu’il avait le projet de postuler à la présidence de la FNSEA : Tu n’es pas assez démagogue pour cela; et il m’avait répondu : Ne t’inquiète pas, je suis capable de parler aux paysans et eux-mêmes le seront aussi d’entendre le discours que je souhaite tenir sur la mutation du monde agricole. Résultat, il a fait entrer la FNSEA dans le XXIe siècle et a replacé l’agriculture dans une trajectoire économique, ce qui n’est pas du tout contradictoire avec l’aspect humain. Nous partagions cette notion d’économie responsable, j’ai d’ailleurs été à ses côtés lorsqu’il a créé l’Open Agrifood à Orléans. Il a été le défenseur d’un pluralisme agricole avec toutes ses composantes tout en rappelant la vocation de production de l’agriculture. Il estimait que l’agriculture française était assez forte pour retrouver sa position sur les marchés à l’exportation.

Xavier Beulin a redonné une grande vision à l’agriculture, en mettant en avant sa modernité avec l’utilisation de technologies nouvelles, mais aussi en soutenant qu’elle devait s’impliquer davantage dans son aval afin de pouvoir peser sur l’utilisation de sa production, et aussi dans la société. Il a d’ailleurs été président du conseil économique, social et environnemental de la région Centre, ce qui démontrait bien sa dimension pluraliste et la place qu’il avait su prendre sur le plan régional. Il serait dommage que le prochain président de la FNSEA ignore la trajectoire tracée par Xavier mais je ne pense pas que ce sera le cas, Christiane Lambert est dans cette logique de modernité même s’il peut y avoir quelques petites différences.

Tout au long de sa carrière, commencée aux Jeunes Agriculteurs à 17ans, il a su avoir une constance, une logique dans les décisions qu’il prenait à la fois pour l’agriculture, sur son territoire et dans les responsabilités qu’il a eues chez Sofiprotéol et Avril. En restructurant et en développant le groupe Avril, il a démontré qu’un agriculteur était capable de s’investir, de faire les bons choix stratégiques et de lutter à armes égales avec de grands industriels. Il savait s’entourer, faire confiance aux hommes et aux femmes qui travaillaient avec lui. S’il avait de nombreuses casquettes, il y avait un fil rouge, une complémentarité et pas de dispersion dans des activités qui n’avaient rien à voir avec le monde agricole. C’était un homme qui aimait la vitesse, autant à moto que par sa capacité à réfléchir très vite.

Je constate que l’on est critiqué de son vivant et encensé lorsqu’on est mort, mais les hommages unanimes à Xavier n’ont pas été faits en se reniant de la part de personnes opposées à son action qui ont dit : On ne partageait pas sa vision mais on reconnaissait que l’homme était sincère, engagé et efficace. Être à la fois cash, direct tout en donnant le sentiment qu’il ne trichait pas, telle était la personnalité de Xavier Beulin qui a su être respecté tout au long de sa carrière.

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« Xavier Beulin avait cette intuition que l’axe Nord-Sud allait devenir stratégique »

Publié le par Michel Monsay

« Xavier Beulin avait cette intuition que l’axe Nord-Sud allait devenir stratégique »

Fondateur de l’Institut de prospective économique du monde méditerranéen (IPEMED) en 2006, dont il a été longtemps le délégué général avant d’en devenir le président, Jean-Louis Guigou nous parle de Xavier Beulin qu’il a bien connu et de l’intérêt pour l’Europe de se tourner vers son Sud.

 

Vous avez dit de Xavier Beulin qu’il était un être d’exception, en quoi l’était-il ?

Jean-Louis Guigou - Xavier Beulin avait non seulement une vision du long terme, des capacités à fédérer, mais aussi des valeurs et des principes qu’ils mettaient en application. La conjonction de ces qualités lui a permis d’être un vrai leader qui inspirait confiance tant à la FNSEA que chez Sofiprotéol. Il a su structurer Sofiprotéol puis Avril et leur a fait réaliser de nombreuses innovations, mais tout autant et surtout il a fait comprendre à la FNSEA beaucoup de choses. Avant lui, on brulait les camions de tomates venant du Maroc, aujourd’hui les leaders agroalimentaires ont compris qu’ils avaient besoin de la rive Sud de la méditerranée. Il avait cette intuition que l’axe Nord-Sud allait devenir stratégique, que la géographie et la différence de climats marquaient profondément une complémentarité.

En octobre dernier, nous étions reçus avec Xavier Beulin à l’Elysée par le Président Hollande avec des patrons français, maghrébins et africains subsahariens. A la fin de nos échanges, Xavier Beulin a conclu sur une demande qu’il formulait personnellement au Président : Il faudrait sécuriser la traversée du Sahara pour les échanges commerciaux afin de pouvoir aller d’Alger à Lagos en toute sécurité. Deux mois plus tard, il ne se s’était pas douté que lors d’un important forum africain, la grande nouvelle serait la révélation d’une route transsaharienne reliant Alger à Lagos, achevée courant 2017.

 

Qu’a-t-il fait concrètement pour faire avancer les choses sur l’intégration Nord-Sud ?

J-L.G. - Xavier Beulin a été membre fondateur de l’IPEMED, il a toujours mobilisé son groupe Avril pour contribuer financièrement au développement de l’institut, et durant 4 ans en a été le président du conseil de surveillance. Il a été un grand avocat de notre cause par le discours auprès des plus hautes autorités et par les actes en engageant son groupe dans les échanges Nord-Sud par des investissements dans plusieurs pays africains. Xavier Beulin avait compris que l’on ne pouvait plus traiter les pays du Maghreb et de l’Afrique uniquement à travers la vente de nos surplus de production, mais qu’il fallait les amener à produire eux-mêmes. Il était donc convaincu que pour aider ces pays à se développer, les grandes entreprises avaient intérêt à vendre leur savoir-faire plutôt que leurs produits. J’ai aussi le souvenir lors d’une réunion de travail le 25 janvier dernier, qu’il m’avait demandé de finaliser le label méditerranéen, pour lequel il militait depuis un moment, afin de protéger des produits comme l’huile d’olive, le blé dur ou les dattes. Nous allons donc tout faire pour que le Parlement européen valide ce label.

 

Comment vous est venue l’idée de créer IPEMED en 2006 ?

J-L.G. - Je voyais cette complémentarité que nous pourrions avoir avec le Sud, riche en énergie et en main-d’œuvre, tout en ne comprenant pas pourquoi on faisait monter cette main-d’œuvre pour travailler chez nous, ce qui déclenchait des mouvements hostiles voire radicaux comme la poussée de l’extrême droite, plutôt que faire descendre le capital. Personne n’osait porter ce discours de peur d’être accusé de délocalisation, alors qu’il s’agit de coproduction. Je me suis intéressé alors à ce que faisait déjà l’Amérique, le Japon ou la Chine avec leur Sud. Cette hypothèse de coopération avec les pays méditerranéens que j’avais émise en 2006 est devenue aujourd’hui une réalité incontournable, avec des pays du Nord développés mais vieillissants et en pleine stagnation, et des pays du Sud, jeunes, émergeants et en pleine croissance. Il m’a fallu 10 ans pour transformer une intuition à laquelle seul 2% de la population croyait. Aujourd’hui 20 à 30% y adhère. L’Afrique peut être la cause de nos pires malheurs ou de notre bonheur, soit nous ne faisons rien et c’est par centaines de milliers que les africains traverseront la méditerranée. Soit nous nous associons avec ces pays pour travailler ensemble, mais il n’est plus question de charité, de dons, cela est un mépris total.

 

Que fait concrètement IPEMED ?

J-L.G. - Nous produisons des idées et nous les vendons, parmi elles, la coproduction entre pays du Nord et du Sud et la régionalisation de la mondialisation. Face à la mondialisation non régulée se constituent des régions. D’après un rapport de la CIA sur l’état du monde, trois grandes régions vont structurer la planète à l’avenir: L’Amérique, l’Europe et la Chine avec leur Sud, et celle qui va dominer sera celle qui aura avec son Sud les rapports les plus efficaces, les plus humains et les plus dignes, et non pas celle qui exploitera son Sud. Avec la mondialisation les chaînes de valeur étaient éclatées, on produisait des sièges en Argentine, des boulons au Vietnam et on faisait venir le tout pour assembler. Mais comme l’Europe est condamnée à produire de la qualité, afin de pouvoir la contrôler les chaines de valeur aujourd’hui se compactent, c’est la base de la régionalisation. Pour qu’elle réussisse, il faut un couplage entre des pays développés matures et juste à côté un ou des pays émergeants, à l’image des Etats-Unis avec le Mexique ou la Colombie, ou de l’Allemagne avec les pays de l’Est. De notre côté, nous avons la chance d’avoir les pays du Maghreb sur l’autre rive de la méditerranée, il nous faut donc favoriser leur industrialisation.

 

L’avenir de l’Europe va-t-il se jouer en son Sud ?

J-L.G. - Il vient d’y avoir une réunion à Versailles des quatre plus grandes puissances européennes, la France, l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie qui semblent en accord pour une Europe à plusieurs vitesses avec un noyau dur afin d’avancer sur certains points fondamentaux. C’est une bonne chose, mais les défis auxquels nous sommes confrontés autant au nord qu’au Sud, le terrorisme, les migrations, le réchauffement climatique, les énergies renouvelables, nous ne pourrons les relever qu’ensemble. Si chaque pays essaie de le faire individuellement, nous n’y arriverons pas. L’Algérie vient de lancer un projet pour construire 40 sites de photovoltaïque solaire, qui produiront l’équivalent de 4 centrales nucléaires. Dans une logique de coproduction et de développement du pays, l’appel d’offres international comprend de la formation professionnelle, la production sur place des turbines et des centrales, et non pas de venir simplement produire de l’énergie au plus bas prix.

Il faut donc mutualiser nos efforts, échanger nos expériences pour éviter de faire les mêmes erreurs et tenir compte des progrès réalisés de part et d’autre. C’est par l’économie avec des résultats probants de coproduction que les mentalités changeront, que les peurs s’estomperont, et que l’on arrivera à convaincre les derniers sceptiques qu’il faut aller investir dans ces pays en mutation.

 

Pourquoi votre nouveau cheval de bataille en plus de la méditerranée est-il l’Afrique, et quel a été le rôle de François Hollande sur ce continent ?

J-L.G. - La conséquence des révolutions arabes est que nous sommes passés d’une méditerranée marginale, cul de sac de l’Europe, à une méditerranée centrale, pivot. Les pays du Maghreb ne sont plus dans une relation univoque avec l’Europe, ils se tournent maintenant vers leur Sud. D’ailleurs le capital et les grandes entreprises commencent déjà à anticiper que c’est en Afrique subsaharienne que le XXIe siècle va se jouer. C’est pourquoi nous avons créé la fondation La Verticale Afrique Méditerranée Europe dans la même logique que l’IPEMED.

François Hollande a cassé le système « Françafrique », dont on se souvient des bijoux de Bokassa ou des valises pleines d’argent des correspondants africains. Il a été le premier chef d’Etat à dire stop à ces trafics d’influence, et à soutenir que l’Afrique était l’avenir de la France et de l’Europe mais dans des relations plus saines. Avec Jean-Yves Le Drian et Manuel Valls, ils ont contribué tous les trois à faire avancer la cause africaine auprès des entreprises et de l’opinion, et à se faire aimer des africains.

 

Quelques repères

Jean-Louis Guigou est originaire d’Apt dans le Vaucluse. Ingénieur agronome et professeur agrégé d’économie, il s’est très rapidement spécialisé sur les problèmes de territoire. Sa carrière est à la fois celle d’un universitaire à Paris XII et à Avignon notamment, et d’un haut fonctionnaire. Il est marié à Elisabeth Guigou depuis 1966. Après avoir travaillé au cabinet de Michel Rocard, alors Ministre du Plan, il passe une partie de sa carrière à la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (DATAR) comme chargé de mission puis comme délégué. Dès 2002 il s’intéresse aux acteurs de la méditerranée avant de fonder en 2006 IPEMED. A 78 ans, il est aujourd’hui président de l’IPEMED, fondateur de La Verticale Afrique -Méditerranée - Europe et milite au quotidien pour l’intégration Nord-Sud avec un avenir commun.

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La vie comme un roman

Publié le par Michel Monsay

La vie comme un roman

Si son nom est souvent associé à la Bretagne, pour laquelle il a une passion et a écrit un dictionnaire amoureux, Yann Queffélec est depuis plus d’une trentaine d’années un écrivain qui compte. De son roman « Les noces barbares », prix Goncourt 1985 à « L’homme de ma vie » sur son père, ses ouvrages, près d’une quarantaine, sont le plus souvent à la fois des succès publics et critiques.

 

Même si pour lui l'écriture est une passion, un besoin viscéral, un métier à plein temps, dans le sens où il n'y a pas une journée sans laquelle Yann Queffélec ne prenne sa plume, il est particulièrement investi actuellement dans l'élaboration du dictionnaire amoureux de la mer. Au vu de la réussite de son dictionnaire amoureux consacré à la Bretagne paru en 2013, il a souhaité en accord avec son éditeur prolonger le bonheur éprouvé à évoquer sa région de prédilection, cette fois en nous contant sa passion de la mer. Pour l'un comme pour l'autre, il écrit l'ouvrage d'environ 800 pages d'un seul et même souffle et non comme une suite d'entrées, puis il le fragmente pour respecter le principe du dictionnaire. L'édition illustrée parue fin 2015, dans laquelle il a tenu à choisir lui-même en grande partie les photos en regard des textes, comporte quelques ajouts comme l'hommage à Florence Arthaud qu'il a bien connue, ou un chapitre plus étoffé sur les phares, quelque peu délaissés aujourd'hui avec les nouvelles technologies comme il le déplore, et pour lesquels il a une grande affection.

 

La Bretagne, la mer et le père

Bien qu'étant né et ayant vécu une grande partie de sa vie à Paris pour des raisons familiales, il se sent avant tout breton. Originaire du Finistère Nord par sa famille, il y passait toutes ses vacances durant son enfance et a continué tout au long de sa vie à faire la navette entre la Bretagne et Paris, ville qu'il aime énormément à la manière d'un touriste de passage. Son centre névralgique étant définitivement la mer, à laquelle il pense de façon quasi obsessionnelle : « Je ne peux pas écrire sans être en permanence relié à des images ou des métaphores maritimes, le style cadencé que l’on me prête est certainement dû au bruit de la mer qui ne quitte jamais mes tympans. »

S’il y a une personne qui a influencé Yann Queffélec, il s’agit bien de son père Henri sur lequel il a écrit en 2015 « L’homme de ma vie » : « J’avais besoin de faire le point à ce moment de mon existence avec cet homme prodigieux, et la relation racinienne que l’on a eu. Je l’aimais, il ne m’aimait pas, mais je n’ai jamais voulu en avoir un autre, j’ai toujours été fier de l’avoir eu pour père. En m’attelant à ce livre, j’ai trouvé une écriture contradictoire qui m’a bien plu entre l’éloge, la célébration du talent d’écrivain de mon père à un moment où il est de moins en moins connu, tout en rappelant l’injustice dont il a fait preuve à mon égard. » On sent bien que si la plaie est refermée, le fait de remuer ces souvenirs a été douloureux même si l’écrivain dit s’être amusé à retrouver l’homme drôle et spirituel qu’était son père.

 

Les dessous de l’écriture

Près d’une quarantaine de livres à son actif, qu’il a tous écrits à la main : « J’ai l’impression qu’un ordinateur ne draine pas toutes les couches de la sensibilité qu’un stylo est capable de sonder au plus profond. » Pour lui, un écrivain s’améliore avec l’âge, son savoir-faire s’affine, son écriture se simplifie. Le point de départ de ses romans est toujours une image, une scène qui l’a frappé provenant entièrement de son imagination. A partir de là, il développe des situations, voit comment elles peuvent s’enchaîner, se familiarise avec les personnages et seulement après envisage un plan et une mécanique. Pour Les noces barbares, voici le point de départ qu’il avait en tête : « Une gamine en petite robe des années 1950 dans une région sablonneuse, elle rejoint amoureusement le militaire qui l’a demandé en mariage à ses parents et qui va la violer avec ses copains avant de repartir pour les Etats-Unis. »

La notion de style, selon lui, est très importante dans la qualité d’un roman et dans ce qui fait un grand écrivain, mais elle doit être accompagnée de l’émotion que procure une histoire et de vrais personnages avec toutes les contradictions dont peut faire preuve un individu. Ce dernier point manque souvent, à ses yeux, dans les romans français. Il reste convaincu que le roman est le plus beau genre de la littérature : « J’aime cette schizophrénie de l’écriture autorisée par un roman, ce dédoublement, ce moment où un écrivain se met à parler avec la voix de quelqu’un, sa violence, ses sentiments barbares auxquels il n’était absolument pas préparé et qui ne sont pas les siens. »

 

Le prix Goncourt

Défenseur des prix littéraires, il les juge forcément injustes mais reconnaît leur pouvoir : « Ils font de la littérature une fête, ils créent de l’enthousiasme, mobilisent l’attention, divisent l’opinion, mettent de la passion là où il n’y en a pas assez le reste du temps. » Yann Queffélec a été lauréat du prix Goncourt en 1985 pour son deuxième roman, « Les noces barbares », qui s’est vendu toutes éditions confondues à plus de 2 millions d’exemplaires, a été traduit dans plus d’une trentaine de pays et adapté au cinéma deux ans plus tard. Le moins que l’on puisse dire est qu’il a apprécié cette récompense à sa juste valeur : « J’ai manifesté trop bruyamment ma satisfaction, non pas de manière orgueilleuse mais j’étais dans la jubilation permanente, j’invitais tout le monde à déjeuner. Ce comportement a exaspéré le milieu littéraire, je peux le comprendre mais comme mon père m’avait fait honte à cause de ce prix, j’allais flamber. »

Il ne considère pas pour autant qu’il s’agisse de son meilleur roman mais reconnaît que malgré ses maladresses de débutant l’histoire et les personnages ont touchés. Ses préférences vont plutôt à « Disparue dans la nuit », ou « Les sables du Jubaland » même s’il n’aime pas les titres, et « Boris après l’amour » son roman le plus britannique à la fois tragique et railleur, surprenant et varié dans les directions qu’il prend.

 

Une vocation naturelle

Son enfance lui a laissé un souvenir contrasté. Tout en étant très entouré, il était un gamin solitaire à cause du comportement dépréciateur de son père, et se racontait en permanence des histoires. Sa vocation est certainement née de cela mais aussi de sa mère : « Elle me racontait merveilleusement bien des histoires et je voulais faire aussi bien qu’elle en racontant des histoires aux autres. » Sa mère décède alors qu’il vient juste de finir Hypokhâgne, il décide alors de se consacrer à sa passion du bateau, univers qu’il a côtoyé durant toute son enfance avec son oncle yachtman, à tel point qu’il ne se rappelle plus à quand remonte sa première fois sur un bateau. Avec son propre voilier, il navigue durant quelques années pour son plaisir ou en transportant des passagers mais sa petite entreprise fait faillite, n’étant pas un homme d’affaires selon ses dires. Grâce au prix Goncourt, il se rachètera un superbe voilier de 15 mètres et même si aujourd’hui il n’a plus de bateau, il continue à naviguer ponctuellement sur ceux des copains, notamment avec de grands marins comme Thomas Coville ou Franck Cammas lors de petites sorties en mer de 3 ou 4 jours.

 

La chance au rendez-vous

A 25 ans, il a l’opportunité d’écrire pour les pages culturelles du Nouvel Obs., il y découvre avec enthousiasme la littérature internationale, qui va l’aider dans son approche de l’écriture. La liberté des auteurs américains le fascine, il en rencontre un certain nombre, notamment Jim Harrison qui devient un ami. Son rédacteur en chef au Nouvel Obs., Pierre Ajame, qui dirige une collection musicale chez un éditeur, lui commande la biographie d’un compositeur de son choix. Ce sera Béla Bartók, que Yann Queffélec admire tant pour sa musique que pour sa personnalité rebelle. Il s’agit de sa première publication et l’on sent tout de suite un souffle romanesque qui va caractériser toute son œuvre, quel que soit le type d’ouvrage. La musique aura une place à part dans sa vie, surtout le piano, avec déjà son père qui en jouait, puis sa sœur Anne et sa première femme Brigitte Engerer, deux très grandes interprètes. Le hasard lui fait rencontrer la grande éditrice Françoise Verny, qui a lancé bon nombre d’écrivains. Elle croit tout de suite en son talent et lui permet de publier son premier roman « Le charme noir », sur la guerre d’Algérie.

 

Ecrire, boire et manger

Chaque matin, Yann Queffélec observe le même rituel qu’il ne changerait pour rien au monde, il se lève vers 7h, démarre par 20 minutes de lecture et à 7h45 il se lance : « Lorsque je me mets à écrire le matin, il y a une demi-heure de grâce, comme sur un bateau qui file vers le large sur une mer formée mais pas trop forte. La page se donne, s’ouvre, s’abandonne et vous êtes le roi. » Carpe Diem est bien la maxime qui le caractérise le mieux, ce bon vivant qui aime boire et manger avec ses amis et qu’il a du mal à quitter ensuite, aime par-dessus tout la vie : « J’ai énormément de mal à aller mal. » En plus de la voile, le sport a toujours été présent, notamment le tennis et la course qu’il continue toujours à pratiquer.

A 67 ans, il a l’intime conviction que le moment est venu pour lui d’écrire ses plus beaux livres : « Je suis à la fois dans un état de demi sagesse, en tout cas moins tout fou que je ne l’étais, j’ai tous mes moyens physiques et mentaux à ma disposition, et en plus un savoir-faire apporté par le temps et l’expérience. »

Publié dans Portraits

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Artiste majeur à découvrir d’urgence

Publié le par Michel Monsay

Artiste majeur à découvrir d’urgence

Cet auteur-compositeur-interprète américain de 58 ans est peu connu du grand public, et pourtant son talent fait le bonheur de ceux qui ont pu l’écouter depuis une trentaine d’années, soit en groupe soit en solo comme ici avec son dixième album. Il est comme cela des injustices dans le domaine de la musique, où des pseudos stars accaparent la lumière alors que de grands artistes mériteraient tellement une reconnaissance à leur mesure. Ce disque est l’occasion rêvée de découvrir Mark Eitzel, qui en travaillant avec Bernard Butler, l’ancien guitariste du groupe anglais Suede, a ouvert son univers folk à une pop somptueuse. L’association des deux artistes donne onze morceaux d’une beauté à couper le souffle alternant puissance, lyrisme, entrain et fragilité. En plus de signer la réalisation de l’album, Bernard Butler y joue plusieurs instruments et apporte tout son savoir-faire, acquis en ayant travaillé avec de nombreux groupes et chanteurs de renom. La voix de Mark Eitzel suave, veloutée, vibrante ou simplement délicate se fait merveilleusement l’interprète de textes qui nous racontent une Amérique cabossée, avec des personnages se raccrochant à ce qu’ils peuvent, loin de l’Amérique de Trump. La palette musicale enrichie, de ce chroniqueur précieux d’un pays qui ne fait plus rêver, s’étale d’un folk nu à la sensibilité qui n’est pas sans rappeler Nick Drake, à une pop-rock aux rythmes efficaces en passant par des envolées symphoniques ou psychédéliques. Lorsque l’on a goûté aux différentes émotions que procure cet album indispensable, il devient illusoire de s’en passer. Cela confirme qu’en musique il faut toujours essayer de trouver ces pépites cachées et oubliées, leur découverte a une saveur incomparable

 

Mark Eitzel - Hey Mr Ferryman - Decor records/ La Baleine - 1 CD : 17 €.

Publié dans Disques

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Une femme en résistance

Publié le par Michel Monsay

Une femme en résistance

Depuis sa projection au dernier festival de Cannes, ce film a beaucoup fait parler de lui pour ses qualités cinématographiques, mais aussi pour l'écho qu'il trouve dans la destitution de la présidente brésilienne Dilma Roussef, victime d'un coup d'Etat pour ses partisans, dont l'équipe du film. Pour son deuxième long-métrage, le réalisateur brésilien de 48 ans, anciennement journaliste, enthousiasme avec cet admirable portrait de femme, doublé d'une chronique douce-amère montrant une autre facette du Brésil d'aujourd'hui. A travers la résistance d'une femme face à un promoteur immobilier sans scrupules, il nous laisse entrevoir un pays touché par la corruption, la spéculation et les dégâts du libéralisme. Cette femme d'une soixantaine d'années, libre et hédoniste, est remarquablement interprétée avec force et sensualité par la star brésilienne Sonia Braga qui est entouré de comédiens irréprochables. Avec une grande fluidité dans sa mise en scène, de merveilleux cadrages qui captent de plein fouet les rires et les émotions des personnages, de très beaux plans-séquences, le cinéaste fait preuve d'une sensibilité qui emporte notre adhésion de la première à la dernière image. En 1980, sur une plage de Recife dans le Nord du Brésil, une voiture s'amuse à faire des embardées. A son bord, Clara une journaliste musicale à la trentaine radieuse et au sourire dévastateur fait découvrir à son frère et sa belle-sœur un morceau enthousiasmant du groupe Queen. Ils rentrent ensuite à l'appartement de Clara et son mari, où une fête est organisée en l'honneur des 70 ans d'une tante. Après les hommages des enfants, le discours émouvant du mari nous apprend que Clara se remet à peine d'un cancer du sein. Trente ans plus tard, on la retrouve seule dans ce même appartement qui fait face à l'océan Atlantique. Avec une indolence fascinante, ce superbe film embrasse le mouvement de la vie et se sert subtilement d'ellipses, de souvenirs, de rêves pour donner au passé un rôle majeur dans le présent.

 

 

Aquarius - Un film de Kleber Mendonça Filho avec Sônia Braga, Maeve Jinkings, Humberto Carrão, ... - Blaq Out - 1 DVD : 15 €.

Publié dans DVD

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Fresque romanesque de haute volée

Publié le par Michel Monsay

Fresque romanesque de haute volée

Seulement 6 films en 22 ans de carrière, James Gray aime prendre le temps nécessaire pour mener à bien ses projets. On peut d'un côté le regretter, mais vu le bonheur que le cinéaste nous procure chaque fois, il est impossible de lui en vouloir. Pour le moment, savourons son dernier chef-d'œuvre, nouveau drame historique après "The immigrant", dont le tournage épique dans la jungle colombienne n'est pas sans rappeler celui d'Apocalypse now ou certains films de Werner Herzog. Le réalisateur américain de près de 48 ans nous conduit dans les pas d'un grand explorateur au début du XXème siècle, dont la soif de découverte doublée d'une grande noblesse de l'exercice avec un respect des tribus rencontrées, contrairement à d'autres, ont un pouvoir fascinant et nous laisse admiratif devant un tel parcours et un tel courage. Tourné en 35 mm, autrement dit avec de la pellicule et non en numérique, le film regorge de magnifiques images dont les couleurs, les lumières et les cadrages confèrent à cette œuvre d'un somptueux classicisme une vérité et une puissance évocatrice. Ce projet ambitieux ne se contente pas de soigner sa forme, James Gray explore comme il en a le secret les liens familiaux à travers l'ascendance honteuse du héros, l'amour indestructible avec sa femme et la relation complexe avec son fils ainé. Le film s'ouvre en 1906 sur une grande partie de chasse au cerf en Irlande où l'on découvre un jeune officier de l'armée britannique, malin et adroit qui débusque et abat l'animal avant les autres. Malgré sa prouesse, il ne reçoit pas les honneurs de la haute société britannique lors de la réception qui suit, la faute à un père alcoolique et joueur qui a déshonoré son nom. La société royale de géographie lui propose alors une mission tout à fait inattendue, qui lui permettrait de laver ce nom. Superbe film d'aventures qui n'oublie pas l'intime, le nouveau James Gray, en plus de nous passionner et nous éblouir par sa maîtrise, est une œuvre humaniste dans laquelle le héros soutient que nous sommes tous fait du même bois malgré nos différences apparentes, et malgré les tristes sires qui se croient supérieurs. Plus d'un siècle après, cela n'a malheureusement pas changé.

 

 

The lost city of Z - Un film de James Gray avec Charlie Hunnam, Sienna Miller, Robert Pattinson, ...

Publié dans Films

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Joli coup de crayon

Publié le par Michel Monsay

Joli coup de crayon

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A chacun sa couleur

Publié le par Michel Monsay

A chacun sa couleur

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Carcasse de bateau sur ciel dégagé

Publié le par Michel Monsay

Carcasse de bateau sur ciel dégagé

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